Laurence Anyways – Une femme avec une femme

LAURENCE-ANYWAYS-Melvil-Poupaud-@Clara-PALARDYLaurence Anyways est une œuvre de cinéma unique qui interpelle d’emblée par ses qualités plastiques flamboyantes et l’intelligence de sa réalisation. Les couleurs nineties pétaradantes sont là pour souligner l’excentricité feinte de la société conservatrice dans laquelle notre couple (Laurence homme/femme – Melvil Poupaud et Fred – Suzanne Clément) devra évoluer. Les coiffures ubuesques et autres vêtements bariolés jurent avec la réalité des visions étriquées.

La technique est un vrai régal et les sentiments se révèlent par le truchement du cadre et des sons, grâce notamment à une sélection musicale particulièrement appropriée – les chansons pop-rock se mêlant à la variété et aux morceaux plus expérimentaux et acérés qui assaillent pour mettre en évidence la désorientation des personnages. Le format 4:3 et le choix des prises de vues (gros plans, acteurs minuscules en fond de couloir) terminent d’assoir ce sentiment de mal être et d’étouffement. Le monde baroque inauthentique est là pour souligner la véracité des sentiments qui unissent Laurence et Fred, envers et contre tous.

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Xavier Dolan pose d’ailleurs dés l’introduction les bases de sa réflexion sur l’individu en se concentrant sur les divers regards de la rue auxquels Laurence doit faire face. Le réalisateur s’intéresse autant aux entités seules qu’au groupe et ses conséquences sur notre perception du monde. La première apparition du protagoniste principal est fantomatique et mystérieuse, à la limite du surnaturel, comme pour marquer la différence de Laurence mais aussi celle de Fred – la singularité de leur amour menacé.

Le couple est survolté tout au long du récit et semble en souffrance même dans son soi-disant bonheur initial, prit dans une passion des extrêmes que l’on imagine destructrice. Cette douce folie va s’aggraver avec le changement d’identité sexuelle de Laurence et son désir de liberté qu’il voit peu à peu être réprimé ou contrarié (regards des autres, licenciement, réactions des proches etc.).
Le film démarre après trente cinq années de non-vie pour Laurence, au moment de l’explosion révélatrice qui chamboulera tout son monde. Notre antihéros fait preuve d’un grand courage mais aussi d’un égoïsme qui se révèle autant dans ses attitudes que dans ses intentions, puisque sa compagne doit aller jusqu’au sacrifice et à la négation de ses propres désirs. Le métrage évoque avec brio la découverte de l’autre au cœur d’une histoire anticonformiste.

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Laurence Anyways est l’œuvre la plus complète du jeune prodige Xavier Dolan. Loin des circonvolutions nombrilistes de J’ai tué ma mère ou de la vacuité formelle des Amours Imaginaires, le réalisateur signe ici une épopée mémorable et audacieuse sur le cycle amoureux et les modèles rétrogrades de notre société. Une expérience totale et bouleversante.