Dans le bureau de Cédric Perrin

Par Nathalielenoir

Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…

Pour cette cinquième édition, c’est mon confrère Cédric Perrin qui nous ouvre la porte de son bureau…

Après avoir visité les bureaux de Yann Le GalRobin Barataud, Stéphanie Girerd et Cédric Salmon, je vous propose de découvrir un nouvel espace de travail.

Cédric Perrin a co-signé avec son comparse Jean-Christophe Hervé de nombreux épisodes de séries TV: HeidiAdresse inconnueGraine de maire … Tandis que le tandem travaille actuellement sur plusieurs séries d’animation, Cédric a signé en solo plusieurs scénarios de bandes-dessinées, dont la série Le Règne Animal. Il tient un blog intitulé Sans accent.

Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?

J’entre tranquillement dans ma septième année en tant que scénariste professionnel. Ce qui fait que je suis finalement assez « jeune » dans le métier.

Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?

Je travaille dans un petit bureau qui est entièrement dédié à mon travail. Pour écrire, j’ai besoin d’avoir un endroit fermé bien à l’écart du reste de la vie de la maison. J’ai besoin d’être seul dans mon monde.



Pouvez-vous décrire ce bureau ?

C’est une toute petite pièce de 5 mètres carrés environ. J’ai de la chance, car c’est la seule pièce située à l’étage de mon appartement, donc je suis bien isolé, au calme. J’imprime peu, donc je n’ai pas besoin de beaucoup de place pour y avoir des scripts ou des bibles de séries. Ça n’est pas trop le bordel, j’y ai mes DVD que je ne regarde plus depuis que je suis passé aux blue-ray et un stock incroyable de comics que je ne sais plus ou mettre à part ici. J’ai aussi mes CD, que je n’écoute plus non plus puisque tout est dans mon ordi. Ce que j’aime particulièrement c’est le fait d’avoir une fenêtre qui me permet, juste en tournant la tête, de voir le ciel de Nîmes. Je suis très attaché au ciel de Nîmes depuis mon enfance, même si je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi. Quand on a la chance d’habiter dans le sud, la fenêtre est souvent ouverte, ça rend les choses plus agréable.

Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous contraire entouré d’objets et souvenirs ?

C’est un peu entre les deux. Je mets toujours beaucoup de temps à donner de la personnalité aux endroits où je vis. Et quand tout est plus ou moins fait, il faut que je déménage. Je n’ai pas grand chose pour le moment. Mais j’ai quand même une photo de tournage, avec Marie-Sophie L. à mes côtés, ne serait-ce que parce que c’est cool de dire ça en interview…

Etes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?

Non. Il me faut mon siège, mon écran, ma tranquillité et surtout ma musique. Difficile de trouver ça ailleurs.

Travaillez-vous parfois dans des lieux publics ?

Non. Je crois que j’ai essayé une fois avec mon co-auteur et je me suis senti très très mal, je ne sais pas pourquoi. Trop d’agitation. Je me souviens la première fois que j’ai rencontré Simon Jablonka, il travaillait dans un café pas loin de chez lui. Ça m’avait assez impressionné. Moi, même tout seul sur ma terrasse ça me stresse !

Etes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail. Si la réponse est non, qu’aimeriez-vous pouvoir changer?

Globalement, oui, même si depuis que j’ai un petit garçon, je contrôle un peu moins mon rythme qu’avant. Mais ça va quand même…



Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?

Pour ce qui est des séries télé, je préfère travailler avec un co-auteur, toujours le même, à savoir Jean-Christophe Hervé. Ça fait sept ans que c’est comme ça et on se complète bien, même si parfois, en fonction des textes, on intervient peu sur le travail de l’autre. Pour mes BD en revanche je travaille seul. C’était nécessaire à mon équilibre en tant qu’auteur.

Etes-vous plutôt Mac ou PC ?

Mac ! Je manque d’humour pour être PC. Ou de patience. Ou des deux…

Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?

Non, je travaille sur Page et sur Word avec des feuilles de style qui correspondent à ce que les prod ou les chaines veulent. J’ai essayé Final Draft au début, mais je n’aime pas trop ça…

Travaillez-vous à horaires fixes ?

Non. Quand j’ai beaucoup de travail comme en ce moment je travaille de 8h30 à 19h00 mais ça n’est pas vraiment tous les jours comme ça et il y a des jours où je travaille beaucoup moins, voire pas du tout ! Ça dépend bien entendu des échéances, mais aussi de mon envie. En fait c’est ce qui compte le plus, mon envie.

Combien de temps de travail en moyenne par jour ?

C’est difficile de répondre à ça. Je pense entre 6 et 8 heures.

Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?

Jusqu’à 20 pages par jour. Mais je ne me relis pas ! Et c’est quand je suis très très en forme…

Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?

Non, juste 15 petites minutes le midi pour manger rapidos. Mais c’est une pause physique, pas psychologique, parce que globalement j’ai du mal à déconnecter avant la fin de la journée…

Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?

En musique, tout le temps, et fort de préférence. Ça m’arrive parfois de devoir éteindre la musique pour écrire mais généralement c’est pas bon signe !

Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?

Oui, mais elle vient rarement dans mon bureau, la musique est trop forte pour elle.

Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?

Ah non non je suis connecté non stop pendant que je travaille. Les mails, Facebook, Twitter, des forums, Gtalk, des sites d’infos aussi. J’ai besoin de me disperser pour écrire. Ça m’alimente. Et puis écrire est un travail de solitaire alors ça compense…

Avez-vous des rituels d’écriture ?

Non. J’attaque toujours direct, sans lire, sans trop y penser avant et sans ordre particulier.

Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?

Non, pas en ce moment, car je ne travaille plus sur des séries feuilletonnantes ou des fictions longues où il est impératif d’avoir une vue d’ensemble pour ne rien oublier. Je fais surtout du dessin animé en ce moment et ça ne dépasse pas 13 minutes donc j’ai encore assez de mémoire, bien qu’elle soit fortement limitée, pour gérer sans avoir besoin de fiches. Cela dit je serais bien embêté si je devais recommencer maintenant. Sur mon mur, rien ne tient, rien ne colle et il est impossible à percer…

Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?

La musique, surtout. J’en écoute tout le temps dans mon bureau, même quand je ne travaille pas. Et dès que je me déplace, en voiture dans la région ou en train pour remonter sur Paris, j’écoute de la musique non stop. C’est à la fois une source d’inspiration car ça fait naitre beaucoup d’émotions chez moi, mais aussi un indispensable outil d’écriture. Je fais toujours en sorte d’écouter des choses qui sont en rapport avec l’univers ou au moins l’ambiance de ce que j’écris. Pour les dessins animés, c’est un peu plus compliqué, j’ai essayé d’y associer le dernier album de Nine Inch Nails mais ça se marie assez mal…



Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?

De café, oui, beaucoup. Et depuis que j’ai une cafetière Nespresso, ça représente un gros investissement. Mais je dois me renseigner, il y a peut être moyen de faire passer les capsules en frais réels…

A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?

Depuis que 700 kilomètres me séparent de mon co-auteur, les solutions se sont réduites, c’est chacun dans son bureau, en visio via Ichat. Avant, c’était dans son salon que ça fonctionnait le mieux ! Mais en vérité, moi j’ai besoin d’écrire pour réfléchir. J’ai du mal à faire ce travail en amont. Il faut que je mette les mains dans l’histoire, dans les situations, que j’essaye des choses pour voir si ça marche ou pas.

Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?

Malheureusement non, pas assez. Il y a quelques années une amie qui m’a offert un petit carnet pour noter des idées ou des dialogues pour mes histoires. Je n’ai même pas été plus loin que la première page. Mais en évoluant dans ce métier, je me suis rendu compte que je m’éparpillais beaucoup moins qu’avant. Je n’ai plus 36 idées en même temps. Maintenant si j’ai quelque chose qui me vient à l’esprit et qui me semble vraiment intéressant, je fais en sorte de travailler tout de suite dessus, du coup je n’ai le temps d’oublier ce qui est important…

Etes-vous sujet à la procrastination ?

Oui mais je n’ai vraiment aucun problème de conscience par rapport à ça !

Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?

En fait j’ai la chance de n’être jamais à court d’idée (mais pas forcément des bonnes, hein…), mais la malchance d’être extrêmement dépendant de l’état psychologique dans lequel je me trouve. Si je ne vais pas bien, si je n’ai pas le moral, si je suis fatigué, je suis très vite incapable d’écrire. Alors là, oui, dans ce cas, rien ne sort. Dans cette situation, si je bois un peu de rosé, ça aide un peu, mais la plupart du temps j’attends le lendemain que ça aille mieux…

Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?

Jusqu’ici, non, j’ai toujours eu du mal. Et le wifi, les portables, l’Iphone, tout ça, ça n’aide pas à se couper de son travail. Mais ça fait partie de mes objectifs pour l’avenir… Il en va de ma santé mentale…

Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?

Un peu comme tous les autres auteurs, je pense, je regarde beaucoup de films, de séries anglaises et américaines, je lis énormément de comics, je vais me promener dans la garrigue et je joue beaucoup… beaucoup à la PS3. J’adore ça !

Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?

Non. Quand j’ai rencontré Jean-Christophe, il m’a ordonné de lire La Dramaturgie de Lavandier avant de continuer à parler avec lui. C’était un peu comme de faire un test de MST avant de commencer une relation. Mais bon, je m’y suis plié, ça m’a un peu barbé. Les gourous de l’écriture ne m’intéresse pas vraiment. Pour moi, la vérité est ailleurs que dans la théorie. J’ai bien plus appris en lisant du Brian Michael Bendis, du Alan Moore, du Grant Morrison ou du Warren Ellis qu’avec Lavandier…

Qui est votre scénariste fétiche ?

Aux Etats-Unis comme en France je n’ai pas de Dieu du scénario dont j’aimerais absolument toute l’oeuvre de A à Z, mais j’admire énormément des auteurs comme Alan Ball, Josh Whedon, Kurt Sutter, John Wells, David Fury, Alex Kurtzman, Roberto Orci, Melissa Rosenberg, Josh Schwartz ou JJ Abrams, par exemple. En France, j’ai beaucoup beaucoup d’admiration pour des auteurs comme Virginie Brac, Marc Herpoux et pour Jean-Philippe Amar et Gaelle Royer, les auteurs de Sweet Dream, une petite série de Canal que je trouve juste parfaitement écrite.

Quelle est votre actu ?

Cela devrait se situer dans le domaine du dessin animé, depuis avril avec la diffusion sur Gulli de la série Les Gees pour laquelle j’ai écris quelques épisodes. Et dans la seconde moitié de l’année il devrait également y avoir tout un tas de dessins animés sur Gulli, France 4 et TF1…

Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau de scénariste…

Copyright©Nathalie Lenoir 2011