[Critique] Victoria réalisé par Sebastian Schipper

Victoria

« 5h42. Berlin. Sortie de boîte de nuit, Victoria, espagnole fraîchement débarquée, rencontre Sonne et son groupe de potes. Emportée par la fête et l’alcool, elle décide de les suivre dans leur virée nocturne. Elle réalise soudain que la soirée est en train de sérieusement déraper… »

Terminator Genisys, Furious 7, Jurassic World… les exemples sont nombreux. Qu’on le veuille ou non, le cinéma est un business tellement important que l’argent est au centre de bons nombres de projets. Lorsqu’on est un des médias culturels qui rapporte le plus à l’année, on s’assume en temps que tel et on se met à la disposition de la demande du spectateur. Ce genre de projets est dû à une demande du grand public. Une demande qui n’est pas à critiquer puisque le cinéma doit réussir à contenter tous les goûts afin de pérenniser. C’est un engrenage infernal duquel il sera difficile pour ne pas dire impossible de sortir. Mais au lieu d’essayer d’en sortir, regardons-les à côté du cinéma. Puisque oui, le cinéma ce n’est pas que Les Profs 2 et autres films qui ne nous font pas tous rire. Il subsiste des films qui sont réalisés avec passion et qui reflètent une véritable envie de la part d’un metteur en scène. Victoria fait partie intégrante de ce cinéma. Un cinéma fait par un passionné, pour des passionnés et qui dans tous les cas ne laissera pas de marbre.

« Un film de braquage ? Non, j’ai encore mieux. Un thriller en temps réel. » Là est l’ambition de Victoria et de son metteur en scène Sebastian SchipperMartin Scorsese, Brian De Palma, David Fincher ou encore Alfred Hitchcock ont sublimé l’art du plan-séquence. Outil permettant de démontrer le talent d’un metteur en scène, ce type de plan représente l’un des fantasmes ultimes du cinéphile. Un travail titanesque de minutie puisqu’il faut réussir à pallier à tous les problèmes dus à l’environnement et aux décors de tournage. Du haut de sa courte filmographie, le réalisateur allemand a décidé de se lancer dans le grand bain et de graver de son nom le mur de ceux qui ont osé le film en temps réel. Le film fait en un seul et unique plan. Le film casse-gueule par excellence, mais qui démontre une volonté de fer et une véritable passion pour son travail. Ça ne fait pas de mal de temps en temps. 5h42…7h56, deux heures quatorze de film durant lesquels le spectateur va découvrir et se lier afin de ne faire qu’un avec Victoria. Une histoire pouvant se résumer en quelques secondes, mais un scénario plus malin qu’on ne pourrait le croire. Enfermé dans le carcan formé par son concept de base, Sebastian Schipper (réalisateur, scénariste et producteur du film) doit faire en sorte que le spectateur ne soit pas rapidement gagné par l’ennui.

Qui dit plan-séquence unique, dit montage inexistant et de nos jours, le montage est un outil « indispensable » pour dynamiser un film et pouvoir faire des ellipses afin d’aller à l’essentiel. Ce concept du thriller en temps réel est très intéressant et Sebastian Schipper nous prouve avec brio que l’on peut créer des personnages et les façonnés, avant de les détruire dans le but de faire sortir leur personnalité la plus humaine. Pour cela, il joue sur les préjugés du spectateur à l’encontre des protagonistes. La conduite du groupe de garçon à l’encontre de Victoria, va constituer la première étape de la construction de leurs personnalités respectives. Agaçant et éreintant, mais également escortés d’une Victoria, qui aussi douce puisse-elle paraître, s’avère naïve et bête. Telle est l’image que l’on peut se faire des protagonistes dans les premières minutes du film. Mais grâce à un scénario intelligent et une mise en scène qui va forcer les personnages à se dévoiler face à l’avancée de la nuit, ces derniers vont se révéler. Ils vont devenir humain, attachants et sensibles.

Extrêmement lent dans sa première heure, le long-métrage prend l’initiative de jouer sur les sentiments du spectateur afin de révéler les véritables personnalités des personnages. De longs discours lors de déambulations dans la rue, on passe à de longs discours autour de bières… Un rythme extrêmement lent. Le metteur en scène cherche à rendre la liaison entre les personnages crédibles, tout en bâtissant leurs personnalités. On les découvre en pleine ivresse de la nuit, avant que ne leur arrivent les problèmes. Sur le coup on se pose des questions, on trouve les personnages « idiots » tous autant qu’ils sont. Ivres dans tous les sens du terme, ils ne nous apparaissent pas comme amical. Bien écrit et avec l’élaboration mise en place pour le bon fonctionnement du plan-séquence, on devient un personnage à part entière. On fait partie intégrante de ce gang d’un genre nouveau. Une liaison humaine et touchante, qui va permettre au film de gagner en intensité dans sa seconde partie bien plus mouvementée.

Victoria est une expérience vidéoludique. Un film qui grâce à son concept en temps réel, plonge le spectateur au cœur de l’action pour gagner en intensité. On ne reste pas de marbre devant une telle œuvre humaniste et touchante grâce en partie à des acteurs habités par leurs rôles. Elle fait Ardoiseréagir et nous fait comprendre qu’au-delà de son indéniable audace et réussite, subsiste des dialogues qui ne dépassent pas leurs aspects naturalistes, sans recherches, ainsi qu’un cadre qui laisse à désirer. L’utilisation de la steady-cam permet de renforcer l’immersion, mais entache la lisibilité lors de phases de courses. Une steady-cam qui devient malheureusement rapidement shaky-cam. Qui plus est, l’usage exclusif des lumières de la ville rend certains plans trop sombres. Tout n’est pas parfait au sein de cette aventure. Les défauts sont nombreux et font réagir, mais ce sont eux qui font de l’œuvre ce qu’elle est. On a un film imparfait. Un film unique qui est enfermé par le carcan de son concept, mais qui s’en sert à des fins scénaristiques pour rendre son film plus humain et intense. C’est extrêmement osé et ambitieux, mais même si la réussite n’est pas totale, le film est marquant et on se souviendra longtemps de ce nom : Victoria.

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