Sicario, ou l’équilibre du mal.

Comme à son habitude, Denis Villeneuve nous en met plein la vue avec son dernier film, , sorti le 7 Octobre dernier. Le réalisateur des très bons , Prisonners et , s'essaie au thriller d'action sur fond de guerre contre les cartels mexicains. L'argument du film est simple : Kate Macer, rookie du FBI spécialisée dans les kidnappings, rejoint un discret groupe d'intervention qui lutte activement contre le trafic de drogue. La jeune idéaliste se heurte bien vite aux pratiques de cette équipe spéciale. Le moins que l'on puisse dire c'est que Villeneuve réussi son incursion dans le cinéma d'action, et ceci avec classe. D'une histoire finalement assez simple, fait naître une incroyable tension dramatique et visuelle qui réside dans la place du spectateur, logé à la même enseigne que l'héroïne. Saluons au passage le choix d'une femme en tant que personnage principal fort, choix pas si évident aux yeux des studios et que le scénariste, Taylor Sheridan, n'a eu de cesse de réaffirmer. Le spectateur est donc laissé au même plan d'ignorance que la protagoniste, un parti pris simple mais essentiel qui permettra au film de ne pas s'embourber dans les interminables retournements de situation auxquels le genre est habitué. Les pièces manquantes au puzzle sont apportées avec résignation : sans grandiloquence, sans effet d'annonce. L'ignoble réalité est montrée toute crue à mesure que Kate démasque et surprend les arrangements de ses improbables collègues. Le constat du film reste sans appel : l'individu n'est rien face à la machine étatique qui écrase ses contrevenants les mieux intentionnés.

Sicario, ou l’équilibre du mal.

Certes, les sujets abordés n'ont rien de révolutionnaires. explore ainsi le thème de la frontière tant physique, entre le Mexique et les Etats-Unis, que morale, entre les malfrats de la rue et les barbouzes du gouvernement. Ainsi se pose l'éternelle question : la faim justifie t-elle les moyens ? Le réalisateur ne semble pas le penser tant la violence, omniprésente dans la narration, est quasiment expurgée de l'écran pour ne laisser apparaître que ses stigmates : corps mutilés, individus brisés et rues embrasées. La violence sourde est amplifiée par le caractère impavide du personnage de Benicio del Toro dont on devine la barbarie et la souffrance. Mais aussi par l'apparente décontraction du personnage incarné par Josh Brolin, un type capable d'aller bosser en short et tongs alors même que ses décisions vont transformer la géopolitique de toute une région. La sobriété avec laquelle Villeneuve explore ces thèmes éculés est assez rafraîchissante - même si Zero Dark Thirty avait déjà achevé d'ouvrir la voie dans ce sens -, notamment lorsqu'il en montre les rouages rationalisés et justifiés par la politique. plonge avec âpreté dans une réalité que l'on pourrait embrasser sans peine tant elle colle avec le cynisme ambiant de nos gouvernants. Et Denis Villeneuve de nous interroger sur la façon dont on supporte les nombreuses compromissions qui hantent nos vies.

Sicario, ou l’équilibre du mal.

En définitive, est un très bon thriller d'action qui tient de bout en bout son spectateur sous pression. La mise en scène aiguisée de Denis Villeneuve, l'atmosphère pesante que l'on doit à la bande son composée par Jóhann Jóhannsson et la superbe photographie de Roger Deakins s'associent parfaitement pour créer malaise et détachement. Les acteurs principaux, tous dans une incroyable retenue, sont impeccables dans leurs rôles respectifs. On retiendra également certaines séquences d'une grande prouesse technique qui concourent à faire de un film à la froideur millimétrée.