Ill manors

Par Yutuy

Film coup de poing (et c’est peu de le dire), III manors (2012) est le 1er long métrage du rappeur plutôt doué Plan B (faut le faire pour se trouver un pseudo pareil), aussi appelé Ben Drew. (c’est ça en fait son vrai nom hein). Il dresse les portraits de jeunes dealers, paumés, camés, putes, tout un beau monde, dans un quartier difficile de l’est de Londres. Au casting des inconnus au bataillon, excepté peut être Natalie Press, vu dans un court métrage (Wasp, 2003) et long métrage (Red road, 2006), d’Andrea Arnold également réalisatrice du superbe Fish Tank, 2009.

Mieux vaut avoir le cœur bien accroché devant III manors. Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu autant de noirceur, de situations plus glauques les unes que les autres, de violence, de désespoir non stop au cinéma. Ben Drew s’attaque à tout, pour nous entraîner dans sa spirale infernale sans limite: drogues, prostitution, exploitations des corps et des esprits, injustices, engrenages sans issue, tortures, bébé né dans la misère puis abandonné,vendu…Bref,  je vois d’ici sur votre visage joie et bonheur qui s’installent.
Venant de ce quartier, Ben Drew retranscrit des histoires vécues de près ou de loin, ou lues dans les journaux. (Voilà pour le petit côté "based on true story" histoire d’appuyer un peu là où ça fait mal).

Si le film est assez primaire et franchement peu novateur,voire rébarbatif pour le fond (le système créé des malaises chez la population qui donc, se retrouve dans des situations traumatisantes et deviennent des délinquants), la forme est très intéressante.
III manors est un chassé croisé de différents protagonistes, qui se retrouvent parfois dans le film.Ben Drew ne prend pas de gants, il installe rapidement ses personnages dans une situation (trafic de drogue, prison, exploitation sexuelle…) Le ton est donné. Ce qui surprend, c’est le manque d’humanité, en tout cas d’empathie, chez la plupart des personnages. Et pourtant, dieu sait qu’on peut se douter à quel point l’homme peut être cruel, mais j’ai rarement vu au cinéma des portraits de citoyens, certes dans l’illégalité permanente, si durs.
Les personnages sont portés par des interprètes inconnus, débutants, qui parviennent à transmettre une urgence, un désespoir dont ils essayent plus ou moins de s’extraire.
Et ce qui est très bien montré, c’est à quel point tout peut basculer de façon irrémédiable. On cherche avec le personnage une solution possible d’agir différemment pour améliorer les choses, mais non, il n’y en a pas. Que finalement tout ne peut pas s’arranger, même avec avec de la volonté, et que donc il faut parfois choisir avec soin, vers où on se dirige. C’est un peu ça le message du film, tout n’est pas réparable.

La mise en scène  rappelle celle de Fish Tank (qui se passe aussi dans la banlieue londonienne), suivant presque pas à pas les personnages, avec une instabilité et une vivacité de la caméra, proche de ses protagonistes. La lumière est globalement très sombre.

Aucun répit pour le spectateur, quand une histoire est finie, elle débouche sur une autre, l’horreur des situations augmentant. La direction d’acteurs est pour le moins maîtrisée (vas y pour diriger une bonne dizaine d’acteurs plus ou moins débutants, quand c’est ton 1er long métrage), car malgré la multitude des personnages, on est jamais perdus, on arrive même à comprendre, identifier les émotions, caractères, actions de chacun.

Là où  III manors se démarque vraiment, c’est qu’il est entrecoupé de passages musicaux, un flow sorti directement de la bouche de Plan B. Chaque passage raconte la plongée infernale d’un personnage, le tout illustré par un montage saccadé, électrique. Non seulement ça permet d’en savoir plus sur les personnages (et de comprendre mieux le déroulement de l’action), mais on visualise mieux qui est qui. Outil narratif plutôt efficace et musique qui envoie.

A voir (et revoir si votre cœur est d’accord).

Bonus:

Bande annonce

Interview Ben Drew

Interview de deux acteurs (Riz Ahmed and Anouska Mond)