"Le Mépris" de Jean-Luc Godard

Mépris

Troisième volet de cette série qui revisite quelques films dont le protagoniste est… scénariste.

Après nous être penchés sur Adaptation de Spike Jonze, puis sur Sunset Boulevard de Billy Wilder, je vous invite aujourd’hui à découvrir, ou plus vraisemblablement redécouvrir, l’un des plus grands films français. Si je vous dis, Le Mépris de Jean-Luc Godard, à quoi pensez-vous spontanément ? Aux fesses de Brigitte Bardot ?! Mauvaise, très mauvaise réponse !


Après nous être penchés sur le très déjanté Adaptation, puis sur un grand classique de l’âge d’or Hollywoodien, Sunset Boulevard, je vous propose de nous intéresser à un film français, et pas des moindres, puisqu’il s’agit de l’un des grands chefs d’œuvres de Jean-Luc Godard, Le Mépris, adaptation du roman éponyme d’Alberto Moravia.

Synopsis : Paul Javal, scénariste, est convié par le cinéaste Fritz Lang sur le tournage de L’Odyssée, dont il doit réécrire le script dans l’urgence. L’auteur se rend à Cinecitta avec sa jeune épouse, Camille, croyant sans doute l’impressionner, mais il va au contraire y perdre son amour.

Comme Jean-Luc Godard l’écrivait lui-même au sujet de son film dans les Cahiers du cinéma d’août 1963 :

« Le Mépris est un film simple et sans mystère, film aristotélicien, débarrassé des apparences, le Mépris prouve en 149 plans (176 après montage) que, dans le cinéma comme dans la vie, il n’y a rien de secret, rien à élucider, il n’y a qu’à vivre et à filmer »

Magnifique chronique du désamour, mise en abîme de la création cinématographique, Le Mépris n’est pas le plus innovant long-métrage de Godard, mais il est sans conteste l’un des plus réussis, tant d’un point de vue esthétique et formel qu’en vertu de l’émotion qu’il dégage. On retrouve, dans les rôles principaux, Michel Piccoli et Brigitte Bardot, qui incarnent un couple de cinéma devenu mythique, et le grand cinéaste Fritz Lang, qui interprète son propre rôle avec humour et cynisme.

Un scénariste héros du Mépris de Jean-Luc Godard (1963)

Jean-Luc Godard, l’un des piliers de la Nouvelle Vague, mouvement qui je vous le rappelle, n’a pas fait que du bien au métier de scénariste sur notre sol, s’amuse à malmener son protagoniste sans toutefois se départir d’une pointe d’empathie. Si le roman se préoccupe de décrire de façon méticuleuse comment se désagrège une relation amoureuse, le cinéaste transcende l’œuvre initiale en livrant une passionnante réflexion sur la construction filmique.

La relation entre les deux principaux personnages est analysée comme l’image fixée sur pellicule, avec une temporalité parfois étirée pour rendre visibles, spectaculaires, des émotions qui ne durent qu’un dixième de seconde. Le désir de Paul, les émotions de Camille, tout devient palpable sous le prisme de la caméra.

Le rythme hypnotique du film, le symbolisme appuyé des couleurs, du cadrage, les longs travellings, l’omniprésence du magnifique thème musical de Georges Delerue, font s’interroger le spectateur sur la réalité des personnages, la désynchronisation de leur histoire qui se déroule au sein de la construction du « film dans le film ». Voici la séquence d’ouverture, le générique y est inclus dans la narration même de l’histoire, ce qui accentue ce vertige :

Si l’identification avec son protagoniste semble, de prime abord, évidente, on comprend vite que Godard penche du côté de l’héroïne, qui apprécie l’art pour l’art et méprise le mercantilisme dont font preuve « les gens de cinéma ». Après avoir demandé au scénariste de réécrire des scènes dans l’urgence, le producteur, puant d’orgueil et de richesse ostentatoire, rabaisse Paul devant sa femme et revendique d’emmener la jeune femme dans son bolide. Le scénariste n’ose pas s’opposer à celui qui signe ses chèques et perd sur le champ l’estime de Camille.

Un scénariste héros du Mépris de Jean-Luc Godard (1963)

Dans la scène qui suit, qui se situe après le premier pivot dramatique, elle lui reproche d’ailleurs d’être devenu scénariste, ne pouvait-il pas se contenter d’écrire ses romans policiers, même s’ils rapportaient peu d’argent ?

Je n’arrête pas de vous le dire, ce n’est certainement pas en devenant scénariste que l’on épatera son entourage !

Autre mise en abîme, le travail même de l’auteur, qui adapte l’Odyssée. Sa réflexion sur la relation entre Ulysse et Pénélope, le pousse à se questionner sur la déréliction de son propre couple, le parallèle entre ces deux niveaux d’intrigue fait pressentir une fin tragique.

La suite de l’intrigue, et du tournage, ne sont qu’une lente succession de tortures pour le pauvre scénariste : on le traite avec condescendance sur le tournage, sa femme se laisse ouvertement draguer par le producteur/playboy, Jérémie Prokosch, espérant sans doute le faire réagir, finit par le quitter et meurt dans un accident de voiture !

Tel Ulysse, Paul arrive au terme de son périple et décide de regagner son foyer, désormais vide, (et sa respectable profession d’écrivain) car sa véritable épouse, au fond, n’est-elle pas l’écriture ?

Voici la scène finale du film, dans laquelle Paul fait ses adieux à l’équipe du film et au monde du cinéma en général :

Je vous encourage vivement à voir ou revoir ce monument du septième art qui démontre qu’au cinéma comme dans la vraie vie, les scénaristes s’en prennent plein la gueule !

A bientôt pour découvrir un nouveau film dont un scénariste est le héros…