Critique : Interstellar (2014)

Interstellar 1

Une étoile sous la poussière.

Pinacle du nouveau divertissement américain, Christopher Nolan s’est bâtit un glorieux empire en rationalisant la figure héroïque américaine et en réfutant toute forme de féerie visuelle et narrative afin d’adopter une approche intellectuelle de ses récits. Il en résulte très souvent des épopées cérébrales ascétiques, peuplées d’êtres martyrisés, acculés et repliés sur eux-mêmes, témoignant peu de l’état émotionnel autour duquel ils sont placés en orbite. Cependant, le voyage interstellaire qu’il nous offre aujourd’hui altère quelques peu les données associées à cette analyse. Le cinéaste ne bouscule pourtant pas véritablement sa manière de suturer l’étoffe de ses héros. Joseph Cooper, ingénieur agricole du middle-west contraint de laisser ses enfants et sa planète derrière lui pour un voyage salvateur vers une terre promise dont le retour n’est nullement garantie par la bonne foi scientifique, épouse ainsi un profil messianique et ulysséen (dixit une blogueuse féline) idéalement incarné par Matthew McConaughey, acteur en pleine renaissance depuis quelques années. Nonobstant cette fibre symbolique et tragique dont est fait ce fort linceul psychologique, ce dernier se révèle beaucoup moins épais que celui ayant drapé le dernier acte de son Chevalier Noir. En outre, Nolan n’oublie jamais d’en faire un sauveur ordinaire dont les motivations demeurent si personnelles qu’elles revêtent, au final, une forme d’universalité. De la même manière, sa direction artistique, épurée et chargée de mystère, se conjugue une fois encore à un époustouflant pragmatisme technique, préférant de loin les effets d’optique (ceux, magnifiques, simulant la fantastique traversée du pont Einstein-Rosen) et les représentations réalistes (la beauté naturaliste des planètes potentiellement habitables) aux visions fantasmagoriques et numériques du tout venant hollywoodien. Fort heureusement, ce choix de restreindre sa stéréographie astrale à une forme de fidélité encyclopédique ne constitue pas un frein à notre émerveillement. Bien au contraire, le caractère nébuleux de cette vision offre à rêver plus grand encore que ce que la science et le septième art sont capables, ensemble, de nous figurer. Une sidération esthétique qui éclipserait presque les plus passionnants détails de cette exploration spatiale, témoignant, pour la plus part, d’une filiation inconnue du grand public. En effet, son postulat fut originellement développé par Jonathan Nolan à l’intention du réalisateur Steven Spielberg avant que ce dernier, sous le poids de trop nombreux projets, ne décide finalement d’en abandonner la réalisation. Il y a eu bien évidemment un long processus de réécriture afin que cet héritage algorithmique s’adapte au mieux à la sensibilité de sa nouvelle généalogie. Néanmoins, difficile de ne pas distinguer, entre deux battements d’une montre témoin, la silhouette de celui qui nous fit rencontrer le Troisième Type au pied de la tour du Diable et qui éprouva la paternité d’un docker à l’aube d’une Guerre Des Mondes. Bien malgré lui, Christopher Nolan hérite d’une partie de cette imagerie, et sans nul doute également de cette conception du pathos si précieuse aux yeux du metteur en scène d’Always, un autre trip mystique s’essayant à la mesure des passions amoureuses. Ainsi, plus que toutes autres créations du réalisateur, Interstellar est celui qui carbure le plus à l’émotion, diffluant nos gouttes lacrymales au moyen d’une gestion particulièrement intense de la gravité du temps qui passe. Echouant, par instant, à produire une solution claire (le péril psychologique bavard d’un des survivants, les annotations scientifiques confuses justifiant le réalisme du projet), ce trek stellaire, par sa capacité à installer un dialogue intime et éclairé avec les spectateurs, reste une des plus intrigantes novas que le genre n’ait récemment jamais fait naitre. (4/5)

Interstellar 2

Interstellar (États-Unis, 2014). Durée : 2h49. Réalisation : Christopher Nolan. Scénario : Jonathan Nolan, Christopher Nolan. Image : Hoyte Van Hoytema. Montage : Lee Smith. Musique : Hans Zimmer. Distribution : Matthew McConaughey (Joseph Cooper), Anne Hathaway (Amelia Brand), Jessica Chastain (Murphy), Michael Caine (John Brand), David Gyasi (Romilly), Wes Bentley (Doyle), John Lithgow (Donald), Casey Affleck (Tom).