SICARIO : Le bout du tunnel ★★★★☆

Un nouveau bijou signé Denis Villeneuve.

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Après la complexité retorse de ses chefs-d’œuvre Prisoners et Enemy, il est intéressant de voir le talentueux Denis Villeneuve s’attaquer à une histoire beaucoup plus simple, au récit limpide et linéaire. A vrai dire, Sicario ne parle que de ça : avancer, malgré les obstacles ; avancer, vers les ténèbres, même si la lumière est derrière vous. Ce voyage, l’agent du FBI Kate Macer (incroyable Emily Blunt) va le faire en acceptant de rejoindre une équipe de la CIA dans la guerre des États-Unis contre les cartels mexicains. A son grand désarroi, son idéalisme ne ressortira pas intact de cette aventure où les méthodes de ses collègues égalent celles de leurs ennemis. Mais le plus fascinant, c’est que cette façon de combattre le mal par le mal s’avère payante. En effet, en sortant de la salle, on se rend compte que la progression de Sicario se déroule sans accrocs. Même quand elle semble en proie au danger, Kate est en réalité surveillée par son insupportable supérieur (Josh Brolin, impeccable) et par son mystérieux allié (Benicio Del Toro, magistral). Face à l’interaction très intellectuelle que ses précédents films demandaient au spectateur, Villeneuve prône ici une pure sensitivité à l’efficacité redoutable.

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Néanmoins, Sicario s’inscrit parfaitement dans la filmographie de son auteur en reflétant sa croyance dans le pouvoir de l’image. Le scénario ne s’attarde pas (ou peu) sur l’histoire de ses personnages. Il file droit dans l’action, vers sa mission aux motifs assez flous, à l’instar de sa file de 4×4 partie chercher un prisonnier au-delà de la frontière mexicaine. Cette séquence, où l’escouade finit bloquer dans un embouteillage suspect, est le cœur du long-métrage. Malgré la simplicité déconcertante avec laquelle ils règlent le problème, le cinéaste parvient à créer une tension insoutenable par la force de sa mise en scène et de son montage (notamment par une utilisation habile du champ contre-champ, qui engendre une sensation de méfiance à chaque changement dans un cadre, comme un jeu des sept différences). Il réussit à nous faire ressentir les émotions les plus profondes de son héroïne avec trois fois rien, nous mettant la pression malgré son accumulation d’anti-climax assez brillants. Sicario repose sur l’attente, sur cette force de l’invisible et de l’appréhension, à l’image de celle qu’impose cette frontière symbolique mais matérialisée par des barrages, définissant deux styles de vie très différents, quand bien même leur proximité est effarante, surtout au vu de la mondialisation culturelle actuelle.

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Villeneuve souligne donc une forme d’irréalité qui ne fait que mieux rendre compte de la brutalité de la vérité. Tel un écran sur l’écran, les plans en vision thermique donnent un effet de négatif, comme fantomatique, faisant disparaître les êtres du monde qu’ils tentent de défendre. La photographie toujours exceptionnelle de Roger Deakins, elle, magnifie la violence par son âpreté et sa brièveté, que la lumière capte pour la transcender. C’est pour cela que Sicario plonge petit à petit dans l’obscurité, dans la noirceur d’un univers où la cruauté et banalisée. En voulant maintenir utopiquement l’intégrité de leur territoire (qu’il ont déjà perdu), les hommes en viennent à côtoyer la terre et ses souterrains, se perdant dans un labyrinthe de tunnels qui les rabaissent et les ostracisent. Aveugles, ils se moquent de l’impact néfaste de leurs actions, que Villeneuve amène par un montage alterné faisant se croiser les destins, de façon bien plus subtile qu’un Iñárritu. La linéarité de Sicario a ainsi pour sens de détruire le mythe de la démocratie et de la justice américaine par le prisme de son personnage principal, femme dont l’intégrité et le courage sont mis à mal par ce « territoire des loups » (dixit Benicio Del Toro) dans lequel elle s’est engouffrée. Elle est l’outil de démythification du réalisateur, un regard innocent mais impuissant, qui laisse le silence l’emporter sur les tortures et les meurtres. Derrière le divertissement, derrière les mensonges, derrière la fiction, il y a des vies, des vraies, qui subissent. C’est ce que montre brillamment la dernière séquence de Sicario, comme un recul soudain sur sa narration. L’amour de Denis Villeneuve pour le thriller, dont il a parfaitement compris les codes, prouve que le réel est finalement encore plus glaçant.

Réalisé par Denis Villeneuve, avec Emily Blunt, Josh Brolin, Benicio Del Toro

Sortie le 7 octobre.