"Mustang" de Deniz Gamze Ergüven

Par Yutuy

Mustang (2015), est le premier long métrage de la réalisatrice franco turque, Deniz Gamze Ergüven. Cette dernière réuni un groupe de jeunes actrices bluffantes: Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu, Tuğba Sunguroğlu, Elit İşcan et İlayda Akdoğan. Dans la campagne turque, cinq sœurs s’organisent contre l’oppression familiale, représentée par une grand mère et un oncle, qui veulent les enfermer dans leur rôle de femme et d’épouse. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2015, le film a plutôt emballé les critiques.

Critique:
Le Katorza à Nantes a proposé une Avant première de Mustang (sortie prévue le 17 juin) , en présence de sa réalisatrice. Ni une, ni deux,  j’y suis allée toute joie. Après de rapides remerciements de la part de Deniz Gamze Ergüven pour notre présence (pas seulement la mienne et celle de mon amie accompagnante, mais bien de l’ensemble de salle, je précise!), le film démarre sur le portrait de 5 jeunes étudiantes, resplendissantes, belles, déterminées, qui jouent sur la plage, dans l’eau (avec des garçons), dans un verger. Visages ensoleillés, rires, chevelure flottantes, énergies débordantes, Mustang nous plonge dans une joie de vivre réconfortante. Le réconfort sera de courte durée et stoppé net, face à la honte ressentie par la grand mère et l’oncle des 5 sœurs, du comportement jugé indécent de ces dernières.
Dès lors, le film fait fortement écho à Virgin suicides (1999) de Sofia Coppola. Emprisonnement des filles, fusion des sœurs avec entremêlement des jambes, des cheveux, le tout sublimé par la lumière du soleil. Difficile de ne pas penser au film de Sofia Coppola. A Cannes, il a d’ailleurs été surnommé « Virgin Suicides à la Turque », remarque facile et réductrice, bien qu’en partie justifiée.
Justifiée parce que comme Virgin Suicides, Mustang s’inscrit dans une narration et un traitement de l’image proche du conte (voix off, plans travaillés, image lumineuse et légèrement brumeuse, dénouements heureux mais pas forcément réalistes…).
Réductrice parce que les sœurs représentent, chacune à leur manière, un constat de la condition féminine, qui plus est dans un pays comme la Turquie. Le bonheur de pouvoir épouser celui qu’on aime (l’aînée Sonay, qui reste malgré tout contrainte de l’épouser si elle ne veut pas être mariée de force à un autre homme), la résignation totale (la cadette qui en vient à ne plus savoir la signification de la virginité), le désespoir sans issues et la combativité sans failles (les deux dernières, dont Lale, le personnage central). Là où Virgin suicides se focalise sur un seul personnage féminin, et la bigoterie d’une mère, Mustang donne l’opportunité à ses personnages de réfléchir, répondre, organiser, réagir dans ce monde qui tient la femme sous contrôle.

Mustang est aussi plein de nuances, ce qui explique en partie sa pertinence. La figure de l’homme n’est pas systématiquement représentée comme mauvaise. Les jeunes hommes sont aussi victimes de ces mariages forcés (et des à côtés). Lale et sa sœur se font aidées par un homme (qui, au passage, se fait insulter par un homme à cause de sa coiffure).
Pour permettre au spectateur de souffler, de grands moments comiques (les tantes et les grands mères cassant les antennes de télévision sont mémorables), allègent le film, et traduisent une furieuse envie de profiter de la vie…
Mustang nous offre même un moment de suspens, quand les sœurs décident de retourner le piège contre leurs geôliers, en se barricadant de l’intérieur et en préparant leur libération tant attendue.
Tout cela ne serait pas possible sans les 5 jeunes filles (de 13 à 21 ans), bluffantes de rage et de beauté, fusionnelles. Toutes débutantes, propulsées au Festival de Cannes, elles sont donc arrivées dans un autre conte, plutôt de fées celui là.

L’échange avec Deniz Gamze Ergüven:

C’est peu dire que Deniz Gamze Ergüven a été patiente pendant l’échange. Tout le monde a pu poser ses questions (en français ou en turc, ou incompréhensibles), et faire des remarques plus ou moins sèches (« on entend paaaaas »,  » plus fooort »).
On peut dire que Deniz Gamze Ergüven revient de loin avec Mustang: 3 semaines  avant le début du tournage, sa productrice la lâche, et elle apprend qu’elle est enceinte. Autant d’embûches qui ont dû contribué à son envie de défendre le film.
Elle explique que de par sa double nationalité (française/turque), et ses allers retour, elle a pu avoir un recul sur l’évolution des deux pays. En l’occurrence, elle confirme que depuis une dizaine d’année, l’importance de la religion s’est amplifié en Turquie, ce qui n’est jamais de bonne augure pour les femmes. Le Président continue toujours à dicter à la télévision les consignes de vie des femmes.

Un spectateur a noté l’opposition possible entre les conditions de vie à la campagne,  et la libération représentée par Istanbul. Elle répond qu’Istanbul permet aux gens de se fondre dans la masse et que c’est en ce sens, que cette ville permet parfois de s’échapper.

Elle a énormément travaillé avec les jeunes actrices en amont, et il y peu d’improvisation dans le sens où elle souhaitait entendre des lignes de dialogues précises.

Elle s’est inspiré de faits réels (quand elle était petite,la femme de ménage de sa famille a préparé pendant un an sa fuite avec son amoureux, elle même a vécu des remarques pour des jeux dans l’eau..), mais en aucun cas elle ne se positionne comme cinéaste voulant montrer une réalité sociologique.

Durant l’échange qui a duré une bonne demi heure, Deniz Gamze Ergüven a précisé que la vie du film débutait juste, et qu’il sortirait en début d’année en Turquie.

A ne pas louper.

Bonus

Bande annonce Mustang

Interview Deniz Gamze Ergüven