Loyal serviteur d'un régime autoritaire1937, Moscou en pleine terreur stalinienne, un jeune procureur fraichement nommé reçoit une demande d’audition d’un prisonnier politique. Ce courrier ne devait jamais lui parvenir, car dès la première scène, on nous montre un homme bruler toutes les requêtes des prisonniers. Ce procureur, zélé et prompt à donner le meilleur de lui-même pour un régime en lequel il croit profondément, va rendre visite à ce dernier. Pour accéder à l’homme, c’est un dédale de portes, de grilles, de couloirs sévèrement gardés ; comme pour arriver jusqu’au Minotaure ; un homme de près de 80 ans inoffensif, physiquement, mais pour le Régime pas tant que cela. Pensant à un dysfonctionnement du régime dans sa région, il part défendre la cause de cet homme auprès du procureur général à Moscou. Plus largement, il vient défendre le régime, pour lui, il s’agit bien là d’un dysfonctionnement local qu’il faut dénoncer et non d’une logique d’Etat. C’est bien sur ce point-là que pour moi le bas blesse. Comment ce jeune intellectuel peut si mal connaitre son pays et la logique même de son système répressif ? Que ce soit dans sa région ou à Moscou, nombreux sont les obstacles qu’il doit franchir pour dénoncer (attente imposée, absence supposée, lourdeur administrative, maladie,…) ; mais il s’entête mécaniquement. Conté comme une fable, cette obstination sied mal au personnage et à sa fonction ; aucune conscience à aucun moment qu’il va à l’encontre du système alors qu’il a été programmé pour le servir. Hermétique à la drôlerie de cette situation ; on suit interloqué la droiture et la ténacité de ce procureur dont la confiance aveugle envers le système judiciaire soviétique parait risible. L’absurdité est double car en protégeant son système répressif des velléités de ce jeune loup, le système se prive d’un de ses plus fidèles serviteurs. In fine le système n’est plus servi que par des brutes sans cervelles, et se voue lui-même à disparaitre. Une leçon pour l’Histoire mais aussi un beau pied de nez à notre époque où la médiocrité à tendance à l’emporter pour les mêmes raisons.
Par contre par sa mise en scène Serguei Loznitsa parvient à recréer cette atmosphère kafkaïenne omniprésente et cette oppression permanente. Dans la prison, ce sont couloirs, portes ; les hommes sont enserrés dans le cadre et sans mouvement ; et à Moscou, à l’inverse, on rentre et sort comme dans un moulin de bâtiments du pouvoir, tout le monde est en mouvement ici mais de manière mécanique sans savoir où chacun va. Et cette mécanique hyper fluide de la mise en scène va de pair avec celle de son scénario ; mécanique , implacable et donc parfois trop lisible. Tout ce monde réglé comme de l’horlogerie rend une image d’un bloc de noirceur et montre bien que dans ces régimes autoritaires l’individu n’est qu’un rouage, et s’il dysfonctionne on le remplace. Ce que tragiquement, et on le sent très vite, le personnage principal ne comprendra qu’à l’ultime fin ; tellement aveuglé par sa croyance en ce système. On voie bien alors que ce film est un prétexte à faire le parallèle entre le stalinisme et ce qui portera peut être un jour le nom de poutinisme. Pour bien restituer toute cette noirceur, le cadre resserré au possible avec son format 4/3 ; la caméra est immobile, et la patte chromatique réduite au gris et brun.
La construction du film est assez simple puisque l’on assiste à une pièce en trois actes ; un drame. Chaque acte est prétexte à un long monologue riche en signification qui me laisse pantois, je le redis, devant l’obstination de ce procureur. Et dans les intermèdes de chaque acte, toujours le même cadre assez oppressant.
Une belle dénonciation, frontal et brutal que j’aurais aimé moins mécanique et qui aurait aussi pu nous faire plus saisir les enjeux humains de cette tragédie partagée par toute la population sous le régime de Staline.
Sorti en 2025
Ma note: 13/20