Au cinéma : «Star Wars : Le réveil de la Force»

Cette critique aurait pu s’appeler « Comment je suis tombée dans le piège tendu par J.J. Abrams (et Disney) ». Je suis comme n’importe quelle autre fan de ma génération. J’ai découvert les films à la télé, sur des cassettes enregistrées, dans une VF pas pas si mal faite et une version où le spectre d’Anakin avait les traits de Sebastian Shaw. J’applaudissais à l’apparition de chaque personnage à l’écran quand j’ai pu voir la première trilogie au cinéma en 2007 pour la convention Star Wars.  Je trouve le sarcasme de Han Solo et l’humour de la trilogie originale bien plus cool que les pitreries de Jar Jar. Je chante à tue tête les mélodies de John Williams à chaque générique, et j’entends toujours le thème principal après une intro’ 20th Century Fox. Je rêvais de me découvrir des pouvoirs de Jedi et de pouvoir voyager à travers la galaxie. Et c’est vrai, je me suis demandée ce qu’il se passait « après », après le VI, après Endor, après que l’équilibre a été rétabli. Alors j’ai dévoré fanfictions et univers étendu, j’ai construit mes propres théories… Avant de me faire à l’idée que leur avenir resterait à tout jamais à disposition de notre imagination, parce que Lucas avait préféré raconter un « avant » pas forcément nécessaire.

Et puis il a revendu ses droits à Disney ; nous étions tous méfiants, voire dégoûtés -mais pas surpris. Dans la foulée, annonce de nouveaux films dont des spin-offs, une série et tutti quanti -ou le syndrome Marvel Cinematic Universe. Mais surtout, annonce d’une suite, un « après » ; encore plus de méfiance. Disney ne pouvait que s’attendre à ça de la part des fans. Et l’empire hollywoodien a parfaitement su comment nous faire croire que Star Wars n’avait pas basculé du côté obscur : J.J. Abrams aux commandes, reprises d’idées de George Lucas, esthétique semblable à la trilogie originale, mêmes techniques de tournage… Et surtout, surtout, on évite les écueils de la prélogie -Abrams annonce même avoir voulu « tuer » Jar Jar !

558848

Le premier teaser est sorti. Il était splendide, nous avons tous été conquis, et le piège s’est peu à peu refermé. Un an plus tard, Le réveil de la Force est dans les salles. Et J.J. Abrams a réussi son pari. Pendant deux heures, le spectateur visite une galaxie lointaine, très lointaine, découvre des planètes, est plongé au cœur de batailles spatiales, rencontre des personnages formidables, se pose des questions, rit, frémit. Star Wars, quoi.

Abrams se pose en parfait héritier de ses héros assumés Lucas et Spielberg, et fait de  Le réveil de la Force un blockbuster ultime, un divertissement de toute beauté qui répond aux attentes qui pesaient sur lui. L’intrigue simpliste, le scénario déjà-vu, ne surprennent certes que rarement. Les protagonistes eux-même s’en rendent compte, et on pourrait presque compléter certains dialogues. Mais c’est parce que Le réveil de la Force est avant tout un hommage. Un film réalisé par un fan, pour les fans, pour célébrer une saga qui fait toujours vibrer malgré ses défauts, et en dépit du cynisme mercantile qu’elle a entraîné. Aucune autre saga cinématographique n’aura eu cette aura, preuve en est de l’attente qui régnait autour du 16 décembre. Et c’est peut-être pour cela, aussi, qu’il est si dur de lui donner une suite.

forceawakens4-xlarge

Plus qu’une suite, donc, un hommage. « Un reboot », disent déjà les mauvaises langues. Attendons de voir ce qu’il en sera pour le reste de la trilogie, peut-être sauront ils nous surprendre -après tout, il y a quelques pistes intéressantes à explorer. Peut-être même que dans quelques années, nous finirons Le retour du Jedi en pensant « Oh, il faut que je voie ce qu’il leur arrive après, je vais regarder les VII, VIII et IX ! » Mais laissons ces questions de côté pour se pencher sur le film dont cette critique porte le nom.

Ce nouvel opus va plus loin, par plusieurs aspects, que ses prédécesseurs. Signe des temps qui changent, volonté de la production, ou simple effet de meilleures techniques qu’en 1977 ? Certaines scènes sont plus détaillées que leur équivalente de La guerre des étoiles. Mais surtout les personnages, en particulier les nouveaux tant attendus, sont finalement plus creusés que Luke, Leia et Han lorsqu’on les découvrait à l’écran.

Lucas avait en 1977, avec brio, brodé sur les figures du jeune premier « élu », de la princesse en détresse, de l’anti-héros un peu filou, et du chef de guerre implacable. Certains de ces anciens apparaissent en 2015 moins lisses, moins linéaires, plus imparfaits après les épreuves traversées. Leurs failles apparaissent au gré de dialogues très savoureux. Ces héros ne sont pas si invulnérables, ne savent pas tout régler d’un coup de blaster.

Screen_Shot_2015-04-16_at_1.38.59_PM.0

La meilleure découverte de ce film reste Rey, et son excellente interprète Daisy Ridley, à suivre. Dans une splendide séquence sur Jakku, on découvre au gré de la musique de John Williams une jeune femme solitaire qui vit dans les ruines de l’Empire. Rêvant d’un futur plus agréable que le présent sur sa planète en forme de désert, elle n’est pas sans rappeler le jeune Luke Skywalker. Mais sa personnalité est plus creusée, et ses fêlures plus apparentes malgré sa bravoure. Finn (John Boyega) est un compagnon d’aventure comme il en faut dans un univers hostile : sympathique et loyal jusqu’au bout. D’autant que l’enthousiasme de l’acteur, fan assumé, transparaît à l’écran de manière contagieuse. Et n’oublions pas l’adorable BB-8, digne héritier de R2-D2, en moins insolent et plus Disney (l’inspiration Wall-E est évidente), et Maz, une vieille sage que l’on espère revoir.

Le grand méchant tant attendu, Kylo Ren (Adam Driver), n’est peut-être pas aussi grand que son prédécesseur -mais comment se mesure à Darth Vader ?- mais il introduit un potentiel dramatique plus fort qu’Anakin Skywalker ne le faisait. Et ses joutes verbales avec le général Hux (Domnhall Gleeson, à la condescendance jubilatoire) ne sont pas sans rappeler les mythiques disputes de Vader et du Grand Moff.

Star-Wars-7-Trailer-3-Kylo-Ren-Starkiller

On retrouve finalement dans ce Star Wars ce qui fait la force de la saga : une galerie de personnages attachants ou que l’on adore détester, et qui, chez les « gentils », ont pour eux une diversité et une humanité plus prononcée. Et surtout, pas de Jar Jar. Hollywood aurait-il compris que les héros « parfaits » et si standardisés qu’on ne peut s’identifier sont dépassés ? Cela reste à voir, mais ce Star Wars très vintage apporte là une touche de fraîcheur bienvenue.

La fraîcheur repose aussi sur les splendides décors d’un univers familier mais finalement à peine exploré. On en découvre de nouvelles planètes, semblables à d’autres mais avec toujours ce petit « truc » en plus. La maison de Maz qui évoque la cantina de Tatooine à l’intérieur, est un chef d’oeuvre d’architecture à l’extérieur. Loin des excès d’effets de la prélogie, ce nouvel opus renoue, comme annoncé, avec ce qui faisait le charme de la trilogie originale : le rouillé, le brinquebalant, le rugueux sont à nouveau là. Mais l’on est en 2015, les effets spéciaux sont donc bien visibles (plus réussis que ceux de la fin des années 90 peut-être) et le rythme est très rapide. Un peu trop, sans doute, car une fois la première partie finie tout s’enchaîne sans laisser le temps de respirer.

Je ne peux enfin oublier la musique de John Williams, sans qui Star Wars ne serait pas Star Wars. Avec ses thèmes bien connus réarrangés, et des mélodies superbes (Rey’s Theme n’est pas loin d’égaler The Force Theme) il emmène le spectateur encore plus haut dans les étoiles, comme personne à part lui ne sait si bien le faire. On le pressentait déjà avec les teasers, la bande originale est une fois de plus une partie intégrante de cette saga qui recommence, pour le plus grand bonheur des fans.

J’aurais adoré sortir avec des étoiles dans les yeux, et l’impression d’avoir découvert un nouvel univers fabuleux. J’aurais finalement vu de bien belles étoiles, et retrouvé avec plaisir une galaxie familière. Sans grosses surprises, mais avec quelques innovations bienvenues. Il reste maintenant à attendre la suite, qui pourrait être fade et non nécessaire, ou aller plus loin que le simple hommage, et rendre cette trilogie aussi grandiose et indispensable que la première.

052074

Star Wars : Le Réveil de la Force. De J. J. Abrams. Avec Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac, Adam Driver, Harrison Ford, Carrie Fisher, Mark Hamill, Lupita Nyong’o, Andy Serkis, Domhnall Gleeson, …

Sortie le 16 décembre 2015.