[Cannes 2015] “Carol” de Todd Haynes

Par Boustoune

Carol est une variation autour des mêmes thèmes que Loin du Paradis, que Todd Haynes avait réalisé en 2002.
Les deux films traitent d’une histoire d’amour jugée “scandaleuse” selon les codes moraux de la très puritaine Amérique des années 1950.

Dans Loin du Paradis, il montrait comment le personnage incarné par Julianne Moore, une desperate housewife abandonnée par son mari, se retrouvait mise au ban de la communauté après s’être consolée dans les bras de son jardinier Noir.
Dans Carol, il s’appuie sur le roman éponyme de Patricia Highsmith pour raconter l’histoire d’amour contrariée de deux femmes, Carol (Cate Blanchett) et Therese (Rooney Mara).

Les deux femmes se rencontrent dans le grand magasin où travaille Therese. Carol cherche un cadeau de Noël qui plaira à sa fille. Therese la conseille. Les échanges de regards en disent long. Il y a de l’attirance entre les deux femmes.
Therese n’a pas encore conscience de son homosexualité. Elle fréquente des garçons, dont un jeune photographe qui a très envie de l’épouser. Mais elle se sent irrésistiblement attirée par cette cliente différente des autres, élégante et raffinée.
De son côté, Carol a découvert qu’elle était lesbienne après une aventure avec son amie d’enfance, qui est également la marraine de sa fille. Son mari l’a également compris. Il fait tout ce qui est en son pouvoir pour tenir les deux femmes éloignées l’une de l’autre. Mais le mâle est fait. Carol ne veut plus se mentir à elle-même. Elle ne veut plus jouer, soir après soir, le rôle de l’épouse dévouée. Son mari la dégoûte. Elle ne veut plus partager sa vie. Elle demande donc une procédure de divorce pour retrouver sa liberté.

Evidemment, son mari refuse de la laisser partir aussi facilement.  Il a l’avantage de connaître le “vice” de son épouse, son attirance pour les autres femmes. S’il arrivait à prouver cela, le divorce serait prononcé en sa faveur et il obtiendrait à coup sûr la garde exclusive de sa fille. Car dans l’Amérique des années 1950, l’homosexualité est considérée comme une perversion, une déviance, une maladie mentale.
Carol devrait donc être prudente quant à ses relations avec les autres femmes, au moins tant que la procédure de divorce n’est pas terminée. Mais sa relation naissante avec Therese vient compliquer les choses…

Dans Carol, les sentiments sont forcément feutrés. Le jeu de séduction entre Carol et Therese progresse lentement, les deux femmes découvrant leur attirance mutuelle à travers les regards échangés, les postures, le frôlement d’une main. Tout est dans la délicatesse, l’épure, et la mise en scène se positionne aussi dans ce registre-là.
Dans Loin du Paradis, Todd Haynes avait opté pour un mélodrame flamboyant et coloré à la manière de Douglas Sirk. Ici, les personnages évoluent dans des décors presque monochromes, aux tons pastels beige ou jaune. Le cadre est resserré sur les personnages, austère et étouffant. La façon de filmer se situe plus dans le registre du mélodrame britanniques, comme The Deep blue sea, La Fin d’une liaison ou Les Gens de Dublin.

Pas besoin de verser dans le pathos et la surenchère lacrymale pour émouvoir. La mise en scène discrète de Todd Haynes est au service des deux comédiennes, qui livrent des performances étourdissantes. On n’en attendait pas moins de Cate Blanchett après sa performance remarquée dans Blue Jasmine. Rooney Mara réussit la prouesse non seulement de se hisser à son niveau, mais aussi de lui voler la vedette avec son jeu tout en nuances.
Un double prix d’interprétation féminine à Cannes est-il possible? Pourquoi pas… Cela s’est déjà vu par le passé.
Le film pourrait même prétendre à mieux, selon comment il a été accueilli par le jury. Mais dans un festival où plusieurs oeuvres jouent la carte des émotions contenues et des ambiances épurées, c’est peut-être un film plus démonstratif qui suscitera l’adhésion des frères Coen et de leurs petits camarades…