“City of life and death” de Lu Chuan

Tout le monde sait désormais quelles atrocités l’Allemagne nazie a commises; au nom d’une idéologie détestable, contre certaines ethnies ou religions.
Mais beaucoup ignorent encore les actes de barbarie perpétrés par les soldats japonais à l’encontre du peuple chinois, avant même le début de la seconde guerre mondiale.
Le public occidental amateur d’émotion fortes venant d’Asie avait bien pu en avoir un aperçu avec le très gore, très violent et très controversé  Camp 731, du hongkongais Tun Fei Mou, également auteur de l’inédit Black sun : Nanking massacre, ou avec le méconnu Ne pleure pas Nanjing de Wu Ziniu, mais le sujet était jusque-là resté peu traité par les cinéastes chinois ou japonais. Un peu tabou…

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Lu Chuan aborde à son tour le sujet avec City of life & death, une oeuvre plus classique formellement, moins outrancière et moins insoutenable que Camp 731, mais qui n’en traite pas moins la violence et l’horreur de manière exhaustive.
Le film recense en effet les exactions, les actes barbares, les crimes contre l’humanité commis pendant la seule prise de Nankin, en 1937, pendant le second conflit sino-japonais : violence des combats où la consigne était donnée de ne pas faire de prisonniers, exécution, donc, des quelques hommes capturés vivants, zones civiles non-respectées, personnalités étrangères séquestrées, au mépris des conventions internationales et des accords inter-états, viols et sévices sur femmes et enfants, torture mentale et physique,…

Autant prévenir tout de suite les âmes sensibles, la balade n’a rien d’une partie de plaisir… D’où, d’ailleurs, la difficulté de porter un jugement sur un tel film, qui propose à nos regards des abominations difficilement tolérables, à moins d’avoir de curieux penchants sadiques. Il est impossible d’aimer cette oeuvre qui nous heurte, nous remue profondément, nous laisse chancelants.

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Cela dit, le cinéaste ne cherche pas non plus à faire fuir les spectateurs. Conscient de la portée de ses images qui abordent frontalement l’horreur, il tente d’en atténuer l’impact par plusieurs choix de narration et de mise en scène.
Déjà, il nous offre de suivre l’histoire à travers les destins, souvent tragiques, de plusieurs personnages – chinois, japonais, occidentaux – confrontés aux massacres, ce qui permet au spectateur de se focaliser sur eux, leurs réactions, plutôt que sur le spectacle de douleur, de désolation et de mort qui les entoure.

Deuxième décision : filmer en noir et blanc, afin de créer une certaine distance, de rendre la violence plus “acceptable” esthétiquement parlant, l’adoucir un peu tout en la mettant en relief, par le jeu des contrastes. La démarche est similaire à celle employée par Pablo Picasso pour sa célèbre toile, “Guernica”, autour d’un autre massacre ayant eu lieu en 1937, plus proche de nous.
Lu Chuan donne aussi à son film une tonalité particulière grâce à ses jeux de lumières, qui donnent au film une allure quasi-fantastique lorsque les soldats chinois se dirigent tout droit vers le lieu où ils vont être massacrés, déjà fantomatiques.

Evidemment, certains lui reprocheront ses choix de mise en scène, diront qu’il est indécent de faire du mélodrame sur la base d’une histoire si tragiquement réelle, d’esthétiser la violence. Inévitable débat sur la représentation de l’horreur au cinéma ou la façon de montrer l’inmontrable…
Ce sont les mêmes qui, il n’y a pas si longtemps, reprochaient à Roberto Benigni d’utiliser un brin d’humour et de poésie pour évoquer le drame des camps de concentration nazie dans La vie est belle, ou qui pestaient contre l’exploitation hollywoodienne du même sujet lorsque Steven Spielberg proposait ce qui reste pourtant son chef d’oeuvre, La Liste de Schindler

Si Lu Chuan n’égale pas le cinéaste américain en termes de maîtrise technique et narrative, la sincérité de sa démarche est, elle, du même acabit.
Il s’agit ici d’honorer la mémoire de toutes les personnes, civiles ou militaires, mortes pendant les six jours de la prise de Nankin et les rudes semaines qui ont suivi, de restaurer une vérité que les autorités japonaises peinent encore à reconnaître.
Mais le but est aussi d’aider à la réconciliation entre la Chine et le Japon, dont les relations restent encore aujourd’hui entachées de ce conflit meurtrier.

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Pour ce faire, Lu Chuan a opté pour plusieurs points de vue au sein du film, afin de veiller à ne pas donner l’impression de se livrer à une propagande anti-japonais.
Le personnage-clé est même un officier japonais, dont l’idéalisme est mis à rude épreuve par les horreurs auxquelles il assiste et est contraint de participer.
En contrepoint, il montre aussi le personnage, passionnant, d’un chinois un peu lâche, prêt à tout pour assurer la protection de sa famille, y compris à pactiser avec l’ennemi et à trahir des compatriotes, mais aussi capable d’actes sacrificiels héroïques.
Peu importe le pays d’origine des belligérants … La guerre pousse les hommes à commettre des horreurs au nom d’idéologies absurdes, de nationalismes imbéciles, de haines séculaires aveugles ou tout simplement par pur instinct de survie. Elle fait des ravages aussi bien chez les victimes que chez certains bourreaux, entraînés malgré eux dans un engrenage de barbarie et de mort… Elle oblige chacun à composer avec sa propre conscience…
Le propos est finalement assez universel et hélas intemporel. Le cinéaste nous pousse à nous interroger sur l’attitude que nous aurions eu, à la place des protagonistes, côté chinois ou japonais… Il nous invite aussi à réfléchir aux façons d’éviter que ce genre de tragédie ne se reproduise dans l’avenir. Evidemment, la xénophobie, les nationalismes exacerbés, les vieilles rancoeurs, etc… constituent un terreau fertile pour les conflits meurtriers…

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Ce refus de tout manichéisme est la grande force de City of life & death, car il permet d’aller au-delà de la simple opposition sino-japonaise, de livrer une fable humaniste assez universelle.
Mais c’est aussi sa principale faiblesse, car le film paraît parfois un peu trop construit, trop mécanique. Une fois que l’on a compris la démarche du cinéaste, les comportements des personnages sont un peu trop prévisibles et l’émotion ne passe plus, ou du moins insuffisamment.
Par ailleurs, du fait de son dispositif, le cinéaste se retrouve contraint d’insister sur certains personnages secondaires qui servent surtout à apporter un peu d’humanité côté nippon (la prostituée japonaise). Cela se fait au détriment de personnages autrement plus intéressants, comme John Rabe, cet homme d’affaire allemand, membre du parti national-socialiste, qui contribua à créer la zone internationale de Nankin, avec d’autres ressortissants étrangers, et usa le plus possible de son influence pour protéger les civils des exactions japonaises. Un nazi qui sauvait des vies humaines et s’opposait à la barbarie, trois ans avant la création d’Auschwitz, voilà un destin peu banal, qui méritait que l’on s’y attarde un peu plus (1)…

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Autre petit défaut, le rythme du film, trop lent à certains moments, trop rapide à d’autres, ce qui étouffe, là encore, l’émotion que l’on devrait ressentir.
On devrait sortir de la salle bouleversés par le sort souvent tragique des protagonistes auxquels on est invité à s’attacher. Cela ne fonctionne pas comme prévu. On est émus, bien sûr, et remués par les atrocités qui défilent sous nos yeux, mais pas complètement retournés comme nous avions pu l’être avec La Liste de Schindler

Il manque donc à  City of life & death le petit quelque chose en plus qui aurait fait de lui un grand film, mais ceci ne l’empêche nullement d’atteindre son objectif : proposer une version exhaustive de ce qui s’est réellement passé à Nankin, de décembre 1937 à janvier 1938, n’édulcorant pas la barbarie des faits mais ne sombrant jamais dans la complaisance.

Lu Chuan, pour son troisième film, signe une oeuvre forte, intelligente et humaniste, portée par des acteurs tous très justes. On n’en sort peut-être pas bouleversé, mais assurément plus riche spirituellement, plus humain…

(1) : Un film sur la vie de John Rabe a été réalisé en 2008 par Florian Gallenberger, avec Ulrich Tükur dans le rôle-titre, John Rabe. Il reste inédit en France.

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City of life & death City of life & death
Nanjing! Nanjing!

Réalisateur : Lu Chuan
Avec : Hideo Nakaizumi, Wei Fan, Liu Ye, Yuanyuan Gao, John Paisley, Jiang Yiyan, Liu Bin, Ryu Kohata
Origine : Chine
Genre : reconstitution historique
Durée : 2h15
Date de sortie France : 28/07/2010

Note pour ce film :
contrepoint critique chez :  Filmosphère
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