Le nouveau film de l'audacieux cinéaste de "Cube"

Par Boustoune

En 1997, un petit film de science-fiction appelé Cube réussissait le tour de force de nous tenir en haleine de bout en bout avec trois fois rien – un décor unique, quelques personnages et des effets spéciaux rudimentaires. On découvrait alors un jeune cinéaste canadien promis à un bel avenir : Vincenzo Natali.

Malgré le succès de ce premier film, le réalisateur a rencontré pas mal de déboires pour la suite de sa carrière. Récupéré dans un premier temps par le système hollywoodien, il a réussi tant bien que mal à réaliser Cypher, un thriller d’anticipation glaçant, mais l’expérience a été pénible puisqu’il a dû se battre farouchement pour que l’on respecte ses choix artistiques.
Puis il a repris sa liberté pour tourner Nothing, curieuse fable fantastique sur l’idée du vide… Un film quasi expérimental, trop bizarre pour toucher un large public…
Des échecs commerciaux, forcément, pour des films inaboutis mais intéressants par leurs thématiques et leur audace…

C’est donc avec une certaine impatience que nous attendions de découvrir son nouveau film, Splice,  
Ce récit de science-fiction traite du délicat sujet de l’éthique scientifique, du potentiel et des dangers de la recherche génétique, et notamment celle qui touche au génome humain. On y voit un couple de chercheurs transgresser les interdits et réussir, dans le plus grand secret, à mettre au monde une créature hybride, combinant les spécificités génétiques de différents animaux à de l’ADN humain. Tour à tour grisés, fascinés par l’expérience, puis inquiets de l’évolution de leur créature au gré de ses mues successives, les deux scientifiques vont peu à peu perdre le contrôle de la situation…

Porté par un casting intéressant, Adrian Brody et Sarah Polley en tête, les effets visuels de Bob Munroe et de  l’équipe de C.O.R.E Feature, la belle photo de Tetsuo Nagata et, bien sûr, la mise en scène de Natali, on pouvait espérer un film de monstres et de savants fous dans la lignée des Frankenstein ou des anciens films de David Cronenberg.

Hélas, nos attentes sont bien vite déçues, par un script manquant de subtilité… L’histoire est cousue de fil blanc, les thématiques sont assénées de façon un peu balourde et les virages narratifs sont bien trop prévisibles…
Pire, dès les premières minutes, on est saisi par le manque de crédibilité de l’ensemble.

Bon OK, ce n’est que du cinéma de fiction, de science-fiction, même, mais franchement, qu’est-ce que c’est que ce laboratoire de génétique de série Z?
On a là une poignée de zigotos habillés en tenue de ville – les blouses devaient être trop chères pour le budget costumes – qui appuient au hasard sur des boutons reliés à on ne sait trop quoi, ou pianotent sur des ordinateurs affichant des données incompréhensibles par le commun des mortels – c’est normal, eux ils sont savants…
Voire l’élite de la crème des chercheurs… Capables de trouver en une nuit la solution à un problème que les autres chercheurs mettraient des années à résoudre…

C’est sûrement pour cela qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes à travailler avec eux sur la synthèse de nouvelles protéines révolutionnaires pour l’agriculture, un projet pourtant crucial pour l’avenir financier de la société qui les emploie…
Et c’est aussi pour cela que personne ne se demande ce qu’ils fabriquent quand ils décident de s’aménager leur laboratoire privé dans les pièces d’à-côté, ou que personne ne s’émeut quand les cris du bébé hybride résonnent dans les bouches d’aération (ah oui, c’est vrai, il suffit de couvrir le bruit avec du hard-rock… Génial, pour les chercheurs qui doivent bosser dans ce vacarme toute la journée…).

Bref, c’est un peu n’importe quoi, et le jeu des acteurs n’arrange rien. On a connu Sarah Polley et Adrian Brody plus inspirés : la première en fait des tonnes dans le rôle de la chercheuse déterminée à braver les interdits, le second semble constamment se demander ce qu’il fiche ici, affichant une nonchalance assez insupportable…
Ils sont aussi peu crédibles en scientifiques de génie qu’en couple en péril, lors de la seconde partie du film.

Ben oui, parce que toute cette histoire d’apprentis sorciers, de manipulations génétiques, de lutte entre science et conscience, qui aurait pu déboucher sur une réflexion philosophique et éthique, ne sert que de point de départ à un autre récit, l’éclatement progressif d’un couple confronté à l’irruption d’un “enfant” dans leur vie bien organisée.
Les deux chercheurs étaient trop accaparés par leur travail pour tenter l’expérience intime de concevoir et d’élever un enfant. La naissance de leur créature va les y contraindre. Elle constitue à la fois une aubaine et une malédiction…

Car à partir du moment où l’hybride sort de son placenta artificiel, le couple n’évolue plus sur la même longueur d’onde. Il voudrait se débarrasser du monstre qu’ils ont créé, elle tient le garder, à la fois par intérêt scientifique et par instinct maternel… C’est elle qui se charge de son éducation, le père restant un peu en retrait. Puis peu à peu, le rapport relationnel s’inverse, la fillette, qui prend de plus en plus forme humaine, se détache de sa mère pour s’amouracher de son père. Les choses ne s’arrangeront pas vraiment au moment de “l’adolescence”… Un âge traditionnellement difficile et rebelle, alors imaginez ce que ça donne quand la jeune fille en question possède des réflexes de bête sauvage et un dard rempli de venin…
Et quand le gentil papa se retrouve troublée par le magnétisme animal de sa fifille, quand la vilaine maman se rappelle qu’elle a été une enfant maltraitée et, fatalement, est tentée de répéter le même schéma, le film bascule dans la psychologie de bazar oedipienne-freudienne en même temps que dans le ridicule le plus total…

Seule la toute fin du film redonne un peu de piquant et de cohérence à l’ensemble, en flirtant avec l’horreur et en assumant enfin pleinement la noirceur du sujet, avec un dénouement que n’aurait pas renié Cronenberg… Mais il est alors trop tard pour s’enthousiasmer… 

On sort de là un peu frustrés, d’autant que, malgré ses défauts rédhibitoires, Splice possède aussi de réelles qualités.
Déjà, la créature elle-même. Plutôt réussie sous sa forme numérique – version foetus et nourrisson – elle est encore plus impressionnante dès qu’elle s’humanise un peu (à hauteur de 50% pour la version enfant, et 70% pour la version adulte), en prenant les traits de Delphine Chanéac.
Vive l’hybridation des acteurs avec les images de synthèses ! Car si Adrian Brody et Sarah Polley sont un peu à côté de la plaque, la jeune actrice française est, elle, absolument parfaite dans ce rôle complexe. Elle joue de sa beauté atypique pour montrer le mélange d’attirance et de répulsion qu’inspire son personnage. Elle est à la fois une bête sauvage, réagissant instinctivement aux menaces extérieures par la violence, et une enfant innocente cherchant à apprendre et comprendre, tester et expérimenter…
C’est sur elle que repose l’essentiel du suspense du film, du moins ce qu’il en reste, parce que l’on se demande un bon moment s’il faut avoir peur d’elle ou peur pour elle…  
 

On apprécie également la beauté des images de Tetsuo Nagata, chef-op doublement césarisé pour La Chambre des officiers et La môme, et la rigueur – toujours intacte, heureusement – des cadrages de Vincenzo Natali. On se console comme on peut…

Enfin, même si Splice est loin d’être réussi, il convient tout de même de le replacer dans l’oeuvre du cinéaste, et de constater qu’il s’intègre s’inscrit dans une indéniable logique thématique.
Tous les films de Vincenzo Natali mettent en scène des personnages qui se retrouvent confrontés à leurs propres démons, leurs peurs, leur courage ou leur lâcheté, leur côté sombre. Le cinéaste les teste, joue avec eux comme avec des cobayes de laboratoire.
Dans Cube, il montrait les réactions d’un groupe de personnages confrontés à une situation qui les dépasse, et décrivait un microcosme social en train de voler en éclats…
Dans Cypher, il dépeignait aussi une société futuriste pas si éloignée de la nôtre, assez glaciale, où chacun tente de manipuler son voisin et où il est facile de perdre son identité. C’est avant tout le récit d’une quête personnelle, intime…
Enfin, dans Nothing, il envoyait deux zozos dans une autre dimension, sorte de No man’s land entièrement blanc et désespérément vide, et observait la dégradation de leurs relations au fil du temps. Sous-texte : L’homme ne supporte pas la solitude, mais peut difficilement vivre en parfaite harmonie avec ses semblables…

Dans Splice, il traite aussi des relations humaines, de leur fragilité, de leur complexité. Son film correspond moins à la confrontation du couple avec un “monstre” organique, qu’à celle des deux chercheurs avec eux-mêmes, avec leur propre côté monstrueux… La femme se laisse aller à des penchants sadiques et l’homme transgresse les interdits au cours d’une séquence, au choix d’inceste ou de zoophilie qui, à défaut d’être totalement réussie, est sacrément gonflée…
Qu’on aime ou non son film – ou ses films – il convient donc de reconnaître au cinéaste une belle constance thématique, et les efforts accomplis pour offrir à chaque fois au au spectateur une proposition de cinéma différent, abordant des sujets ardus avec audace et originalité…

On se dit qu’il est vraiment dommage que Vincenzo Natali n’ait pas su mieux tirer profit de son sujet, au potentiel pourtant énorme, en s’égarant dans une certaine facilité narrative et en cumulant les maladresses, à commencer par un casting désastreux (à l’exception notable de Delphine Chanéac)…
Splice n’est pas un navet, non… Juste un beau gâchis…
Allez, on enlève les gènes défectueux et on recommence la création… Ca sera mieux la prochaine fois…

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Splice
Splice

Réalisateur : Vincenzo Natali
Avec : Adrian Brody, Sarah Polley, Delphine Chanéac, 
David Hewlett, Brandon McGibbon, Abigail Chu 
Origine : Canada
Genre : hybride 20% bon film/ 80% navet
Durée : 1h47
Date de sortie France : 30/06/2010
Note pour ce film :

contrepoint critique chez :  Filmosphère

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