“The Invention of lying”

Par Boustoune

Imaginez un monde où le mensonge n’existerait pas et où chacun serait forcé de dire ce qu’il pense à voix haute…
Au lieu d’annoncer à votre patron que vous n’irez pas travailler ce matin parce que vous ne vous sentez pas bien, vous lui direz qu’il vous soûle et que vous n’avez pas envie de venir voir sa tronche. Et celui-ci vous virera alors sans ménagement, en vous balançant au passage que vous êtes son pire élément et qu’il vous déteste…
Au cours d’un rendez-vous galant, vous préviendriez votre conquête potentielle que vous avez une furieuse envie de lui faire l’amour mais elle rétorquerait que vous êtes trop gros, trop laid, et que vos gènes ne donneraient probablement pas une progéniture convenable…
Bref, tout ce que l’on cherche généralement à taire, par peur de heurter son interlocuteur ou pour ne pas se mettre soi-même dans l’embarras, serait alors étalé au grand jour, sans pudeur et sans vergogne…
Et pour ceux que l’on appelle les « loosers », qui ne correspondent pas aux canons de beauté en vigueur, les sans-emplois, les sans-abris, cela donne d’innombrables occasions d’être humiliés, rejetés, bafoués…

Cette situation cocasse a inspiré au comique britannique Ricky Gervais la trame de The Invention of lying. On y suit les mésaventures de Mark, un de ces loosers, gros type au nez retroussé (Gervais lui-même) qui n’a aucun succès avec les femmes, qui vient de perdre son emploi et que son proprio menace de mettre à la porte s’il ne paie pas le loyer.
Poussé dans ses derniers retranchements, il découvre qu’il possède le pouvoir de mentir, et va en profiter pour retrouver son emploi, gagner de l’argent, beaucoup d’argent, et tenter de séduire l’élue de son cœur, Jenny (Jennifer Garner), une fille jolie mais godiche, qui ne juge les gens que sur leur apparence physique. Au début du film, du moins…

La comédie se déroule en trois mouvements.
Dans le premier, les ressorts comiques reposent sur les répliques, délicieusement vachardes ou incongrues que s’échangent les acteurs.
Pas très agréable pour le personnage qui se prend les vérités en pleine figure, mais c’est la loi du slapstick : le malheur des uns fait le bonheur des spectateurs…

Dans le second, le film joue sur l’idée que puisque le mensonge n’existe pas, tout ce que dit un personnage est supposé être vrai, et donc que le héros peut faire gober n’importe quoi à n’importe qui.
Prétexte à quelques situations cocasses et surtout, à un virage vers la fable morale, quand Mark, pour apaiser les angoisses de sa mère agonisante, lui affirme que l’âme, après la mort, rejoint un endroit magnifique où tout n’est que joie et amour, le Paradis. (Dans ce monde, les concepts théologiques n’existent pas…)
Du coup, la population entière vient lui demander des détails : quel est cet endroit ? Est-ce que tout le monde peut y aller ? Comment Mark sait-il tout cela ?
Il improvise quelques généralités sur les notions de bien et de mal, d’enfer et de purgatoire, annonce que toutes les règles sont édictées par « un homme qui vit là-haut » qu’il est le seul à entendre. Bref, en plus du mensonge, il invente la religion…

Avec cette idée, le film aurait pu devenir une intéressante réflexion sur les origines de la religion, son utilité, ses dérives, sur les interrogations que soulèvent les dogmes. Ou bien on aurait pu voir le héros entraîné dans une succession de mésaventures aux forts accents métaphysiques, où chaque mensonge ne lui attirerait que des ennuis. Ou encore montrer combien la population peut être facilement manipulable et comment il est aisé d’abuser du pouvoir…

Mais non, Ricky Gervais n’a pas de telles ambitions. Il abandonne assez vite tout le potentiel thématique de l’œuvre pour se recentrer vers des choses plus terre à terre. Le troisième et dernier mouvement du film obéit aux clichés de la comédie romantique hollywoodienne, où Mark tente d’empêcher le mariage de Jenny avec Rob, beau gosse hautain et crétin (Rob Lowe)…

Finalement, l’idée de départ, plutôt prometteuse, et politiquement incorrecte, n’accouche que d’une succession de sketchs inégaux et d’une comédie des plus consensuelles, sans parler d’un dénouement bien trop prévisible.
Même sans exiger que The invention of lying s’aventure sur le terrain du cinéma d’art et d’essai ou de la fable cruelle, on déplorera que Ricky Gervais n’exploite pas, ou insuffisamment le fort potentiel burlesque du récit.

Le film est un peu à l’image de son jeu d’acteur, un peu trop lisse, trop « gentil », manquant de folie et de férocité.
On ne peut que rêver de ce qu’aurait donné Jim Carrey sur une telle trame, lui qui dans Menteur, menteur jouait sur un procédé à la fois inverse et similaire : un menteur obligé, durant 24 heures, de dire la vérité.
Ici, comme tout repose quasi-exclusivement sur le triangle Gervais/ Garner/ Lowe, le film s’oriente davantage vers la comédie romantique que vers le délire burlesque.
Dommage, car la distribution regorge de bons acteurs, cantonnés à des seconds rôles assez mal exploités : Jonah Hill, Louis C.K., Tina Fey, Jeffrey Tambor. Sans oublier, dans des caméos aussi sympathiques qu’inutiles, Edward Norton, Philip Seymour Hoffman et Jason Bateman.

La mise en scène n’aide en rien. Rick Gervais et son comparse Matthew Robinson sont peut-être des auteurs intéressants (on doit à Gervais les deux versions, britannique et américaine, de « The Office »), mais ils sont de bien piètres réalisateurs, qui se contentent d’illustrer platement l’action, sans aucune pointe d’inventivité, aucun génie, et un sens de la narration des plus balourds.
Du coup, le spectateur a tout loisir de constater le manque de cohérence du dispositif.
On ne reprochera pas aux auteurs de ne pas avoir modifié tout le contexte de leur récit : Du fait de l’absence de mensonge, tous les événements historiques tels que nous les connaissons auraient dû être remis en cause : pas de guerres de religion, pas d’espionnage ou de contre-espionnage, pas d’élection possible d’hommes politiques ou alors en toute connaissance de cause… Mais recréer complètement l’histoire de l’humanité aurait constitué un travail colossal…
En revanche, d’autres points, plus simples, manquent aussi de rigueur : Par exemple, on peut se demander pourquoi les personnages, blessés dans leur orgueil par les vérités méprisantes balancées par leurs concitoyens, ne réagissent pas plus violemment, en criant à leur tour leur ressentiment, leur rancœur… Une aberration parmi d’autres : Mark qui remercie le serveur, au restaurant, alors que ce dernier vient d’intervenir très grossièrement dans leur conversation.

Manque d’ambition sur le fond, manque de rigueur sur la forme, The Invention of lying finit par tourner un peu à vide et ne mérite l’intérêt que pour quelques gags amusants et un joli message sur la tolérance et l’absurdité du dictat de l’apparence physique.
De quoi rassurer l’auteur de ces lignes quant à sa capacité à séduire une fille aussi jolie que Jennifer Garner… Hé ! Comment ça, ce n’est que de la fiction ?
Arf, le pire, c’est que ça c’est vrai… La meilleure idée du film est d’ailleurs de montrer ce qu’aurait donné le cinéma dans un monde où la fiction n’existe pas et où le mensonge est impossible : des œuvres où un narrateur unique raconte, assis face à la caméra, des événements historiques. Du style « Alain Decaux raconte », mais sans images d’archives, quoi…
Brrr… On a échappé au pire. Alors vive le mensonge !

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The invention of lying

Réalisateurs : Ricky Gervais, Matthew Robinson 
Avec : Ricky Gervais, Jennifer Garner, Rob Lowe, Tina Fey, Robert C.K., Jonah Hill 
Origine : Etats-Unis 
Genre : meilleur film du monde (c’est un mensonge…)  
Durée : 1h40
Date de sortie France : 28/04/2010

Note pour ce film : ○○○

contrepoint critique chez :  Le Monde
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