Critique – Une jolie fille comme ça – Alfred Hayes

Une jolie fille comme ça, un bijou de roman qui remonte à la surface plus d'un demi-siècle plus tard.

Comment a-t-on pu attendre aussi longtemps pour traduire Une jolie fille comme ça d'Alfred Hayes, paru aux Etats-Unis en 1958? Qu'est-ce qui peut expliquer ce retard, magistralement réparé par la superbe traduction d'Agnès Desarthe dont nous avons parlé récemment avec Ce coeur changeant. Ce livre et son auteur devraient très vite rejoindre Chandler, pour l'atmosphère poisseuse des bars, et Carver, pour le style incisif sur l'acidité humaine, dans la littérature américaine des années 50. Mais sans réponse à cette question partons à la rencontre de cette superbe créature et de son auteur à la plume aiguisée.

Critique – Une jolie fille comme ça – Alfred Hayes

Un sauvetage inespéré

Au cours d'une soirée quelque peu ennuyeuse, un scénariste en vogue sort quelques minutes observer l'océan quand il aperçoit une femme, un verre à la main, se précipiter dans la mer. Quand il se rend compte qu'elle veut se noyer, il court vers elle, la sauve et la ramène sur le sable. Quelques jours plus tard, elle lui téléphone pour le remercier et il en profite pour l'inviter à dîner. Commence alors une relation entre ces deux êtres, dont on ne connait pas les prénoms, qui ne va pas s'avérer exempte de dangers ni de plongées dans l'enfer de chacun.

C'était franchement dommage une jolie fille comme ça. Tant d'autres vies auraient pu lui ouvrir leurs portes, elle aurait pu avoir tant d'autres occasions. Il lui aurait suffi de le décider. Mais l'orgueil, ou quelque chose qui y ressemblait, l'en empêchait. Une jolie fille comme ça, p.45

Un naufrage à deux

Homme marié, le scénariste, séduit par cette actrice sans rôle qui rêve et fait croire à sa famille qu'elle est à l'aube d'une grande carrière, poursuit cette relation venimeuse qui permet à Alfred Hayes de nous donner des preuves de son immense talent de chirurgien des âmes. Dans un style précis, il sait nous raconter avec fluidité les différentes occasions où ces deux êtres se croisent, comme à Tijuana pour assister à une corrida, mais aussi et surtout faire surgir les âmes sombres, les tourments et les faux semblants de cet homme et de cette jolie fille comme ça. Ombres sournoises qui ne cessent de roder autour d'eux, elle avec sa fragilité psychologique extrême et lui par sa duplicité pitoyable.

J'en avais tant dit, elle s'était tue si longtemps, la chandelle avait tant tardé à mourir, l'air de la pièce lui-même s'était à ce point chargé que, la serrant dans mes bras et oubliant un instant qui j'étais et qui elle était, dans ce moment lesté, j'entendis quelqu'un murmurer " Je t'aime ", quelqu'un qui se fondit en moi. Je me figeai. Elle semblait ne pas voir remarqué les mots, ces mots qui avaient immédiatement acquis un écho persistant et désastreux, et respirait calmement, la tête sur l'oreiller, apparemment sourde à l'onde qu'ils avaient provoquée. Une jolie fille comme ça, p.111

Le style sans concession de Hayes attire la sympathie du lecteur pour ces deux personnages qui se brisent intérieurement, chacun dans leurs dilemmes personnels, et donne à Une jolie fille comme ça une coloration de roman noir et de désespoir irréversible au sein d'un monde, le cinéma américain des années 50, où beaucoup d'autres ont noyé leurs illusions dans cet océan de faux semblants et de pacotille. Un livre court, incisif, redoutable sur les noirceurs et les faiblesses de l'âme humaine.

Un autre avis sur Une jolie fille comme ça: http://www.lesinrocks.com/2015/10/27/livres/une-jolie-fille-comme-ca-dalfred-hayes-lours-et-la-poupee-11782947/

Critique - Une jolie fille comme ça - Alfred Hayes

  • Le style incisif
  • Les personnages
    Les 57 ans d'attente avant la traduction

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  • Titre : Une jolie fille comme ça
  • Année de sortie : 2015
  • Maison d'édition : Gallimard
  • Auteur : Alfred Hayes
  • Nombre de pages : 167