[Séance rattrapage] : Starman

Traversée d’une profonde noirceur, l’immense carrière de John Carpenter a néanmoins su accueillir en son sein une perle lumineuse : Starman, road-movie romantique qui tranche avec le reste de la filmographie du maître de l’horreur. Retour sur une œuvre unique.

Pour mieux comprendre Starman, il est important de revenir à la genèse du projet. Suite au bide tonitruant de The Thing face à E.T l’extraterrestre de Steven Spielberg lors de l’été 1982, John Carpenter n’est plus vraiment en odeur de sainteté à Hollywood. En effet, celui qui fut considéré comme un jeune prodige à la fin des années 70 avec le carton engendré par Halloween est désormais perçu comme une anomalie au sein de la production hollywoodienne. Carpenter est en quête de respectabilité, et tourne en 1983 Christine, l’adaptation du roman culte de Stephen King. Sorti en décembre 1983 dans les salles américaines, Christine rapporte 21 millions de dollars de recette pour un modeste budget de 10 millions. Ce beau succès encourage alors la Columbia à confier le projet Starman à John Carpenter. Ainsi, le film découle directement du succès de E.T : la Columbia voit en ce projet l’opportunité de surfer sur la vague de la « science-fiction humaniste » inaugurée par Spielberg. Soutenu depuis le début par l’acteur Michael Douglas (qui endossera la casquette de producteur exécutif), Starman relate l’histoire de Jenny Hayden (Karen Allen), une veuve trentenaire qui sombre dans l’alcool suite au décès de son mari. Un soir où la jeune femme se lamente sur son sort, un OVNI s’écrase près de chez elle. Une entité extraterrestre pénètre dans sa maison et prend l’apparence de son mari défunt grâce à l’ADN récupéré sur un cheveu. Le « starman » va alors forcer Jenny à l’accompagner dans un voyage à travers les Etats-Unis afin de rejoindre le point de rendez-vous qui lui permettra de rentrer chez lui. Comme pour montrer patte blanche aux studios et ainsi recouvrer une certaine notoriété en cas de succès, Carpenter accepte immédiatement cette commande. De plus, Starman se présente comme l’occasion parfaite pour Big John de prendre sa revanche sur l’échec commercial de The Thing, son éternel chef-d’œuvre maudit.

gfnLY0G2HEUdJfrn57DC7c0ciDaCar si l’on pense forcément à E.T l’extraterrestre, il est encore plus difficile de ne pas faire le lien entre Starman et The Thing. En effet, le film se présente comme l’antithèse parfaite de ce derniertant d’un point de vue narratif que visuel. Tout d’abord, dans l’approche de sa créature. Là où l’entité extraterrestre prenait la forme d’une menace intangible dans The Thing, elle est ici présentée comme une figure totalement inoffensive. Dans la première apparition de l’extraterrestre, Carpenter opte pour une caméra subjective fortement identificatrice. Ce plan renvoi directement au Météore de la nuit (1953), où Jack Arnold prenait lui aussi le point de vue de l’extraterrestre. Rappelons aussi que Carpenter rend hommage au film de Jack Arnold en reprenant à l’identique le plan du crash du vaisseau. De plus, ce plan-séquence en caméra subjective renvoie évidemment à celui de la scène d’ouverture d’Halloween, mais occupe ici une toute autre place narrative. Le scénario justifie parfaitement l’utilisation de ce procédé de mise en scène, qui ne traduit plus une terreur sourde mais qui au contraire permet à Carpenter d’identifier le spectateur à la créature. Le visiteur devient donc une figure familière, puisqu’il va prendre la forme du mari défunt de Jenny. Le « body snatcher » terrifiant de The Thing n’est donc plus l’incarnation du Mal et de la peur de l’autre, mais au contraire celle de l’ouverture à l’autre. Là où la représentation de la créature de The Thing partait du concret vers l’abstrait (de la forme humaine ou animale à une forme indescriptible et insaisissable), celle de Starman effectue la trajectoire inverse : d’abord abstraite (l’alien n’a littéralement pas de forme et se déplace à travers les murs tel un ectoplasme), puis concrète, incarnée sous les traits d’un Jeff Bridges candide et avenant. Tout comme la palette de couleurs (des tons froids à ici des tons chauds), l’environnement de Starman s’oppose aussi radicalement à celui de The Thing. D’un huis-clos étouffant dans une station isolée en plein cœur des étendues glacées de l’Antarctique, on est ici transporté dans un road-trip romantique à travers les paysages majestueux de l’Ouest Américain, où l’environnement ne serait plus la menace mais la solution

36_Starman_Stills_04Car ce qui fait par-dessus tout de Starman une oeuvre singulière dans la filmographie de Carpenter, c’est évidemment sa magnifique histoire d’amour entre un extraterrestre naïf et une femme qui a perdu le goût de la vie. En effet, cette histoire d’amour sera la seule de la carrière du cinéaste. Le seul film qui pourrait se rapprocher de l’émotion de Starman serait Le Village des Damnés, le remake du film culte de Wolf Rilla, une autre commande que Carpenter réalise en 1994. Mais assurément, Starman est le film le plus touchant de son réalisateur. Si Jenny n’est pas le premier personnage féminin que met en scène Carpenter, il est sans aucun doute le plus développé et le plus attachant. Bien aidé par la prestation bouleversante de Karen Allen, le réalisateur dresse un portrait de femme juste et attachant, sans jamais tirer grossièrement sur la corde du pathos. Comme il a déjà été dit plus haut, il s’agit d’un film sublime sur l’ouverture à l’autre : les deux personnages ont besoin de l’autre pour atteindre leur but. Un objectif conscient pour le visiteur (rentrer chez lui), et inconscient pour Jenny (reprendre goût à la vie). Cette thématique simple mais imparable est introduite avec une efficacité remarquable. Grâce à l’intelligence de sa mise en scène, Carpenter réussit à installer en seulement quelques minutes son atmosphère, ses personnages ainsi que leurs enjeux émotionnels. L’histoire d’amour est évidemment le cœur du film, si bien que son apogée émotionnelle réside moins dans l’inévitable dénouement final que dans la première scène d’amour entre les deux protagonistes. Cette séquence, où les deux personnages traversent les Etats-Unis clandestinement à bord d’un train, constitue véritablement le climax du film. Cependant, tout cela a été intelligemment amené. Starman est construit autour de trois actes bien distincts, marqués par les changements d’état-d’esprit de Jenny. Premièrement, elle est embarquée de force dans ce voyage et cherche à fuir, malgré l’étrange fascination qu’elle éprouve pour ce visiteur. Puis survient une scène déterminante, que l’on pourrait qualifier de premier pivot dramatique majeur. Dans cette scène, le visiteur va s’attirer les foudres d’un chasseur en ressuscitant un daim que ce dernier avait abattu quelques heures plus tôt. Alors qu’elle projette de s’enfuir, Jenny décide de venir en aide au visiteur en se servant du revolver caché dans la boite à gants de sa voiture. Cet événement constitue un bouleversement majeur dans l’intrigue : Jenny ne subit plus l’action, elle devient active dans la quête du visiteur. Elle agit à la première personne. Et enfin, ce qui marque la troisième et dernière étape majeure dans l’évolution du personnage de Jenny est évidemment cette fameuse scène d’amour. Désormais, la jeune femme n’est plus guidée par cet étrange sentiment qui la poussait à aider le visiteur, mais comprend véritablement ce qui l’anime : l’amour.

lmuN90XywiulKk0iVW42dsRveylRéalisateur d’œuvres profondément sombres et nihilistes, de Prince des ténèbres à L’Antre de la folie en passant par Los Angeles 2013, John Carpenter s’est pourtant toujours considéré lui-même comme un grand naïf. Qu’aurait donné la carrière de Carpenter sans les échecs commerciaux de The Thing et de Jack Burton dans les griffes du Mandarin ? Probablement une filmographie moins nihiliste, plus proche de celle d’un Steven Spielberg ou d’un Joe Dante. Souvent décrit comme un grand cynique, Carpenter n’a toujours été, au fond, rien d’autre qu’un grand rêveur. Un amoureux du cinéma classique américain, nourri aux films d’Howard Hawks, de John Ford ou de John Huston. Sous ses airs de simple film de commande, Starman était donc l’occasion rêvée pour le cinéaste de consolider ses envies d’un cinéma plus populaire et optimiste. Néanmoins, si le film baigne dans un optimisme bienveillant, Carpenter pose toujours un regard sombre sur la nature humaine. Un regard qui nous rappelle qu’il s’agit bien du réalisateur de They Live derrière la caméra ! Certains personnages comme les scientifiques ou une bande de chasseurs agressifs sont présentés comme des êtres cyniques et belliqueux. Cependant, Carpenter tient à rester positif et célèbre une part de l’être humain, ce qui restera unique dans sa filmographie. Comme le dit magnifiquement le personnage de Jeff Bridges : « vous pouvez vous surpasser quand les choses vont mal ». Ainsi, Carpenter prouve avec Starman qu’il est lui aussi capable de créer une émotion sincère et bouleversante tout en restant d’une intégrité artistique qui force le respect. Starman sort dans les salles américaines le 14 décembre 1984 et sera salué par la critique. Malheureusement, le public lui réservera un accueil mitigé et le film sera, à l’instar de The Thing, un échec commercial. Jeff Bridges sera néanmoins nominé pour son interprétation exceptionnelle à l’Oscar du meilleur acteur dans un premier rôle.

À la fois populaire et authentiquement personnel, Starman n’est ni un chef-d’œuvre du fantastique ni un chef-d’œuvre du road-movie : c’est un chef-d’œuvre tout court, ample, bouleversant et profondément romantique. À réhabiliter de toute urgence !