JOY : American woman ★★★★☆

L’infatigable réalisateur de The Fighter et Happiness Therapy poursuit sa formidable ascension avec un nouveau film étonnant.

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Après avoir investi des genres aussi différents que la comédie romantique, le film de guerre, de boxe ou d’arnaque, David O. Russell s’attaque ici au biopic à l’américaine avec le sujet le plus improbable au monde : la véritable histoire de Joy Mangano, qui inventa le célèbre balai « Miracle Mop » durant les années 1990. Un sujet qui a de quoi en rebuter plus d’un (et à juste titre !), mais rassurant lorsque l’on connaît le monstrueux réalisateur derrière la caméra, lequel s’est forgé un style iconoclaste en subvertissant de l’intérieur des genres ultra-codés à des fins humanistes. Emouvoir et galvaniser avec la success story d’une ménagère qui essaie de vendre sa serpillère pendant deux heures ? Oui, c’est possible, à une condition : faire du Cinéma. Avec un grand C !

David O. Russell est définitivement un cinéaste à part, dont les différents choix l’auront peu à peu rendu insaisissable, abordant des genres et des styles diamétralement opposés tout en conservant une cohérence aussi bien thématique que visuelle. Joy est ainsi empreint de la marque de fabrique du cinéaste, à savoir la faculté de déguiser sous des sujets en apparence triviaux (une énième histoire de boxe, une comédie romantique…) une véritable profession de foi humaniste en même temps qu’un jeu sur les codes du genre en question. Sans avoir peur de déboussoler son spectateur, le cinéaste se joue ici des conventions du biopic classique par des partis pris de mise en scène tout à fait déroutants. Tout d’abord, dans sa façon de plonger le spectateur dans un pur univers de cinéma, par moments à la limite de l’absurde. En adoptant le point de vue de son héroïne, le film se permet même de verser dans le symbolisme, notamment lors de superbes scènes cauchemardesques soulignant le refoulement du personnage. Si ces scènes sont particulièrement significatives, tout le long-métrage fonctionne sur ce modèle, en traduisant par la direction artistique la psychologie des personnages (le garage bordélique du père de Joy, l’architecture froide des bureaux de la chaîne de télévision…). Le film ressemble ainsi à un constant numéro d’équilibriste, génialement exécuté par un cinéaste aux influences parfaitement digérées, de John Cassavetes à Martin Scorsese.

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Narré à la façon d’un conte de Noël par la grand mère de l’héroïne (qui fait figure de véritable mentor), Joy ne perd pas de temps pour poser ses personnages complexes et leurs multiples enjeux émotionnels. Car s’il y a un domaine dans lequel excelle David O. Russell, c’est bien dans la représentation des conflits familiaux, qu’il se plait à autopsier jusque dans les moindres névroses. Il ne faut pas plus d’un petit quart d’heure au cinéaste pour présenter la situation douloureuse dans laquelle le personnage de Joy s’est englué : un travail barbant, des difficultés financières, un père ingérable, une mère lobotomisée par un soap opera à la télévision, un ex-mari qui vit au sous-sol… Une nouvelle fois, David O. Russell prouve qu’il est un formidable directeur d’acteurs, capable de mettre en valeur chaque personnage secondaire tout en offrant son plus grand rôle à Jennifer Lawrence, lumineuse et bouleversante. Cette galerie jouissive de personnages et leurs interactions permettent au cinéaste de symboliser les différents travers d’une société perfusée à un american dream fantasmé. Cette situation inconfortable rend Joy d’autant plus touchante qu’elle contraste avec sa personnalité créative présentée dans les premières minutes du film.

JOY

Quel que soit le genre qu’il met en scène, David O. Russell s’est toujours intéressé avant tout à dessiner le portrait d’individus marginaux au cœur d’une lutte acharnée à la fois contre la société, le dérèglement de leur cellule familiale et eux-mêmes. Joy relate une nouvelle fois l’histoire d’un combat, celui d’une rêveuse face à la pression sociale. Cette idée s’incarne à merveille lors d’une séquence de télé-achat dans laquelle Joy tente de vendre son invention sans en respecter les codes stéréotypés. Le balai « Miracle Mop » n’est ici rien d’autre que la matérialisation du rêve et de l’esprit créatif de Joy, la seule ici à atteindre une forme d’american dream par une persévérance inébranlable digne d’un personnage de Sidney Lumet. Si l’on peut regretter un dernier acte plutôt conventionnel comparé à l’énergie dingue déployée dans le reste du film, le final est quant à lui un magnifique pied de nez à tous les biopics académiques qui contaminent Hollywood à l’heure actuelle. En faisant du succès de Joy rien d’autre qu’un futur possible, un rêve lointain, David O. Russell détourne ainsi le happy end propre au genre par une touche douce-amère qui synthétise bien l’intention du projet. A l’instar du spectateur, le cinéaste ne s’est jamais intéressé à l’invention de cette serpillère, mais à la revanche d’une femme sur les conventions sociales et un système patriarcal qui voudraient la cantonner à son rôle de ménagère. Si le sujet de Joy peut refroidir, une fois passé ce préjugé, comment ne pas se laisser transporter par sa mise en scène ahurissante, ses acteurs prodigieux et son énergie communicative ?

Réalisé par David O. Russell, avec Jennifer Lawrence, Robert De Niro, Bradley Cooper

Sortie le 30 janvier 2015.