[Cannes 2015] Jour 8 : In the mood for “Love”

Par Boustoune

nnes nnesA Cannes, quand un film annoncé comme un évènement ou un objet cinématographique sulfureux est projeté en séance unique, tout le monde veut le voir, même si la projection a lieu à minuit. Love, le film érotique de Gaspar Noé, a donc logiquement généré une véritable cohue au pied des marches. Avec tous ces cinéphiles imbriqués les uns dans les autres, collés-serrés, jouant des coudes, des mains, des épaules ou de mouvements du bassin, on aurait dit une sorte de gigantesque partouze. Un magma de corps en fusion heureusement encore habillés, la montée des marches officielle exigeant une tenue correcte.
Cet entremêlement de corps aurait dû permettre d’atteindre l’extase, la découverte de l’un des films les plus attendus de cette 68ème édition. Il a hélas tourné au coïtus interruptus. Se taper une heure de queue pour ne pas pouvoir pénétrer dans le Saint des Saints Auditorium Lumière, voilà qui est extrêmement frustrant. Surtout quand on sait qu’une bonne partie du public a évacué précocement la salle, parce que le film les a choqués ou juste ennuyés. Les premiers retours de projection sont d’ailleurs très mitigés.

Heureusement, la journée de projections a été suffisamment riche en bons films pour surmonter cette frustration.
Déjà, Youth, le nouveau long-métrage de Paolo Sorrentino, en compétition officielle. Un film dans la lignée de La Grande Bellezza, faisant cohabiter le grotesque et le sublime, les séquences tape-à-l’oeil et les moments de grâce.
Malgré son titre, le film s’intéresse à deux personnes âgées qui ont pris l’habitude de se retrouver chaque année pour les vacances dans un hôtel de luxe des Alpes Suisses, deux artistes. Le premier (Michael Caine) est un chef d’orchestre qui a pris sa ite et n’entend plus diriger de nouveau, malgré les nombreuses sollicitations dont il est l’objet. Le second (Harvey Keitel) rtraeest un cinéaste toujours en activité, en train de préparer son “film-testament” avec l’aide d’un bataillon de jeunes scénaristes aussi crétins les uns que les autres. Ils côtoient un acteur dépressif (Paul Dano), qui aimerait être considéré pour ses plus beaux rôles plutôt que pour le blockbuster de science-fiction qui lui a assuré sa gloire, Miss Univers et même Diego Maradona.
Cette configuration permet à Paolo Sorrentino d’explorer plusieurs de ses thématiques favorites en jouant sur les oppositions. Cela parle des ravages du temps – les pépins de santé, la sénilité, la fin de vie – mais aussi de ses effets bénéfiques – l’accès à une plus grande sagesse, un regard plus perçant sur les choses de la vie – du talent et de la médiocrité, du beau et du vulgaire, de la postérité et de l’oubli, de l’amour et du désir.Le tout rassemblé dans un même geste cinématographique, ample, généreux, truffé de fulgurances visuelles et d’idées de mise en scène.
Comme à son habitude, le cinéaste a divisé les festivaliers.. Certains ont adoré sans réserve et sont sortis de la projection émus aux larmes. D’autres ont détesté, fustigeant le maniérisme de la mise en scène ou vomissant le trop-plein d’images et d’idées charrié par le film. Mais, n’en déplaise à ses détracteurs, il a le mérite d’essayer, de tenter des choses. Certes, il y a parfois du déchet, des scènes inutiles, des maladresses de mise en scène, mais il y a aussi de nombreuses séquences sublimes, parmi les plus belles de cette édition de Cannes 2015, et cela justifie pleinement que le cinéaste concoure pour la Palme d’Or.

 

Ensuite, les spectateurs ont pu découvrir ce qui est, selon nous, l’un des films les plus aboutis de la compétition à ce jour, Mountains may depart de Jia Zhang-Ke.
Comme à son habitude, le cinéaste traite des mutations profondes de la société chinoise au cours des vingt dernières années et du rapport entretenu entre la Chine et l’Occident. Il s’appuie sur une construction scénaristique solide en trois parties.
La première se déroule dans le passé. Plus exactement en 1999, juste avant le changement de siècle, pile au moment où la Chine effectue son virage vers le capitalisme, et met en scène un triangle amoureux. La jolie Tao doit choisir entre ses deux meilleurs amis, l’un humble mineur de fond et l’autre redoutable homme d’affaires négociant justement le rachat des mines de charbon locales. La seconde se déroule de nos jours. Tao réalise qu’elle n’a pas forcément fait le bon choix. Les mines de charbon ferment car elles ne sont pas jugées suffisamment rentables. Les crises économiques successives ont profondément modifié les rapports de force internationaux et la Chine s’ouvre de plus en plus au mode de vie occidental.
La dernière partie se déroule dans le futur, en 2025. Le fils de Tao vit en Australie, le nouvel Eldorado mondial. Il ne parle pas le cantonais mais l’anglais et à complètement oublié sa mère et sa ville d’origine. Une rencontre inattendue va lui permettre de renouer avec ses racines.
Le cinéaste oppose les traditions chinoises séculaires au mode de vie occidental, confronte les valeurs essentielles – la famille, le respect des anciens, l’amitié – à l’argent et à la course effrénée au profit et au pouvoir. Il le fait à l’aide d’une histoire un peu plus accessible au grand public que celles de ses films précédents, sans perdre aucune de ses qualités artistiques et de son art de la mise en scène.
Mountains may depart est une oeuvre de très haut niveau, qui ferait une belle Palme d’Or.

Autre beau morceau de cinéma, le nouveau film de Robert Guédiguian, Une histoire de fou.
La scène d’ouverture, véritable film dans le film, vaut à elle seule le déplacement. Tournée à la manière d’un vieux film en noir et blanc des années 1920, elle décrit le meurtre de Talaat Pacha, ancien grand vizir de Turquie, par un jeune Arménien, Soghomon Tehlirian, puis le procès qui s’ensuit à Berlin, en 1921. Le jeune homme avoue sans peine avoir tué la victime, mais n’éprouve aucun remords, aucun regret et il plaide non-coupable. On ne peut être condamné du meurtre d’un assassin, et Talaat Pacha  a été l’un des principaux instigateurs du génocide Arménien  en 1915. En découvrant les photos, les jurés prennent leur décision, Tehlirian est acquitté et devient une icône de la lutte des Arméniens pour la création d’un état indépendant. Les Allemands adhéreront peu de temps après à la même démarche d’épuration ethnique, prônée par les Nazis et il faudra des années avant que des Etats reconnaissent le génocide Arménien.
La suite du film se déroule soixante ans plus tard, à Marseille. Aram, un jeune arménien prend exemple sur Tehlirian et fait exploser la voiture de l’ambassadeur de Turquie à Paris. Gilles Tessier, un innocent qui passait par là, est grièvement blessé, perdant l’usage de ses jambes. Aram s’enfuit au Liban, où il rejoint un groupe qui voit dans la lutte armée pour obtenir la reconnaissance du génocide et la restitution de leur terre au peuple Arménien. Sa mère, restée à Marseille, est partisane de la voie pacifique. Elle contacte Gilles Tessier pour obtenir son pardon…
Le film traite avec finesse et intelligence des différentes façons de lutter pour une cause, des limites de l’engagement. Guédiguian, lui, a choisi la plus noble des armes, le cinéma, pour rappeler, cent ans après, ce qu’a été le génocide arménien, et essayer d’infléchir, à sa façon, la position de l’Etat Turc, qui continue de nier la réalité de ce massacre.

Dans Je suis un soldat de Laurent Larivière, il est aussi question d’un combat. Celui que mène Sandrine (Louise Bourgoin) pour ne pas sombrer complètement. Cette jeune femme a perdu son emploi et peine à en retrouver un autre. Elle ne supporte plus l’absurdité des questions posées lors des entretiens d’embauche, pour obtenir des jobs mal payés. Sans ressources, elle a dû rendre son appartement et a été obligée de retourner vivre chez sa mère, à Roubaix. Elle tombe mal. Sa mère a du mal à joindre les deux bouts et héberge déjà sa soeur et son beau-frère, qui sont en train de construire leur maison et n’ont pas les moyens de financer les travaux.
En désespoir de cause, elle accepte de travailler dans le chenil de son oncle (Jean-Hugues Anglade). Elle découvre que ce dernier évolue en marge de la légalité, important clandestinement des chiens venus des Pays de l’Est non-vaccinés et non-tatoués et leur obtenant de faux certificats de vaccination auprès d’un vétérinaire véreux.
L’affaire est juteuse. Chaque vente de chien rapporte de fortes sommes d’argent. Sandrine n’a jamais gagné autant d’argent. Mais son oncle l’implique de plus en plus dans le trafic, la mettant en danger.
Comme Stéphane Brizé dans  La Loi du Marché, Laurent Larivière  montre la violence de la société et ses conséquences sur les individus, qui se replient sur eux-mêmes, deviennent agressifs, brutaux ou au contraire résignés, déprimés. Il pose également la même question : Que peut-on endurer pour garder un emploi? Quelles les limites éthiques doit-on se fixer?
Bref, Je suis un soldat est un premier film qui ne manque pas de chien, dans tous les sens du terme, et qui offre un très beau rôle à Louise Bourgoin, convaincante dans la peau de ce sage petit soldat qui finit par se rebeller et prendre sa vie en main.

A demain pour d’autres chroniques cannoises