Comment un lecteur professionnel analyse un scénario

Par Nathalielenoir

Écrire un scénario requiert du temps et de l’énergie, aussi les jeunes auteurs ont-ils hâte d’envoyer leur œuvre à un producteur, aux organisateurs d’un concours, voire à une commission d’aide à l’écriture, dès la dernière ligne tapée. Ils imaginent sans doute que ces destinataires sauront déceler le potentiel de leur histoire, même si elle contient « quelques » faiblesses, sans réaliser qu’ils sont loin d’être les seuls à effectuer la même démarche…


Comment savoir quand un scénario est vraiment prêt à être lu ? Que diriez-vous de découvrir comment un lecteur professionnel va l’analyser ?


Les professionnels ont beau les mettre en garde contre la stérilité de ce genre de démarches, les jeunes Padawans inondent les producteurs de leur prose. Laissez-moi donc vous rappeler qu’en France, un scénariste, inconnu de surcroît, n’a quasiment aucune chance de vendre un scénario écrit de sa seule initiative (spec-script). Pourquoi ? Tout simplement parce que cette démarche est signe d’amateurisme. Les scénaristes professionnels travaillent essentiellement à la commande et, lorsqu’ils souhaitent vraiment initier un projet, ils commencent par envoyer au producteur un dossier comprenant synopsis et note d’intention.

Ceci étant dit, il s'organise sur notre sol des concours et bourses d’écriture, les organismes qui les gèrent peuvent demander aux candidats l’envoi d’un scénario complet. Si les critères de sélection sont en partie subjectifs, puisqu’il est impossible de définir à l’avance quelle histoire touchera un lecteur, il existe en revanche un certains nombre de faiblesses rédhibitoires. Les scripts envoyés aux comités de lecture sont analysés selon un certain nombre de critères que je vous propose de découvrir.

Le concept : Il s’agit d’analyser l’alchimie entre thème et genre, et son potentiel. Cette combinaison est-elle efficace ? Dans l’air du temps ? S’inscrit-elle dans un seul genre cinématographique, voire à la croisée de plusieurs ? En gros, le lecteur fait le même travail que l’auteur quand il s’agit de pitcher l’œuvre. Si l’on ne peut pas résumer le concept d’un scénario en une ou deux phrases, c’est que son écriture est trop floue.

L’intrigue : L’histoire de base est-elle vraiment originale ? Crédible ? Intéressante ? Émouvante ? Et surtout, est-elle visuelle (c’est à dire cinématographique) ? Illustre-elle réellement la thématique visée ? Est-elle cohérente avec le(s) genre(s) cinématographique(s) choisi(s) par l’auteur ?

La structure : Le scénario est-il écrit selon les règles de base de la dramaturgie ? Y a t-il un début (pas trop long), un milieu et une fin (incisive) ? Une cohérence dans l’action ? Une bonne dynamique objectif/obstacles ? Les sous-intrigues sont-elles bien imbriquées dans l’ensemble ? Si vous avez l’impression de lire du chinois, c’est très mauvais signe…

Les personnages : Sont-ils bien caractérisés ? Font-ils avancer l’intrigue ? Y a t-il un vrai protagoniste ? Un ou des antagoniste(s) ? Ces personnages sont-ils crédibles ? Originaux ? Attachants ?

Le dialogue : Remplit-il sa véritable fonction ? Sonne t-il juste ? Apporte-il vraiment quelque chose à l’intrigue ? Chaque personnage a t-il une manière de s’exprimer qui lui est propre ?

Le ton : Y en a t-il un justement, et si c’est le cas, correspond-il au genre cinématographique de l’intrigue ?

Le rythme : Cela découle de l’analyse de la structure : y a t-il des temps morts, des passages inutiles, voire ennuyeux ? Existe t-il un crescendo dans l’action ?

L’exposition : Présente t-elle bien (et rapidement) les principaux personnages et les enjeux de l’histoire ? Les informations sont-elles distillées dans les actions des personnages (et surtout pas dans leurs dialogues) ?

Cible : Existe t-il réellement un public pour cette histoire ? Est-ce que les spectateurs auront envie de voir un tel film ?

Originalité  : L’auteur propose t-il un regard inédit à travers cette histoire?

Concrètement, le lecteur va commencer par pitcher le concept de l’histoire, puis il va résumer le scénario en un bref synopsis (une page), avant de rédiger une synthèse d’une ou deux pages sur tous les éléments précédemment cités. Cette analyse s’accompagne parfois d’une grille de notation de ce type :

Réfléchissez-bien à tous ces critères avant de rendre « votre copie ». Prenez du recul sur votre scénario avant de le relire et demandez-vous si ce cahier des charges est bien respecté. Concours, bourse, commande ou spec-script, c’est ce que font de toute manière tous les scénaristes professionnels à la fin de leur travail. Et s’il s’avère qu’un, ou plusieurs de ces points pose(nt) problème(s), ils réécrivent. Un point c’est tout.

Trop de jeunes auteurs nourrissent un mélange de susceptibilité et de complaisance vis à vis de leurs écrits, arguant à chaque refus de leur scénario que « le lecteur n’y connait rien », ou que c’est « un scénariste raté » (et donc prétendument jaloux ou aigri), ou que les lauréats ont été « pistonnés ». Ils feraient mieux, à vrai dire, de vraiment mettre toutes les chances de leur côté en rendant un travail digne d’un professionnel. Comment y parvenir ? Comme pour tous les métiers, les deux maîtres mots en la matière sont humilité et apprentissage. CQFD.

A noter que Frédéric Krivine à rédigé pour l‘UGS une très complète grille d’auto-évaluation qui est mise à la disposition des Internautes.