Continuons l’étude de l’arc dramatique de votre personnage avec la faille majeure de celui-ci. Incontestablement, cette faille dans sa personnalité est l’élément dramatique le plus évident pour déterminer la courbe que prendra son évolution psychologique au cours de votre histoire.
La faille majeure d’un personnage est ce qui doit le mener à sa perte s’il ne fait rien pour l’en empêcher. Et c’est justement cela son arc dramatique. Le personnage au cours des épreuves va apprendre à surmonter cette faille. Les différentes leçons qu’il apprendra au cours de son aventure, les prises de conscience qui les accompagnent vont lui permettre d’évoluer et d’échapper au destin fatal que lui avait prédit ce défaut majeur dans sa personnalité.
C’est donc avec cette faille que vous travaillerez sur l’arc dramatique de votre personnage.
La faille fatale
Tous les héros ont une faille majeure dans leur personnalité avec laquelle ils luttent quotidiennement.
Ce défaut peut mener un personnage à affronter des conflits spécifiques plus tard dans l’histoire. Lorsque le conflit prend sa source dans la faille au cours de l’intrigue, la réaction du lecteur est généralement assez intense car cette faille rend le personnage vulnérable. Et cette vulnérabilité reconnue par le lecteur est une voie royale pour l’empathie, elle renforce le lien entre le personnage et le lecteur.
Il faut distinguer cette faiblesse inhérente à la personnalité du personnage avec ce que Aristote dénommait l’hamartia. L’hamartia est une erreur ou une faute qui mène le personnage à sa perte. La faille est plutôt ce qui empêche le personnage de réussir, d’atteindre son objectif (elle est même une entrave plus sévère que le méchant de l’histoire).
Cette faille peut être aussi la cause d’une erreur tragique que fait le personnage. Par exemple, Neil McCauley aurait pu s’enfuir et s’en tirer à bon compte s’il n’avait cherché vengeance contre Waingro et Van Zant. Ce règlement de comptes a permis à Vincent Hanna de retrouver sa trace puis de l’abattre (Heat de Michael Mann).
Arrivé au sommet de sa réussite, Antonio « Tony » Montana fait plusieurs erreurs mais le point de non retour est atteint lorsqu’il refuse de participer à un attentat visant des personnes innoncentes et qu’il tue le bras droit d’Alejandro Sosa. Cette erreur (bien qu’il ait fait preuve d’humanité, c’est la faille de Tony) le conduira à sa mort (Scarface d’Oliver Stone, d’après le scénario de Scarface (1932) écrit par Howard Hawks et Ben Hecht, adapté du roman d’Armitage Trail).
La faille d’un personnage est comme une sorte de déficience ou parfois même une addiction. Nous vous proposons ci-après une faille sur laquelle vous pourriez baser le défaut majeur de votre personnage et par là, initier et développer son arc dramatique (c’est un exemple de faille, vous pouvez, bien sûr, inventer celle qui convient le mieux à votre histoire) :
L’ambition
L’ambition (du moins dans la majorité des scénarios) est résolument du côté du mal. Elle est incarnée par un personnage dont le but est d’améliorer sa situation que cela soit en termes d’argent, de notoriété ou de pouvoir. La probabilité est grande que ce personnage soit maléfique dès le début de l’histoire ou le devienne rapidement. Cependant, quoiqu’il fasse, ce type de personnage est très lucide sur ses buts et que ses intentions soient nobles ou non, il est suffisamment orgueilleux pour penser qu’il sait mieux que quiconque comment les atteindre.
Si votre antagoniste est ambitieux, cette ambition doit être démesurée.
Dans Gladiator, Marcus Aurelius veut faire de Maximus son héritier précisément parce que Maximus n’a aucune ambition de devenir empereur. Ce qui n’est pas le cas de Commodus qui tue son propre père lorsqu’il apprend qu’il ne sera pas choisi.
Dans Eve de Joseph L. Mankiewicz, Eve n’est rien hormis son ambition d’être comme son inspiratrice, Margo Channing, jusqu’à lui prendre son rôle. Et elle reculera devant rien pour assouvir son ambition.
Dans La ligne rouge de Terrence Malick, d’après le roman The Thin Red Line de James Jones (1962) édité en français en 1963 sous le titre Mourir ou crever, puis réédité ultérieurement sous le titre La Ligne rouge, le lieutenant-colonel Tall ordonne une attaque suicide parce qu’elle lui offre une magnifique opportunité de promotion.
Dans Family Man de David Diamond et David Weissman dirigé par Brett Ratner, Jack a la chance de pouvoir vivre la vie qu’il aurait eu s’il était resté auprès de Kate plutôt que de s’envoler vers Londres à la rencontre de sa carrière. Etrangement, alors que Jack nous apparaît plutôt heureux de sa réussite, il semble misérable dans cette seconde vie passant une bonne partie de l’histoire à essayer de retrouver sa vie d’antan (son ambition reprend le dessus). Mais progressivement, cette vie de famille correspond à sa vraie nature et il surmonte le piège tendue par son ambition.
Dans Les damnés de Luchino Visconti, les différents membres et associés de la famille d’industriels von Essenbeck rivalisent pour le contrôle des aciéries. Sur fond d’Allemagne nazie, chantages et meurtres sont moyens courants. Leurs ambitions sont cependant impitoyablement manipulées par le SS Aschenbach qui en maître de l’échiquier parvient à placer les aciéries sous contrôle nazi .
Comme vous le constatez, la faille majeure d’un personnage n’a pas nécessairement besoin d’être surmontée si cela sert le propos de votre histoire.
Globalement, cependant, le défaut principal d’un personnage consiste à décrire pourquoi il connaît un échec. Cet échec sera accompagné d’une leçon puisque le personnage va apprendre de ses erreurs. Celles-ci sont comme un effet résiduel des actions du personnage tant que celui-ci ne s’est pas débarrassé de cette faille dans sa personnalité qui le pousse à agir contre ses propres intérêts. Le personnage est alors le seul responsable de ses échecs, ce n’est pas parce qu’il rencontre plus fort que lui.
Prenons l’exemple d’un personnage en cavale. Il a du laisser derrière lui la femme qu’il aime pour se mettre à l’abri des recherches. Mais l’amour est fort et il décide de retrouver cette femme chez elle. Malheureusement, un comité de réception policier l’attend et il échappe de justesse à l’arrestation. La faille du personnage au cours de cette séquence est son amour pour cette femme. Plus tard, ayant appris de l’erreur qu’il a commise, il donne un nouveau rendez-vous à la femme aimée mais cette fois avec une discrétion absolue.
