Les premiers pas de scénariste de Yann Le Gal

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Comment devient-on scénariste en France? C’est sans conteste la première question que se posent les aspirants auteurs mais il existe autant de réponses que de parcours individuels. Bien des chemins, plus ou moins chaotiques, mènent au scénario sur notre sol et si la naissance du CEEA, du département écriture de la Fémis et de plusieurs cursus universitaires modifient progressivement la donne, les quelques cinq cent scénaristes professionnels actuellement en activité viennent d’horizon divers.

Je vous propose donc de laisser la parole à quelques un(e)s de mes consoeurs et confrères afin qu’ils nous racontent comment ils ont débuté leur carrière. Après avoir découvert le parcours de Robin Barataud, c’est au tour de mon confrère Yann Le Gal, scénariste et directeur d’écriture, de nous confier ses premiers pas.

Yann Le Gal, qui nous a déjà ouvert les portes de son bureau, est scénariste de cinéma et de télévision, mais aussi réalisateur. On lui doit notamment l’écriture du magnifique film Enfances, dont il a mis en images un segment, et les docu-fictions Pasteur, l’homme qui a vu et Marie Curie, une femme sur le front. Il a un temps dirigé l’écriture de la série RIS (TF1).

Imaginais-tu, adolescent ou jeune adulte, que l’écriture puisse devenir un métier ?

Non. Autant la lecture m’a toujours passionnée dès l’enfance, autant l’écriture n’a jamais été quelque chose d’attirant. J’ai d’ailleurs failli ne pas avoir mon bac à cause du français, qui était heureusement à faible coefficient pour un bac scientifique.

Si un jour on m’avait dit que je ferais carrière en écrivant j’aurais bien ri.

Le métier de scénariste était-il ton premier choix de carrière ?

J’ai été très tôt attiré par le cinéma et je rêvais plus d’être metteur en scène que scénariste. J’ai mis du temps à regarder les films autrement que par l’œil de la mise en scène.

Quel a été ton parcours avant de devenir scénariste ?

Après le lycée, je suis entré à l’ESRA. J’y ai eu la chance et la malchance de tourner mon premier court métrage. Même si au final il a été l’un des mieux appréciés de la promotion le tournage a été très éprouvant. J’étais sans doute trop jeune, avec trop peu de maturité pour gérer une équipe. Ça m’a terriblement refroidi. Je me suis tourné alors vers l’une des deux étapes les plus gratifiantes du processus à savoir l’écriture (la seconde étant le montage vers lequel j’aurais pu également aller).

Au fond, la solitude de l’écriture est quelque chose qui me convient très bien. C’est une agréable fuite dans un monde imaginaire, une drogue dont je ne peux me passer.

As-tu étudié la dramaturgie et par quel biais ?

Après le bac, je suis allé dans la seule école de cinéma qui pouvait m’accueillir, à savoir une école privée, l’ESRA. Alors qu’il y avait de très bons cours de mise en scène (donnés par Jean-François Tarnowski), le scénario n’était pas vraiment enseigné.

C’est ensuite, en fac (Paris I), que j’ai vraiment effectuer le virage vers le scénario grâce notamment aux cours de Pierre Jenn qui était l’un des premiers théoriciens français du scénario à revendiquer la pertinence des manuels de scénarios américains. C’était encore une époque où l’image de l’auteur qui, cheveux au vent, fera un magnifique film parce qu’il a eu la chance de se faire violer petit et que son drame passionnera le monde…  Hum… Une époque où j’ai failli être viré d’un cours pour avoir oser défendre l’idée que la Nouvelle Vague avait fait plus de mal au cinéma français que de bien.

Chez Pierre Jenn, il y avait d’abord ses cours qui nous ont permis de comprendre qu’une pièce de Racine, Molière, ou Shakespeare était structurée exactement de la même manière qu’un film de Spielberg, Antonioni ou Hitchcock… Et ensuite il y a eu des ateliers qu’il animait chez lui où quelques privilégiés étaient admis. C’est là que le pli a pris.

As-tu lu des ouvrages traitant de la dramaturgie ?

Oui mais assez peu. D’abord le livre de Pierre Jenn sur le scénario, mais aussi ensuite ses sources : Greimas (avec son célèbre schéma actanciel), Genette (et ses Figures), et  Aristote bien sûr… Ensuite il y a eu Ecriture de Stephen King sur lequel je suis tombé par hasard.

Beaucoup plus tard, j’ai été invité à suivre le séminaire McKee dans lequel j’ai peu appris mais apprécié la déculpabilisation de son intervention.

Ces livres disent tous la même chose, mais le disent de manières différentes. Une fois que l’on connaît son métier, il n’y a plus vraiment besoin d’y revenir.

Par contre je suis assez heureux d’avoir tardé à les découvrir. Si les règles d’écritures sont importantes et peuvent aider, elles peuvent aussi frustrer et emprisonner l’imaginaire. Je pense qu’il faut avoir d’abord un peu écrit, pris assez confiance en soi et eu beaucoup de plaisir à écrire… ensuite on peut facilement structurer son écriture sans douter de ses capacités.

Ton entourage t’a-t-il soutenu dans ce choix ?

Oui heureusement… Sans lui et sans la patience surtout de mon épouse je n’aurais jamais réussi à tenir face à ces dix années de refus et de frustrations… qui furent aussi dix ans d’apprentissage et de maturation.

Quel a été ton tout premier engagement ?

Paradoxalement très tôt, un sujet vendu pour une série polar/rose d’M6 produite par le Sabre. Je devais avoir 22 ans. Peut-être moins, je sais plus. Comme il se doit pour un dépucelage scénaristique à la télévision ça n’a pas été agréable :  mon idée a été achetée par le producteur qui l’a donnée aussitôt à écrire à un co-producteur de la boîte. Ma timidité d’alors n’a pas non plus aidé. Au final, je n’ai jamais été convié par Le Sabre à venir voir le téléfilm que je ne l’ai jamais vu, même si je sais qu’il a été diffusé.

Ensuite j’ai commencé à écrire dans mon coin des projets de longs qui n’aboutissaient pas. J’ai fait mes armes dessus. J’ai également proposé un concept d’une série documentaire sur le cinéma qui est toujours en production, Il était une fois un grand film produite par Marie Genin et chapotée par Serge July… J’ai vite quitté le navire aussi bien parce que je n’y trouvais pas ma place que parce que les films étaient trop pépères et l’analyse critique trop simpliste à mon goût.

Tout en continuant à travailler sur des projets cinéma qui n’aboutissaient toujours pas, j’ai eu l’opportunité de travailler sur deux docu-fictions jamais diffusés (en France) produits par Delarue sur Marie-Antoinette et Josephine de Beauharnais. Ça m’a permis d’apprendre à écrire en tenant compte de la réalité de production, d’être roublard, tout en gérant en même temps que l’écriture les répercutions sur un plan de travail. C’était formateur. Et ça m’a permis de rencontrer surtout Alain Brunard un réalisateur avec qui je me suis associé sur plusieurs écritures.

Voyant autour de moi le marasme et la tristesse des scénaristes de télé qui écrivent pitch/synopsis, etc et qui passent plus de temps à attendre des réponses qu’à écrire, j’ai refusé d’entrer dans ce processus là. J’étais rentré depuis quelques temps déjà chez TF1 films production comme conseiller artistique dans le but de comprendre ce qui se faisait et comment ça se faisait afin de ne plus écrire mes « superbes histoires » de manière détachée de la réalité pragmatique de la production. Ça m’a permis de comprendre comment la production française fonctionnait… et ça m’a permis de m’adapter sans pour autant jamais me trahir. Je mettais de côté mes idées irréalisables, pour m’attarder sur celles qui me tenaient autant à cœur mais qui pouvaient, elles, être produites.

Si bien que je me suis mis à écrire sans prod, mais en subodorant que le marché devrait être intéressé par ce que j’écrivais. Le premier texte écrit a été lancé à droite et à gauche, cinéma et télé en donnant la primeur à celui qui réagirait le plus. Deux mois plus tard, le texte entrait en production comme téléfilm pour France 3 (Corps Perdus). On en a écrit un deuxième ensuite de la même manière, vendu également clé en main à TF1 pour la télé (En Apparence)…

Après cela, le train était lancé… aussi bien aujourd’hui en télé qu’au cinéma.

Comment as-tu rencontré ton agent ?

J’ai deux agents. Anne-Laure Foundoulis qui travaillait initialement chez Lise Arif et que je n’ai pas voulu perdre quand elle est partie monter sa propre structure et Valérie Komaroff qui travaille, elle, toujours chez Lise Arif.

Combien de temps t’a-t-il fallu ensuite pour réellement vivre de ton métier ?

A peu près onze ans. Ça fait seulement 5 ou 6 ans que ça marche de mieux en mieux. Onze ans, c’est beaucoup et peut-être effrayant mais c’est le temps qu’il m’a fallu pour que le premier déclic s’opère, qu’une porte s’ouvre enfin… c’est aussi  le temps qu’il m’a fallu pour que quelqu’un comme moi, qui n’a pas une tendance naturelle à aller vers l’extérieur, de m’ouvrir. Sans doute que j’ai toujours pris trop de plaisir à rester dans ce monde imaginaire qu’est la bulle qui entoure le bureau d’un scénariste. Qu’un texte que j’écris se concrétise ou non a malheureusement toujours été secondaire pour moi.

D’un autre côté, en onze ans, je n’ai jamais cessé d’écrire, d’apprendre et affûter mon écriture, gagner en assurance. Ça m’a permis d’avoir pu vendre des spec-scripts ce qui n’arrive que rarement dans la télévision française.  Je n’ai aucun regret, je pense que si les choses s’étaient passées plus tôt, je ne suis pas sûr que j’aurais pu les gérer de la même manière, avec autant de sérénité et d’assurance.

Avec le recul, que retiens-tu de ces débuts ? Que conseillerais-tu à un aspirant scénariste?

Je ne sais pas ce que je retiens de mes débuts. J’ai l’impression que chaque parcours est unique et que c’est difficile d’en tirer quelque chose, une morale ou un enseignement. Et je n’aime pas regarder vers l’arrière.

Ce que je conseillerai à un débutant ? Pour ce qui est de la période d’apprentissage : de cultiver plusieurs vertus. Celle de la confiance en soi qui permet de s’accrocher quand les coups pleuvent et les déceptions se succèdent. Il y en a toujours. Elle est vitale, cette confiance, pour ne pas se laisser démonter et être capable après un moment de rage de redémarrer sur une nouvelle page blanche. Il faut également une autre vertu, qui est paradoxale avec cette confiance en soi :  la capacité d’entendre, de prendre la critique en considération. C’est ce double mouvement qui permet d’avancer : se remettre en question et être sûr d’y arriver.

Ensuite se cultiver : regarder les films, les séries, construire son goût, se connaître, s’affûter… et travailler encore et encore, toujours. Ne jamais être complaisant avec soi-même… progresser, progresser et comprendre comment les choses, et le monde fonctionnent… et bien sûr lire tous les jours Scénario-Buzz !

Pour les débuts dans ce métier, surtout s’il s’agit de la télévision je crois important voire vital de ne jamais travailler sur un projet, une série dans lequel on ne croit pas. Il faut être capable de dire non à un projet et surtout de dire ce qu’on en pense. Cette liberté là est chère et (donc) rare  et il ne faut pas hésiter à avoir, au début, un métier alimentaire qui vous laisse à la fois le temps et l’énergie pour continuer à travailler à côté et la liberté de dire non. Quand ce n’est pas bon, il faut pouvoir le dire. Ce n’est jamais facile de le faire… mais travailler sur un projet pourri ne vous apportera rien, ni reconnaissance ni ligne utile sur votre CV, seulement l’image, voire la réputation que vous avez un goût de chiotte d’avoir travaillé là dessus ! Une mauvaise ligne d’un CV est pire que pas de ligne du tout. Pour l’argent ? Oui mais il vaut mieux alors le gagner ailleurs plutôt que de vous compromettre… sans compter le fait que la force d’un scénariste c’est la passion qu’il met dans son écriture. Sans passion, c’est de la prostitution. Une copine scénariste avait cette formule : être une scénariste c’est être mi-pute mi-soumise.

Personnellement je n’ai jamais écrit une histoire, une scène, une ligne qui ne me convenait pas. Mais cela est possible que quand on a conscience du cadre dans lequel on évolue, ce qu’on peut faire, ce qu’on ne peut pas faire et réussir à s’adapter. Faire des compromis, mais jamais de compromission.

D’expérience, je peux vous assurer que cette attitude, cette capacité à dire non, de démontrer par A+B à des producteurs, à des chargés de programmes qu’ils ont tort est suffisamment rare pour intéresser ou déstabiliser producteurs et diffuseurs et susciter la curiosité… à condition derrière d’assurer bien sûr ! Ça ne doit pas être que du discours. Ensuite il faut ne jamais lésiner sur le travail, être bosseur, tout faire pour que ce soit au mieux… et être de nouveau à l’écoute des critiques, apprendre, progresser.

Bref aller à l’encontre de cette réputation pas toujours fausse que les scénaristes sont râleurs, fainéants et opportunistes…

Références :

RV très bientôt pour un nouveau témoignage…

Copyright©Nathalie Lenoir 2014

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