Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…

Pour cette nouvelle édition, c’est mon confrère Edmond Tourriol qui nous ouvre la porte de son bureau…

Scénariste de bande-dessinée (il s’est notamment illustré sur les franchises Urban Rivals, Zeitnot, Mix-ManBanc de touche… et plus récemment Morsures)  Edmond Tourriol a fondé le studio associatif Climax Comics, puis le studio Makma. On lui doit un nombre impressionnant d’ouvrages, mais aussi de traductions de comics américains, et le site Superpouvoir.com. Il tient également un blog, Tourriol.com dont je vous recommande la fréquentation assidue.

Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?

Eh bien, j’ai commencé à écrire des BD sérieusement en 1998 mais c’était pour des publications amateurs sur le réseau des fanzines. Mon premier travail professionnel dans la BD, ça a été de la traduction de comics, en 2001. Et j’ai signé mon premier contrat de scénariste professionnel (rémunéré) en 2006. Pour la petite histoire, c’était dans une collection qui voulait éditer du manga « à la française ».

Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?

J’ai mon bureau qui me sert également de bibliothèque. J’y range ma collection de comics, de BD et de mangas, même si j’ai commencé à coloniser la chambre pour des raisons d’encombrement. Une pièce dédiée à mon travail, c’est indispensable, vu que j’ai quand même une famille à la maison et que mes enfants ont six et huit ans. Si je devais travailler au salon ou dans la cuisine, je deviendrais dingue. Sans parler de l’état de mon dos : vu le temps que je passe à taper à l’ordi, il vaut mieux que je dispose d’un espace de travail adapté avec un siège confortable. Quand j’habitais en ville, à Bordeaux, j’avais installé mon bureau sur des planches sous mon lit mezzanine. Je travaillais sur une chaise à vingt francs. Je me suis vraiment ruiné la santé. Quand j’ai déménagé et que je me suis offert un vrai fauteuil, ça m’a changé la vie.

Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Pouvez-vous décrire ce bureau ?

Il doit faire un peu plus de 10m². Dans un angle : le bureau, un meuble informatique qui aura bientôt une dizaine d’année. Il dispose d’une belle profondeur pour le tube cathodique de mon moniteur. Quand j’avais un22 pouces à l’ancienne, ça valait le coup. Maintenant, avec les écrans plats, ça me fait une belle jambe. Au-dessus du bureau : des étagères avec des BD petit format, des mangas, des livres de poches, des livres de référence (Bescherelle, Harrap’s, dico des synonymes, etc.) et divers ouvrages sur l’écriture en général (scénario, roman, films, BD, etc.)

Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Derrière le bureau et sur les deux autres murs : des comics et des BD, du sol au plafond, sur des étagères que j’ai taillées sur mesure. J’en ai des milliers, amassés depuis l’âge de cinq ans. Devant les étagères : un canapé Ikea pas cher qui me sert à faire la sieste, à bouquiner rapidement quand j’ai besoin de vérifier un détail dans ma collec, ou à accueillir un invité incapable de repartir chez lui en voiture après une soirée bien arrosée.

Deux téléphones. Un radio-K7-CD, une imprimante laser couleur, du matos de bureau. Plutôt bien rangé. Je travaille mieux dans l’ordre.

Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entouré d’objets et souvenirs ?

J’ai trop d’objets et de bibelots, dont une section d’étagères entièrement dédiée à mes figurines de super-héros accumulées depuis mon enfance (et encore, j’ai vendu mes Guerre des Étoiles et mes Maîtres de l’Univers pour m’acheter des comics quand j’étais au collège). Un jour, il faudra que je bazarde tout ça. Je me sentirai plus libre et plus léger. Il faudrait aussi que je me débarrasse de ma collection de comics mais si je faisais ça, je ressentirais comme une grande perturbation dans la Force.

Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Êtes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?

Bien sûr. En fait, je travaille très souvent sur une chaise longue au soleil, dans mon jardin. Ou dans mon lit. Ou dans le train, aussi. Je travaille très bien dans les trains quand je voyage seul.

Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?

Eh bien, en dehors des trains, il m’est plusieurs fois arrivé de travailler sur des places publiques en extérieur, assis sur un banc. Parfois devant la mer, sur la Côte d’Azur. Je guette les hot-spots pour me connecter à Internet. Sinon, quand je suis invité en dédicace et que le public ne se presse pas pour obtenir ma signature, j’ai toujours mon petit carnet pour prendre des notes.

Êtes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer ?

Globalement, je suis assez satisfait de mon bureau et de mon organisation. Si je devais changer quelque chose dans le bureau, c’est que je n’en ferais pas ma bibliothèque. Mais bon, c’est pas comme si j’avais d’autres possibilités dans l’état actuel de mes finances. Donc à moins de convaincre un de mes gosses de camper dans le jardin, ça restera ça un bon moment encore. Sauf bien sûr si une de mes BD fait un petit carton et se transforme en série TV.

Niveau organisation, je suis pas mal. En fait, je suis bel et bien en train de changer ce qui ne me convient pas, mais ça ne se joue pas au niveau de mon travail de scénariste mais plutôt au niveau de l’organisation du studio MAKMA. Nous allons nous recentrer sur deux types d’activités : celles qui rapportent et celles qui peuvent rapporter. Le reste, on n’y touchera plus.

Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?

Ça dépend pour quoi. Pour la BD d’humour, c’est très dur de travailler seul. Pondre gag sur gag en restant efficace, ça n’est pas à la portée de tout le monde. Du coup, je préfère travailler en duo ou en groupe plus nombreux. Sinon, de toute façon, la BD est souvent un travail d’équipe. En tant que scénariste, j’ai besoin d’un dessinateur pour mettre mes histoires en image. Donc même si j’écris seul une BD d’aventure, j’ai quand même des échanges avec le dessinateur, c’est obligatoire, ne serait-ce que pour bien s’entendre sur le rythme et sur les effets.

Etes-vous plutôt Mac ou PC ?

PC. Je ne sais pas à quoi ça sert, un Mac.

Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?

Hahaha. Word. Mais sinon, en vérité, je prends souvent des notes dans un logiciel de cartographie mentale comme Mindjet MindManager. C’est un outil puissant pour générer des idées et synthétiser ses notes.

Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Travaillez-vous à horaires fixes ?

Avec une famille à la maison, j’ai des horaires fixes et aussi des jours fixes, qui sont plus ou moins déterminés par le calendrier de l’éducation nationale.

Combien de temps de travail en moyenne par jour ?

Eh bien, je me lève à 6h00. Il me faut 10 minutes pour préparer mon petit-déjeuner que j’avale en lisant les infos dans Netvibes. Je me fais une petite session d’une heure avant d’attaquer le petit-déj et le lever des enfants. Ce n’est qu’une fois que je les ai laissés à l’école que je reprends mon travail. Hop, trois heures de plus jusqu’à midi. Petite séance de pause le temps de préparer à manger et de me nourrir devant les nouvelles infos qui sont tombées dans la matinée. Sieste de vingt minutes. Et j’embraye sur trois heures de boulot avant d’aller récupérer les mômes à l’école. Après ça, les devoirs, les douches, le dîner… et ça dépend du programme du soir. Soit je suis débordé avec des délais serrés à tenir et je bosse encore trois heures supplémentaires avant de me coucher, soit c’est relâche et je ne travaille pas. Cela dit, c’est rare. Les jours sans école, c’est-à-dire les mercredis, samedis et dimanche, c’est plus compliqué. Si j’ai vraiment beaucoup de travail, ma femme me laisse m’enfermer dans le bureau. Si je suis plus tranquille, ce sont souvent des journées à quatre ou cinq heures de boulot. Il est assez rare que je fasse des journées à zéro heure de travail. Entre vingt et trente dans l’année, maximum. Si je ne travaille pas, je deviens dingue.

Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?

Je ne sais pas ce que c’est, une page utile. Maintenant, en terme de planche de BD, il m’est arrivé de scripter dix planches d’un coup. Mais pour autant, elles avaient été préparées en amont lors du synopsis. Donc je ne sais pas trop ce que je peux répondre à cette question. Il m’arrive d’avoir des journées très rentables. Et il m’arrive de consacrer des semaines à la recherche de référence, et donc à bosser gratos, en quelque sorte.

Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?

Pour manger et pour faire la sieste. Et pour dormir la nuit, oui.

Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?

En général, en musique mais ces derniers temps, j’ai de plus en plus besoin de me concentrer dans le silence de ma maison vide.

Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?

Je suis allergique aux chats. Et je n’aime pas ramasser les crottes de chien. Donc non.

Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?

Je déteste qu’on me téléphone. Surtout quand je bosse. Sur Twitter et Facebook, je suis plutôt actif mais j’essaie de ne pas y aller trop souvent. En tout cas, j’essaie de ne pas être interrompu dans une phase de travail. Donc quand j’ai bouclé une séquence ou une bonne série de pages de traduction ou je ne sais quoi, je m’accorde un petit tour sur les réseaux sociaux. Pareil pour les e-mails. Si je les lisais en temps réel, je ne ferais plus que ça.

Avez-vous des rituels d’écriture ?

Échauffement avec une carte mentale, soit sur papier, soit dans MindManager. Et après, j’attaque.

Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?

J’essaye souvent des nouveautés mais je centralise toujours tout dans une carte géante qui ne peut tenir que sur un fichier numérique. Si je l’imprimais, elle pourrait servir de tapis à tout mon salon.

Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?

Oui, tout ça. Et plein d’autres choses. Des gens que je vais croiser dans la rue. Des gens que j’ai connus ou que j’ai côtoyés. Même un type que j’ai croisé pendant deux jours au service militaire peut se retrouver dans une histoire. Une réplique entendue dans le tramway. Je prends tout ce qui passe.

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Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?

Café le matin et en début d’aprèm. Jambon ou surimi. J’évite le sucre parce qu’à une époque, j’ai dépassé les 90 kg et j’aimerais éviter que ça se reproduise.

A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?

Seul ? Devant ma bécane avec MindManager (je n’ai pas d’actions chez Mindjet mais ils ont un super logiciel que je recommande à tous les écriveux). En groupe ? Autour d’une table avec des bières et des cacahuètes.

Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?

Énormément. Dès que je lis un morceau de livre, je le retranscris sous forme de notes le lendemain… dans MindManager !! (j’aime aussi beaucoup le comique de répétition) Et je fais pareil pour tout ce que je note dans mes carnets.

Êtes-vous sujet à la procrastination ?

Oui. La preuve, je suis en train de répondre à cette interview alors que j’aurais de quoi travailler pendant au moins une semaine à raison de douze heures par jour, là.

Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?

MindManager. Sérieux.

Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?

Non. Je pars avec mon netbook et mon iPhone. Et il m’arrive souvent de partager des vacances avec mon associé principal au sein du studio MAKMA. Du coup, qu’est-ce qu’on fait de nos journées pendant que nos épouses s’occupent des enfants ? On bosse, pardi !

Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas ?

Si je réponds à cette question, ma femme va me faire les gros yeux.

Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?

Le meilleur bouquin que j’ai lu sur l’écriture, c’est Plot & Structure de James Scott Bell. Mais je ne lui voue pas de culte particulier. J’aurais pu dire Story de Robert McKee mais c’est surtout son séminaire qui m’a impressionné, plus que son livre qui en est le compte rendu.

Qui est votre scénariste fétiche ?

Alan Moore, probablement. Mais ça n’est pas vraiment un fétiche. C’est un auteur que j’admire. Ce qu’il a fait sur Watchmen, ça dépasse tout ce que je peux espérer faire un jour dans une BD. Enfin, non, ça pose un idéal inaccessible que j’espère effleurer un jour, avant de taper ma dernière page. Dans quelques décennies, si je travaille bien et si mon cœur ne lâche pas avant.

Dans le bureau d’Edmond Tourriol

Quelle est votre actu ?

En tant que traducteur, je viens d’adapter le dernier tome de Walking Dead chez Delcourt et je suis en train de travailler sur Wolf-Man, du même scénariste (Robert Kirkman), pour une sortie chez Glénat en 2012.

En tant que scénariste, j’ai coécrit La France de Tout en Bas avec plusieurs collègues du studio MAKMA. L’album est sorti cet été chez Bac@BD. C’est une BD d’humour satyrique. Mon autre grosse actu, c’est que je vais changer d’éditeur pour  Banc de Touche, ma série qui parodie l’équipe de France de football. Je voudrais sortir le tome 3 juste avant l’Euro 2012, pour des raisons évidentes d’actualité facilitant la promo. Et pour ça, il me faut vite signer avec un nouvel éditeur. Le premier tome s’est vendu à plus de 8 500 exemplaires… à bon entendeur !

Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau de scénariste… et demain pour découvrir ceux de lecteurs de Scénario-Buzz!

Copyright©Nathalie Lenoir 2011