Dans le bureau de Claire Barré

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Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…

Pour cette nouvelle édition, c’est ma consoeur Claire Barré qui nous ouvre la porte de son bureau…

Claire Barré s’est formée au métier de scénariste sur les bancs du CEEA. Elle s’est notamment illustrée sur les séries Les Minikeums, RIS, Xanadu, Diane femme flic et Foudre, et a signé plusieurs pièces de théâtre. Elle est membre de la Guilde Française des Scénaristes.

Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?

J’ai d’abord eu une formation de comédienne, au Cours Simon. En sortant, j’ai co-écrit avec Delphine Guillonneau, un two-women show, qu’on a joué dans pas mal de salles de café-théâtre. C’est grâce à un sketch, joué au Point-Virgule, que nous avons rencontré Arnold Boiseau, qui nous a fait travailler sur les Minikeums, et sur Fort-Boyard, entre autres, donc l’écriture télé est arrivée assez vite, même si je n’étais pas encore scénariste.

J’ai co-écrit, avec Delphine toujours, une comédie policière que nous avons pu jouer au Mélo d’Amélie pendant un an, et j’ai écrit une autre pièce de théâtre dans la foulée, qui a été créée en festival.

Après ça, Eric Guého m’a demandé de lui écrire des sketchs, pour sa bulle d’humour quotidienne diffusée sur Pink TV, Bonheur, bonheur!. Il m’a présentée à William Willebrod Wégimont, et tous les trois nous avons travaillé sur un projet de série tv gay friendly fantastique, Férizes, les fées folles, qui a obtenu le Fonds d’Aide à l’Innovation du CNC et qui a été développé avec Arte (K’ien productions), avant d’être – malheureusement – abandonné.

J’ai passé le concours du CEEA en 2005, ce qui m’a permis de suivre une formation de scénariste.

En sortant, en 2007, j’ai tout de suite été engagée sur la série RIS, police scientifique, et j’ai co-écrit trois épisodes avec Vincent Robert. Depuis, j’ai travaillé sur la série Xanadu, diffusée sur Arte, sur Foudre (France 2), sur Dim Dam Doum (Playhouse Disney), et je continue à développer pas mal de projets, aussi bien tv, cinéma que théâtre. J’ai obtenu deux autres fois le Fonds d’Aide à l’Innovation, avec mes co-auteurs Eric Guého et William Willebrod Wégimont. Depuis quelques années, j’anime aussi des ateliers d’écriture scénaristique, à la faculté de Nanterre et au CEEA.

Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?

Je travaille dans un petit coin de mon salon.

Pouvez-vous décrire ce bureau?

Le coin dédié à mon bureau est petit, mais la pièce est plutôt grande. Je ne suis pas loin du balcon, ce qui me permet de faire des pauses cigarette, et sur ma droite se trouve le piano de mes enfants, ainsi qu’un coin canapé avec vue sur le ciel.

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Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entourée d’objets et souvenirs ?

La pièce est plus baroque qu’épurée, plein d’objets, de tableaux, de livres, de photos, de piles de CD et de papiers divers.

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Etes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?

Oui, tout à fait, je travaille très régulièrement chez mes co-auteurs.

Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?

Pas quand je travaille seule, mais quand je co-écris, il m’arrive de retrouver mes co-auteurs dans des bars calmes pour écrire. Cela dit, je préfère, quand c’est possible, écrire dans un appartement, c’est plus calme, plus propice à la réflexion et au débat d’idées.

Etes-vous satisfaite de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer?

J’adorerais avoir un vrai bureau, au sein de mon appartement, avec une porte, cela dit, en fin de journée, quand ma famille réinvestit les lieux, c’est assez agréable, même quand j’ai du travail, de les voir passer. Pour l’organisation de mes journées de travail, je commence le matin, une fois les enfants à l’école et j’essaie, au maximum, de ne pas trop travailler le soir et le week-end, histoire de profiter d’eux. Cela dit, ça n’est pas toujours possible et je profite alors des moments où ils regardent des films pour m’isoler et écrire.

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Préférez-vous travailler seule ou avec un co-auteur ?

J’aime les deux, je crois que ça dépend un peu des projets. Pour des projets tv, particulièrement des séries, je ne me verrais pas écrire seule, en revanche, pour des projets plus personnels, j’aime beaucoup me retrouver en face à face avec mon ordinateur. L’intérêt de la co-écriture réside, je crois, dans le fait que c’est très motivant et enthousiasmant de travailler à plusieurs, on débat des projets, on tente de se mettre d’accord, c’est très enrichissant. De plus, ça permet de quitter un peu la « tour d’ivoire » et d’avoir des deadlines plus gravés dans le marbre que quand on écrit seul.

Etes-vous plutôt Mac ou PC ?

Totalement Mac, même si j’ai commencé sur PC. Tout est plus simple.

Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?

J’utilise essentiellement Word, mais il m’est arrivé d’écrire sur Final Draft.

Travaillez-vous à horaires fixes ?

Je commence dès le matin, le lundi, mardi, jeudi et vendredi, jusqu’à 16 ou 17h environ, même si je dois parfois caler des rendez-vous professionnels. Le mercredi, je trouve des créneaux, entre les différentes activités de mes enfants, le week-end, je travaille plutôt l’après-midi.

Plus jeune, la nuit était le berceau préféré de mon imaginaire, mais aujourd’hui je préfère clairement travailler le matin, avec l’esprit clair et reposé.

Combien de temps de travail en moyenne par jour ?

Ça dépend des jours, quand j’ai beaucoup de travail, je peux travailler 6 ou 7 heures par jours, parfois plus, parfois moins. Tout dépend des périodes. Mais quoi qu’il arrive, je travaille au minimum quatre heures, sachant que j’ai en plus de mes travaux d’écriture, beaucoup de travail de lecture des synopsis, séquenciers, scénarios, etc, de mes étudiants.

Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?

Quand je co-écris, les pages utiles peuvent être très nombreuses (une trentaine, facilement), quand j’écris seule, entre 10 et 20, peut-être. Mais c’est très variable. Je ne tiens pas exactement les comptes, pour tout dire. Et puis, de temps en temps, il y a des journées où l’on n’écrit pas spécialement beaucoup, mais où l’on dénoue un noeud, on progresse dans la compréhension du projet, on passe un cap significatif: ces journées-là sont essentielles. Après, écrire devient un travail de rédaction, ce qu’il faut, avant tout, c’est savoir de quoi on veut parler et ce travail de réflexion peut prendre du temps, mais fait partie du travail, même s’il ne se comptabilise pas, sur le coup, en « pages utiles ».

Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?

Pas spécialement, non, je fais des pauses quand j’ai un coup de barre ou l’esprit trop saturé.

Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?

Plutôt silence total pour moi. Mais je peux très bien, durant une courte pause, écouter une morceau, regarder un clip, en rapport, souvent, avec l’humeur du personnage sur lequel je travaille.

Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?

Oui, un chat, qui accompagne, lui aussi, mes petites pauses.

Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connectée à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?

Sauf deadline proche, je reste connectée (mail, téléphone, Facebook), mais j’essaie de limiter un peu.

Avez-vous des rituels d’écriture ?

Ayant une vie extrêmement saine, je commence souvent ma journée de travail, par un premier café, accompagné d’une première cigarette, sur mon balcon. Je me projette, alors, dans ce que je vais écrire. C’est un moyen de me recentrer.

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Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?

Des post-it, parfois, quand je structure, ou des feuilles scotchées à une porte, un mur. J’ai toujours des carnets dans mon sac, mais je peux écrire aussi sur des tickets de métro, des feuilles volantes. J’aime bien revenir au papier, de temps en temps, quand j’ai besoin de refaire un squelette, ou de tester des dialogues, mais je peux tout aussi bien rédiger directement sur ordinateur. En tout cas, j’ai besoin, régulièrement, d’imprimer pour avoir les textes sous les yeux, de manière plus concrète, l’écran finit par déréaliser un peu. On voit des choses (fautes, répétitions de mots, style, etc) sur papier qui nous échappent sur écran.

Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?

Je regarde beaucoup de films, de séries, je lis des livres aussi. Je ne peux pas m’empêcher d’avoir un regard « décortiqueur », d’essayer de voir comment les histoires fonctionnent, sont construites. Quand je suis dans des moments de « recherche », j’écoute de la musique, ça aide au vagabondage de l’esprit.

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Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?

Thé, café et cigarettes… Pas vraiment de grignotage, en revanche. Je saute parfois le déjeuner, mais je me rattrape en me prenant un petit thé vers 16h.

A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?

Le matin, chez mes co-auteurs. Sinon, quand je suis seule, je peux m’allonger sur mon lit, ou sur le canapé, le matin aussi, et subitement, quand les idées commencent à se mettre en place, je marche en long et en large, et je note les idées qui viennent sur une feuille ou sur l’ordi, au passage. Je réfléchis aussi à mes projets, la nuit, avant de m’endormir.

Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?

Je prends toujours beaucoup de notes, aussi bien sur des carnets, des post-its, des enveloppes, etc. Je fais ensuite le tri en les recopiant sur un doc Word que j’imprime et sur lequel je reprends des nouvelles notes.

Etes-vous sujette à la procrastination ?

Plutôt, oui, mais ça ne gêne pas mon travail: parfois, aller deux minutes sur Facebook, jouer au Mah-Jong, aller lire des articles sur Internet, ou prendre et éditer des photos, me permet de me vider la tête, ou au contraire de me concentrer, l’air de rien, sur un point précis de mon travail. Mais quand je suis dans des périodes de travail intense, j’essaie de limiter ces « escapades » au maximum.

Avez-vous déjà été frappée par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?

Pas vraiment, non. Comme je travaille toujours sur plusieurs projets différents, quand j’en ai un qui bloque un peu, je travaille sur un autre et souvent, ça débloque le premier, d’ailleurs. Sinon, comme recette: prendre le personnage du scénario en cours et le transformer, le temps d’une page, en personnage de roman, en profiter pour entrer dans sa tête, pour trouver sa manière de réfléchir, de parler. Il me semble qu’en règle générale, un blocage intervient quand le projet devient « flou » pour l’auteur, il faut alors se reposer les bonnes questions: qu’est-ce que je veux raconter, au fond, dans cette histoire? Qui est mon personnage? Pourquoi est-ce que ce projet me tient à coeur?

Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?

Pas totalement, non, mais j’essaie de freiner. J’adore voyager, et je ne peux pas m’empêcher de prendre des notes quand je suis loin. Il m’est arrivé aussi de partir en vacances avec du travail à finir, mais j’essaie d’éviter, si je peux, même si ça n’est pas toujours possible.

Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?

Des photos, lire, passer du temps avec ma famille, voir des amis, des films, des séries. (Mais lire, regarder des films et des séries, c’est toujours du travail, au fond…)

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Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?

J’en ai lu plusieurs et aucun n’est totalement culte, même si chacun donne des outils et permet, surtout, de se poser les bonnes questions sur un projet en cours. Quand je débute un nouveau projet, il m’arrive de relire des passages, ça m’aide à me concentrer.

En vrac: L’écriture de scénarios de Jean-Marie Roth, La dramaturgie d’Yves Lavandier, Story de Robert McKee, L’anatomie du scénario de John Truby, Écriture de Stephen King

Juste avant de passer le concours du CEEA, je ne savais pas grand-chose de l’écriture scénaristique, et je me souviens qu’un livre m’avait beaucoup aidée à me préparer: Exercice du scénario de Jean-Claude Carrière et Pascal Bonitzer.

Qui est votre scénariste fétiche ?

J’en ai beaucoup… Billy Wilder et I.A.L. Diamond, « Nobody’s perfect » de Certains l’aiment chaud étant une réplique fétiche; Pasolini, ainsi que tous les scénaristes plus ou moins connus qui ont collaboré avec Fellini, Visconti, Ettore Scola; Woody Allen, Tarantino, Guy Ritchie, Charlie Kaufman, le duo Jaoui-Bacri, les dialogues de Michel Audiard, et tant d’autres…

Côté télévision, Alan Ball (Six feet under), Hagai Levi (In treatment), Josh Whedon (Buffy), David Lynch et Mark Frost (Twin Peaks), Aaron Sorkin (The West Wing), Marta Kauffman et David Crane (Friends), David Simon et Ed Burns (The Wire), Vince Gilligan (Breaking bad), et tant d’autres…

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Quelle est votre actu ?

Des projets, qui en sont à différents stades de développement:

Un projet de série, co-écrit avec Anne-Charlotte Kassab, (producteurs: Shannon Blue, LGM et Nexus Factory), qui est en lecture dans une chaîne…

Une mini-série, co-écrite avec Eric et William, toujours, qui avait eu le Fonds d’Innovation l’an dernier, qui a trouvé un producteur (Making prod) et qui va partir en recherche de chaîne d’ici quelques mois…

Un projet de long-métrage, dont je ne peux pas encore parler, mais qui avance très bien…

Un roman en recherche d’éditeur…

Deux nouvelles pièces de théâtre: une comédie (co-écrite avec Eric Guého et William Willebrod Wégimont) en recherche de salle, et une pièce adaptée d’un roman russe dont je suis en train de finaliser l’écriture.

Et pas mal de projets en développement (des séries tv, un biopic, entre autres.)

Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau d’auteur…

Références :

Copyright©Nathalie Lenoir 2013


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