The Hateful Eight, ou la belle brochette d’enflures.

En Janvier de l'année dernière, on pensait le projet enterré et le réalisateur irrémédiablement fâché avec ses acteurs suite à la fuite du scénario. A l'époque, Tarantino clamait " Je le publierai. J'en ai assez. Je vais passer à autre chose. " Le réalisateur mettait en cause les dépositaires du scénario, des personnes en lesquelles il lui semblait ne pas pouvoir placer sa confiance. Le temps passant, Tarantino s'est amusé à distiller les indices sur le projet et ses éventuelles transformations : tantôt roman, lecture publique ou pièce de théâtre. Finalement, et depuis mercredi dernier, est dans les salles obscures. Et si vous choisissez de le voir en 70mm, le format que le réalisateur a décidé de déterrer -car inutilisé depuis 1966- pour donner aux paysages toute leur ampleur, il faudra vous installer confortablement pour un peu plus de trois heures de projection ainsi qu'une entracte de huit minutes, le temps de changer de bobine. Pour toutes ces raisons, il y avait de quoi craindre le ratage ou le fiasco complet. D'autant plus que le film a été égratigné par la critique -Les Cahiers, Le Monde, entre autres-. Et pourtant, soyons francs, le huitième film de Tarantino est un très bon divertissement ! Ce pseudo-western, qui se déroule peu après la Guerre de Sécession, voit le chasseur de primes John Ruth pris au piège d'une auberge peuplée d'inconnus lors d'un menaçant blizzard. Evidemment, et selon les bonnes recettes du père Quentin, qui dit inconnus sévèrement burnés et coincés ensemble dans une petite auberge au milieu de la neige, dit mensonges et règlements de comptes sanglants.

The Hateful Eight, ou la belle brochette d’enflures.

The Hateful Eight c'est un peu une impasse mexicaine géante, tant métaphorique que littérale. Pour rappel, l'impasse mexicaine est une situation où trois personnes -au minimum- se menacent mutuellement. Ainsi aucun d'entre eux n'a intérêt à attaquer en premier puisqu'il s'expose irrémédiablement au dernier restant. C'est une figure dont Tarantino, amateur de western, raffole. Ce qui fait tout le sel du film c'est donc cette situation de méfiance et de défiance que chaque personnage a pour les autres. Comme à son habitude, le réalisateur nous livre des personnages finement ciselés et aux passés chargés, ce qui donne lieu à des dialogues denses et jouissifs. Les personnages sont tous d'odieux enfoirés, prêts à tout pour leur enrichissement personnel ou établir leur version de la justice. Les acteurs sont tous très bons, avec une mention spéciale pour Tim Roth dont le jeu n'est jamais aussi délectable que quand il joue auprès de grands réalisateurs -Tarantino et Hanneke, par exemple-. Et Samuel L. Jackson, bien évidemment, flamboyant qui fait du ramdam. Les dialogues sont autant d'occasions d'entendre le Tarantino politique. En effet, depuis Inglorious Basterds, le metteur en scène prend un malin plaisir à détruire les figures d'oppresseurs qui ont parcouru l'Histoire de l'humanité. On songe aux nazis d' Inglorious Basterds bien sûr, mais aussi avec Django Unchained , et maintenant The Hateful Eight, à l'Amérique esclavagiste et white supremacist. Certains trouveront que cette tendance nouvelle est indigeste et forme un fabuleux egotrip. Pourtant tout le cinéma de Tarantino n'est qu'un gigantesque egotrip et c'est ce qu'on aime. Lorsqu'une équipe se fait plaisir sur un tournage c'est là que le résultat devient honnête et convainquant.

The Hateful Eight, ou la belle brochette d’enflures.

The Hateful Eight ne déroge pas à la règle : on y retrouve tout l'amour de Tarantino pour le western, sa revisite façon pulp et gore mais également des clins d'œil à sa propre filmographie - Reservoir Dogs notamment- jusqu'à l'auto-parodie. On apprécie la photographie, les somptueux paysages et la composition des plans. Les cadres donnent toujours l'impression d'être pleins, que ça soit grâce à la disposition des acteurs, la technique de la demi-bonnette, les épais costumes, les accessoires ou les décors fourmillant de détails. La BO d'Ennio Morricone, toute en réinterprétation, est judicieuse et rythme agréablement l'action. Cette pièce en cinq actes et à la narration éclatée tient en haleine. Dès que les huit salopards se retrouvent en huis-clos on ne peut s'empêcher de scruter chaque parcelle de l'écran à la recherche d'un indice sur l'identité du traître. On s'amuse aussi des clins d'œil appuyés de Tarantino, qui interviennent dans la deuxième moitié du film, et sur lesquels je ne tiens pas à m'étaler car les évoquer risquerait de déflorer l'intrigue. En somme, The Hateful Eight vous obligera à trancher : vous allez très certainement le détester ou l'adorer. C'est irrévérencieux, malin et parfois outrancier ; et même si ce n'est pas la meilleure de sa filmo, voilà une addition bien sympathique. Pour ma part, ce fut un très bon moment en salle.