“Le Discours d’un roi” de Tom Hooper

Donné grandissime favori de la prochaine cérémonie des Academy Awards à Hollywood, avec onze nominations au compteur (1), Le Discours d’un roi est effectivement conçu comme une machine à gagner des oscars et à combler, au passage, un large public :
Inspiré d’une histoire vraie exaltant des valeurs telles que le courage, l’abnégation et l’amitié, le film raconte comment le Prince Albert d’York, forcé de devenir roi du Royaume-Uni (2) suite à l’abdication de son frère, Edouard VIII, réussit à surmonter ses problèmes d’élocution en public – notamment un bégaiement disgracieux – avec l’aide de Lionel Logue, un thérapeute du langage aux méthodes peu conventionnelles, et réussit ainsi à prononcer sans trembler le discours d’entrée en guerre de son royaume contre l’Allemagne nazie, en 1939. Ce premier discours, et les suivants, sont réputés avoir galvanisé les troupes britanniques pendant la seconde guerre mondiale, et auraient contribué, à leur façon à la chute d’Hitler…

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Mis en scène de façon très classique et appliquée par Tom Hooper, cinéaste anglais habitué des reconstitutions historiques pour la télévision britannique, le récit est plaisant à suivre. On assiste avant tout au combat d’un homme contre ses peurs, contraint d’endosser un rôle auquel il n’était pas préparé, et d’assumer des responsabilités engageant tout un peuple dans des heures funestes. Dépassement de soi, acquisition d’une stature politique… Le tout cristallisé autour d’un enjeu capital : Albert réussira-t-il à prononcer le fameux discours qui l’imposera définitivement en tant que souverain de tout un empire?
L’issue a beau être évidente, le cinéaste parvient quand même à générer un petit suspense autour de ce final poignant et enthousiasmant, digne de bien des “feel-good” movies (3). Et du même coup, s’assure l’adhésion de bien des spectateurs, admiratifs du personnage.

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Il faut dire que, pour donner chair à ses protagonistes, le cinéaste a fait appel à d’excellents acteurs.
Dans le rôle du prince bégayant, Colin Firth impressionne. Il montre tout le désarroi d’un homme mur encore sous l’emprise de ses peurs d’enfance, et d’un complexe d’infériorité nourri à l’égard du père et du frère aîné. Il réussit de montrer à la fois la stature de l’homme d’état en devenir et la faiblesse d’un homme tout court,
Face à lui, Geoffrey Rush livre une de ces performances dont il a le secret, donnant à Lionel Logue l’excentricité requise, source de joutes verbales pleines d’esprit entre le thérapeute et son illustre patient, mais aussi une profondeur insoupçonnée.

En fait, le plus intéressant dans le film de Tom Hooper, c’est l’aspect symbiotique des deux personnages. Chacun puise en l’autre ce qui manque à son épanouissement personnel. Albert se nourrit de la décontraction de Logue, de son côté infantile assumé. Avec cet homme sans aucun titre de noblesse ni diplôme médical,  qui le traite avec familiarité, d’égal à égal, il peut se lâcher, échapper aux conventions étouffantes de la monarchie britannique, reprendre confiance en lui. Logue lui apprend à démythifier sa fonction, à l’aborder comme un rôle à jouer.
Dans le même temps, Lionel peut, par procuration, satisfaire un vieux rêve d’acteur frustré. Sa diction est parfaite, mais les metteurs en scène ont toujours raillé son manque de stature, notamment pour jouer des rois. La probabilité qu’il puisse un jour triompher sur scène et acquérir la reconnaissance d’un large public était nulle, mais en réussissant à corriger le défaut d’élocution du souverain, il a obtenu la plus belle des compensations. Le plan final ne laisse guère de doute, Logue prend aussi pour lui les applaudissements adressés au roi par ses sujets…

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Au côté de ce beau duo d’acteur, on retrouve Timothy Spall, saisissant en Winston Churchill, Guy Pearce et Michael Gambon, altiers en Edward VIII et George V, Anthony Andrews, digne et subtil en Stanley Baldwin, le premier ministre, et Derek Jacobi en Archevêque de Westminster. Que du beau monde auquel il faut ajouter la trop rare Jennifer Ehle, qui incarne l’épouse de Logue, la divine Helena Bonham Carter en reine d’Angleterre – ça change des affreuses sorcières… – et la jeune Freya Wilson, qui joue avec malice la princesse Elisabeth, aujourd’hui détentrice de la couronne britannique…
Bref, la crème des acteurs anglais et australiens réunie pour une fastueuse coproduction anglo-saxonne…

Le film séduit, en outre, par ses qualités esthétiques. L’action se déroulant dans l’Angleterre des années 1930, cela donne aux costumiers, coiffeurs, décorateurs et accessoiristes l’occasion de travailler à une reconstitution historique parfaite, follement élégante.

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Bref, tout ceci serait parfait si le souci d’authenticité affiché se retrouvait aussi dans l’intrigue elle-même…
En effet, si l’histoire racontée est belle, elle n’est pas tout à fait conforme à la réalité historique.
Certes, Edward VIII a bien abdiqué par amour pour une femme divorcée et a abandonné le pouvoir à son cadet.
Certes, le prince Albert d’York a bel et bien souffert de difficultés d’élocution et Lionel Logue l’a aidé à corriger ce défaut, gagnant ainsi l’amitié indéfectible du souverain.
Et certes, la radiodiffusion, encore inconnue au sortir de la “Grande guerre”, a joué un rôle crucial au cours de la seconde guerre mondiale, en favorisant notamment le débarquement des troupes alliées en Normandie…
Mais l’agencement des faits est ici des plus douteux, et la réalité. Logue avait déjà “guéri” le Prince bien avant le fameux discours, avant même qu’il ne soit couronné. Et ses speechs ultérieurs, s’ils ont sûrement eu un impact positif sur les troupes, sont moins restés dans les mémoires que ceux de Churchill. Celui-ci, d’ailleurs a plutôt soutenu le maintien d’Edward VIII sur le trône, contrairement à ce qui est suggéré ici…

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Evidemment, la réalité a été tordue pour donner de l’ampleur dramatique au récit, lui conférer une aura légendaire. C’est le cas pour bien des films sans qu’il y ait à crier au scandale. Le cinéma n’est pas la réalité : il n’est qu’une vision de la réalité.
Dans notre critique de Les Chemins de la liberté, nous disions même que la véracité historique stricte des faits importait peu, puisqu’au service d’une oeuvre généreuse et humaniste. La situation est sensiblement différente ici…
Que le cinéaste et son scénariste “arrangent” les faits pour dynamiser l’intrigue et en faire quelque chose de narrativement correct ne nous pose aucun problème, mais on trouve un peu étrange, à la fin, que l’anecdotique – le discours récité sans bégaiement – prenne le pas sur l’annonce d’entrée en guerre du pays, autrement plus grave en terme de coût humain… Ce qui aurait pu être un une belle réflexion sur le rôle d’un leader et les conséquences des décisions qu’il doit prendre tourne à la comédie consensuelle et inconséquente. Quel dommage!
Par ailleurs, nous sommes assez circonspects sur la façon dont ils glorifient la famille royale britannique en n’insistant que très peu sur l’ambiguïté et les comportements répréhensibles d’Edward VIII à l’égard d’Hitler. George VI et les siens apparaissent comme des modèles de générosité, de bravoure. Ils sont sympathiques au possible. Le côté biographique tourne à l’hagiographie, et on n’est guère surpris d’apprendre que la reine Elisabeth II a apporté sa caution à l’oeuvre…
Enfin, les libertés prises avec la réalité sont plutôt surprenantes quand on sait que les auteurs disent avoir travaillé pour être les plus proches de la réalité historique…

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Au final, Le Discours d’un roi n’est pas un grand film. Juste un mélodrame historique efficace qui doit énormément à son casting, royal. Si Colin Firth et Geoffrey Rush remportaient chacun une statuette dorée, il n’y aurait pas à crier au scandale. C’est pour eux qu’il faut aller voir ce film, un peu hâtivement annoncé comme un chef d’oeuvre.
Ce n’est que notre avis, mais il y a des prétendants plus sérieux au titre de meilleur film et de meilleur scénario aux Oscars (4)…

(1) : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur (Colin Firth), meilleur second rôle masculin (Geoffrey Rush), meilleure second rôle féminin (Helena Bonham-Carter), meilleur scénario original, meilleur son, meilleure musique, meilleur montage, meilleurs costumes, meilleure image
(2) : Sous le nom de George VI, pour s’inscrire dans la lignée de son père George V
(3) : feel-good movies : films euphorisants, qui donnent le moral
(4) : réponse le 27 février prochain…

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Le discours d'un roi Le Discours d’un roi
The king’s speech

Réalisateur : Tom Hooper
Avec : Colin Firth, Geoffrey Rush, Helena Bonham-Carter, Guy Pearce, Timothy Spall, Derek Jacobi
Origine : Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie
Genre : aimant à oscars
Durée : 1h58
Date de sortie France : 02/02/2011
Note pour ce film :  ●●●●○○

contrepoint critique chez :  Filmosphère

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