Une enfance

Une enfance


Avec Alexi Mathieu, Angelica Sarre, Pierre Deladonchamps,

Jules Gauzelin, Patrick d'Assumçao, Fayssal Benbahmed

Une petite ville industrielle de l'est de la france, coincée entre banlieue et campagne, canaux et vergers à l'abandon. C'est la fin de l'année scolaire.


Le logement qu'ils occupent tous les quatre est la plupart du temps le lieu de fêtes où alcools et drogues sont au rendez-vous. Les enfants poussent comme ils peuvent dans ce contexte et Jimmy, malgré son jeune âge, se doit souvent d'agir en chef de famille, en ménagère, en cuisinière, en grand frère responsable assumant tous les rôles délaissés par sa mère et son beau-père de circonstance.


Jimmy souffre de voir sa mère souffrir, et de la savoir sous la coupe d'un homme aussi perdu et aussi irresponsable qu'elle, qui la maintient sous sa dépendance et celle de ladrogue qu'il lui fournit. On sent monter peu à peu une grande violence chez l'enfant mais on se demande bien contre qui, contre quoi, elle va pouvoir se porter.

Toute la lumière de l'été et la singulière beauté de la nature et des friches industrielles dans lesquelles il erre ne peuvent apaiser sa douleur et sa rage. Et à mesure que l'été, indifférent, se déroule, les ingrédients d'une tragédie se mettent en place, une tragédie au sein de laquelle l'innocence et la violence entreront en fusion.

Une enfance

Extraits de l'entretien avec le réalisateur réalisé par Laurence Halloche
aux Films du Losange / Juin 2015.

Une Enfance est un film qui marque un renouveau dans votre cinéma. Pourquoi cette envie de rebattre les cartes après trois longs-métrages ?

Je me rends compte qu'il m'arrive souvent de créer contre ce que j'ai fait précédemment, pour les livres ou les films.
Avant l'Hiver jouait sur certains attendus classiques du cinéma. Par son casting - Kristin Scott Thomas, Leila Bekhti, Daniel Auteuil et Richard Berry - par le format cinémascope, par la géométrie des cadres, l'esthétisation de la lumière, des décors, la fluidité des mouvements de caméra, tout indiquait au spectateur qu'il regardait un objet construit, un exemple codifié appartenant à l'art cinématographique dans ce qu'il a de plus accepté. Après ce film, j'ai eu très vite le désir d'autre chose. en terme d'objet, mais aussi en terme de fabrication : avant même de savoir quel sujet j'allais écrire, j'étais résolu à avoir une équipe qui soit la plus réduite possible pour pouvoir limiter les entraves techniques. Je voulais avoir plus de liberté, de réactivité, de souplesse dans mon travail, être mobile sur les lieux de tournage. J'étais décidé à faire en sorte que la technique soit l'accompagnement d'une volonté artistique et pas l'inverse. S'ajoutait à cela le désir de travailler avec des visages méconnus ou inconnus afin de confronter le spectateur à un univers proche du sien, dans lequel il pourrait aisément se reconnaître ou reconnaître des gens qu'il pourrait croiser dans la vie. Et puis, je rêvais depuis longtemps de filmer la petite ville où je suis né et où je vis, une ville singulière, mi industrielle, mi campagnarde, et dont la composition sociologique permet de parler d'une certaine France d'aujourd'hui. Pour que tout cela puisse se faire, il fallait que je me sente appuyé et compris : j'ai eu la grande chance de rencontrer Margaret Menegoz sans laquelle ce film n'aurait pas pu naître. On ne parle jamais assez, je crois, de l'importance du travail d'un producteur pour un metteur en scène, de la confiance, du soutien qu'il ou elle lui prodigue et qui est essentiel pour qu'il puisse avancer et tenir.

Vous êtes né à Dombasle-sur-Meurthe, vous y avez grandi, vous y vivez encore. indépendamment du lien affectif qui vous unit à cette ville, quel intérêt cinématographique a-t-elle ?

Dombasle est une cité industrielle située dans l'extrême banlieue de Nancy, en lisière de campagne. L'une de ses spécificités est d'avoir été modelée par la présence, dès la fin du XiX
ème siècle, d'une grosse usine qui fabriquait et fabrique encore, du carbonate de soude. Le groupe belge Solvay à qui elle appartient avait une philosophie paternaliste : il a fait construire des logements pour tous ses employés, de l'ouvrier au directeur, des écoles, une bibliothèque, un hôpital, un stade, une salle des fêtes. Ces bâtiments ont la particularité d'être en brique rouge comme en Belgique ou dans le nord de la france, ce qui est très inhabituel en lorraine. Ce qui peut surprendre aujourd'hui c'est que bien des rues ont d'un côté des cités ouvrières comme celles dans laquelle habite Jimmy, le personnage principal, et de l'autre des maisons bourgeoises d'ingénieurs, de directeurs, à l'image de celle où a lieu le goûter d'anniversaire dans le film. Les deux décors, dans la réalité, se font face : dix mètres à peine les séparent. On ne connaît plus aujourd'hui pareille proximité entre des classes sociales très différentes. Depuis longtemps la géographie de nos habitats s'est modelée en fonction d'une géographie des revenus. Une autre curiosité de Dombasle, c'est l'intrication de la nature dans la ville. On ne voit jamais, il me semble, ce genre de paysage au cinéma. dans cette ville, on passe sans transition d'un champ avec des vaches à un entrepôt industriel, des bords bucoliques d'une rivière ou d'un canal au corps monstrueux et bruyant d'une sorte de haut-fourneau. La nature est présente partout, et pas seulement dans les jardins ouvriers de la barre de cités ouvrières où nous avons tourné, dont l'abandon parle aussi de la fin d'un certain modèle social et d'un mode de vie. Là encore, les cartes semblent battues d'une façon qui n'existe plus guère aujourd'hui où les paysages sont soit industriels ou postindustriels, soit campagnards. ici, tout coexiste, tout cohabite, tout s'interpénètre. Visuellement, c'est bien entendu quelque chose de formidable à exploiter, et cela permet aussi d'enrichir la psychologie et le parcours de Jimmy.

Notez que Une enfance , hélas, pourra être considéré également et de façon indirecte comme un documentaire puisque les cités ouvrières où vit Jimmy ainsi que les jardins qui en dépendent ont été malheureusement détruits et rasés dès la fin du tournage.

Une enfance. Une enfance

Jimmy est de toutes les scènes ou presque. A-t-il été difficile de trouver un jeune comédien pour assumer cette responsabilité ?

J'avais envie que l'enfant soit d'ici, qu'il ait 13 ans environ mais en paraisse moins et ne soit pas trop grand. Avec Claire Lefèvre, une des mes anciennes étudiantes de cinéma qui m'aide pour les castings, nous avons lancé des petites annonces, radios, télé, interne. nous avons reçu des centaines de dossiers. Le visage et la voix de l'enfant devaient correspondre à ce que j'imaginais. J'ai fait une première sélection sur photos, puis une autre après une présentation filmée, puis une troisième après des essais et un jour, deux mois avant le début du tournage, est arrivé un garçon, Alexi Mathieu, que j'avais dans un premier temps éliminé sur photo par la faute d'une coupe de cheveux qui transformait son visage et son expression. Ma femme avec laquelle je travaille constamment m'a convaincu tout de même de le rencontrer. Ce jour-là, c'est ma fille qui filmait les essais. Quand Alexi s'est arrêté, ma fille et moi nous sommes regardés, stupéfaits : c'était lui. avec une évidence qui était incroyable. Ce qui est assez drôle, c'est qu'il habite à cinq kilomètres de chez moi.

Il n'avait aucune expérience cinématographique. Quelles ont été les principale difficultés pour lui ?

Jules Gauzelin, qui joue Kevin son demi-frère, ont à l'évidence un don naturel pour la comédie, mais la grosse difficulté qu'ils devaient affronter était la concentration. Quand pour la première fois les enfants ont rencontré Pierre Deladonchamps et Angélica Sarre qui interprète Pris, cela ne s'est pas bien passé. Alexi et Jules riaient sans cesse. il fallait que ces enfants comprennent que jouer comporte une part ludique, mais qu'il s'agit aussi d'un vrai travail qui demande un sérieux et une implication constants. J'ai donc édicté des règles sur lesquelles nous nous sommes mis tous les trois d'accord. J'ai aussi beaucoup travaillé avec eux en inventant des exercices de respiration, de relaxation, en m'aidant de techniques que m'avait communiquées une sophrologue. J'ai également demandé à l'équipe technique de ne pas plaisanter avec Alexi et Jules durant les premiers jours, mais d'adopter avec eux l'attitude polie, professionnelle et réservée qu'ils auraient eue avec n'importe quel comédien adulte. Mais très vite, dès que nous avons été dans le bain du tournage, les enfants ont compris à quel point le cinéma est un art de la précision, de la technique, de la rapidité d'exécution et de la discipline. ils ont alors été formidables et ont dépassé toutes mes espérances. C'était un pari dangereux évidemment puisque tout reposait sur eux, sur Alexi en particulier.

Une enfance

Pierre Deladonchamps est né à Nancy, il a reçu le César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans L'inconnu du lac d'Alain Guiraudie. Il avait tout pour vous plaire.

J'avais trouvé formidablement réussi le film de Guiraudie. Je ne savais pas que Pierre était lorrain. Nous nous sommes trouvés ensemble au festival de Gand où je présentais Avant l'Hiver. Au restaurant, nous discutions, Pierre et moi, lorsque ma femme m'a dit à l'oreille :
"c'est lui Duke ! " elle avait absolument raison. Je lui ai fait faire un essai pour le plaisir de le filmer, mais ma décision était prise.

Une enfancePierre est un très bon comédien qui, s'il trouve les opportunités et fait les bons choix, peut connaître une grande carrière. Il peut tout jouer. Vraiment. et ses transformations physiques sont impressionnantes. Je voulais dans ce film qu'il soit comme un serpent, un couteau, un squale, une sorte de lame menaçante.

J'ai eu également le plaisir de confier à Patrick d'Assumçao le rôle de l'instituteur. Patrick jouait aussi dans Pierre. Et d'ailleurs, si on ajoute Une enfanceL'inconnu du lac avec Angelica Sarre et Fayçal Benhamed qui joue Mouss, ce sont les quatre seuls comédiens professionnels d'Une enfance . Tous les autres rôles sont tenus par des habitants de Dombasle ou des environs.

Angelica a été une réelle découverte pour moi. C'est une jeune comédienne qui m'avait contacté à l'issue de sa formation de comédienne, il y a quelques années. Je n'avais pas pu la rencontrer mais j'avais conservé ses photos. Quand j'ai écrit le rôle de Pris, j'ai immédiatement vu son visage. n'hésite pas à se montrer parfois physiquement à son désavantage, ce qui n'est pas fréquent chez les comédiennes dont certaines sont hantées par l'image qu'elles vont laissées d'elles-mêmes. Parfois elle est une Pris rayonnante, solaire, parfois, elle confine à la laideur. Tout cela compose la vérité du personnage, et son intensité.

Une enfance

Philippe Claudel choisit sa ville de naissance et de résidence comme décor de ce dernier film. D'un côté, des enfilades de maisons ouvrières, de l'autre des maisons bourgeoises et des jardins parfaitement entretenus. "Les deux décors, dans la réalité, se font face : dix mètres à peine les séparent. On ne connaît plus aujourd'hui pareille proximité entre des classes sociales très différentes. Depuis longtemps la géographie de nos habitats s'est modelée en fonction d'une géographie des revenus." Précise le réalisateur.

Le principal protagoniste est quasiment de toutes les scènes. Sans aucune aide, il lui faut supporter, subir, tenir le rôle d'un père pour son jeune frère. Tout, à l'exception des activités normales que tout enfant aurait le droit de vivre. C'est sur ce point que le réalisateur/scénariste construit avec une certaine férocité toute la trame de ce long-métrage.

Le jeune Alexi Mathieu est convaincant et parfaitement crédible.

Des personnages, marginaux pour la plupart, vomissent des dialogues bourrés de ressentiment qui résonnent comme autant de clichés. Ceux-ci trouvent toutefois une réelle vraisemblance grâce à des acteurs de talent.

Patrick d'Assumçao en instituteur attentionné et compréhensif, est excellent tout autant qu'Angelica Sarre dans le rôle de la mère. Pour tenir le rôle de Duke, Philippe Claudel "voulait qu'il soit comme un serpent, un couteau, un squale, une sorte de lame menaçante". Son souhait s'est réalisé. Pierre Deladonchamps est parfait.