“The Humbling” de Barry Levinson

Malheureusement pour Barry Levinson, son nouveau long-métrage The Humbling semble définitivement condamné à vivre dans l’ombre écrasante du Birdman d’Alejandro Gonzalez Iñarritù. Les deux oeuvres présentent quelques similitudes, à commencer par un thème central commun : les tourments existentiels d’un acteur sur le déclin, qui essaie de donner un nouvel élan à sa vie, mais le traitement du sujet et la mise en scène sont évidemment très différents. Le film de Barry Levinson est nettement plus classique, formellement parlant, que celui d’Iñarritù et son extraordinaire plan-séquence. Il est aussi un poil plus bavard et manque de rythme. A la dernière Mostra de Venise, Birdman avait déjà complètement éclipsé The Humbling, malgré la venue d’Al Pacino pour défendre le film. Et là, le film de Barry Levinson sort en salle juste quelques semaines après le film d’Iñarritù, dont les entrées ont été boostées par son triomphe aux Oscars. Pas de chance…
D’accord, à côté de Birdman, The Humbling fait pâle figure, mais ce n’est pas un mauvais film pour autant. Le film de Barry Levinson possède bon nombre de qualités, à commencer par son intrigue, tirée du roman de Philip Roth, son duo d’acteurs de haut-standing – Al Pacino et Greta Gerwig – et une mise en scène élégante, à défaut d’être particulièrement audacieuse et originale.

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On suit l’errance de Simon Axler (Al Pacino), un acteur septuagénaire qui a connu la gloire au cinéma et au théâtre, notamment en incarnant de grands personnages shakespeariens. Cependant, depuis quelques temps, il n’a plus le feu sacré. Il a des absences, des trous de mémoire, des angoisses au moment de monter sur scène. Il a perdu ce petit quelque chose qui le rendait si talentueux. Un soir, il fait un malaise sur scène et s’effondre. S’ensuit une profonde dépression et la décision d’arrêter sa carrière. Sorti de l’hôpital, il retrouve son domicile, une propriété qui lui semble soudain trop grande pour lui, et trop vide. Concentré sur sa carrière, Simon n’a pas pris le temps de construire sa vie privée. Il n’a ni femme ni enfants. Et, privé de son travail, il est soudain confronté à sa solitude, immense.
Mais il a à peine le temps de se morfondre qu’il reçoit la visite de Pegeen (Greta Gerwig), la fille de vieux amis de Simon. La jeune femme lui fait comprendre qu’elle est amoureuse de lui depuis l’enfance et qu’elle aimerait beaucoup, maintenant qu’elle est une adulte consentante, pouvoir entretenir avec lui une relation sentimentale passionnelle. Simon est décontenancé, mais se laisse séduire. Ils deviennent amants et la jeune femme essaie de le secouer, de le sortir de sa torpeur. Elle aimerait qu’il remonte sur scène et fait tout pour le convaincre de remonter sur les planches…

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On peut très bien prendre le film au premier degré, et n’y voir qu’une banale histoire d’amour entre un vieil acteur fatigué et une jeune fan pleine de vie. Mais cela serait quand même bien réducteur. Le roman de Philip Roth était déjà un texte dense et subtil. Barry Levinson , aidé par les performances majeures de ses acteurs – Al Pacino, très convaincant en acteur usé, écrasé par la solitude et la peur de perdre la mémoire, et Greta Gerwig, parfaite en insaisissable objet de tous les désirs – en a tiré un scénario complexe, offrant plusieurs possibilités d’interprétation et d’analyse.
La principale  richesse du script réside dans la possibilité qui est donnée au spectateur de mettre en doute tout ce qu’il voit et de se forger sa propre opinion quant à la nature des tourments du personnage central. On peut ainsi se demander si Pegeen, trop belle pour être vraie, n’est pas une sorte d’hallucination issue de l’esprit torturé de Simon Axler – comme le Birdman qui harcèle Michael Keaton dans le film d’Iñarritù. Et il en va de même pour les autres personnages, improbables, qui gravitent autour de Simon. Comme les (nombreux) ex de Pegeen, dévastés d’avoir été plaqués par la jeune femme, qui déferlent par vagues régulières dans son jardin.  Ou la très déjantée Sybil Van Beuren, une femme qu’il a rencontrée à l’hôpital psychiatrique et qui s’est persuadée, pour l’avoir vu jouer une fois un gangster, qu’il est celui qui pourra la débarrasser de sa brute épaisse de mari…
Pour Simon, tout l’enjeu est de réussir à sortir indemne de climat de folie et de paranoïa qui l’entoure et d’utiliser cette expérience pour nourrir son jeu d’acteur et explorer d’autres facettes des sombres personnages shakespeariens qu’il incarne depuis des lustres.

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Evidemment, ce qui ressort de ce scénario à tiroirs est évidemment une variation sur le métier de comédien. Le film montre comment un acteur se nourrit de ses expériences pour interpréter des personnages, comment il trouve l’inspiration et l’envie de jouer grâce à des muses, comment l’acteur ressent le besoin vital de se produire sur scène jusqu’au bout…
Mais là encore, il serait réducteur de n’y voir que cela. The Humbling est aussi une réflexion sur les rapports humains, sur les rapports de force qu’induisent une différence d’âge, d’expérience, de notoriété entre deux individus. C’est une oeuvre sur le vieillissement et le déclin, la peur de prendre de l’âge et de mourir, la peur de finir seul et isolé. Autant de thèmes universels qui donnent au film de Barry Levinson toute son ampleur.

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Le seul handicap du film, c’est donc sa mise en scène, un peu trop sage. Barry Levinson se contente de capter sagement, sans fioritures, le grand numéro d’Al Pacino, alors qu’on aurait aimé qu’il l’accompagne davantage, qu’il ose plus, qu’il nous épate autant par ses mouvements de caméra que par sa direction d’acteurs. Mais ne faisons pas la fine bouche, même s’il n’arrive pas techniquement à la cheville de Birdman, The Humbling reste un film de très bonne tenue, intelligent et subtil. Et il permet au spectateur d’assister au passionnant face-à-face de deux icônes du cinéma américain, l’une représentant les films les plus audacieux des années 1970/1980 – Al Pacino – et l’autre étant l’égérie des auteurs indépendants des années 2000 – Greta Gerwig. Rien que pour cela, il vaut largement le détour…

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The HumblingThe Humbling
The Humbling

Réalisateur : Barry Levinson
Avec : Al Pacino, Greta Gerwig, Dianne Wiest, Nina Arianda, Dylan Baker, Dan Hedaya, Charles Grodin, Kyra Sedgwick
Origine : Etats-Unis
Genre : Etre ou ne pas être, telle est la question que se pose l’acteur
Durée : 1h52
date de sortie France : 08/04/2015
Note :
Contrepoint critique : Libération

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