
Eloge du nihilisme
La roman de Camus, réputé comme inadaptable et sur lequel Visconti s’était cassé les dents il y a 50 ans, est repris par François Ozon dans une lecture moderne du récit. Ne pas oublier que le roman est écrit en 1939 ; on est encore loin de la Guerre d’Indépendance, Camus met peu l’accent sur cette société fracturée ; mais Ozon arrivé après, en fait un vrai sujet de son film en montrant bien une société ségréguée que les colons se refusent de voir. Critiqué pour ce pas de côté et d’autres, ne pas oublier non plus que le roman a 80 ans, je trouve donc de bon goût que débuter le film par des images d’archive permettant de contextualiser une société proche de l’explosion ; même si Camus a toujours nié avoir voulu parler de cela dans « L’étranger ». Dans le roman comme dans le film, l’étranger au centre du récit est avant tout Meursault ; cet homme, étranger à lui-même et étranger au monde qui l’entoure. Tout au long de l’histoire, on espère trouver les clés de compréhension de ce personnage insondable et insensible au monde qui l’entoure. Et bien c’est un nihiliste et rien d’autre, la longue scène finale avec le prêtre ne fera que le confirmer au terme d’un long monologue de Meursault décrivant son acte comme vide de sens. Et ce détachement envers le monde est passionnant, fasciné moi-même comme l’est son amoureuse Marie qui, elle, est sous le charme mais aussi désemparée par cet homme dont elle cherche la clé. Pour jouer ce rôle si complexe et saisissant, Benjamin Voisin est une incarnation fiévreuse de Meursault, troublant. Ozon en profite aussi, avec beaucoup de sensualité, pour capter toute cette masculinité toxique, raciste et violente. Au-delà ces qualités manifestes, au sortir de la salle, ce qui a imprimé durablement la rétine c’est bien la beauté solaire de ce noir et blanc teinté de surréalisme assumé. La photo est magnifique sans cannibaliser les personnages et le ton du film. Ma seule interrogation réside dans l’usage ou non de la voix intérieure de Meursault présente dans le roman ; Ozon fait le choix de l’oublier au profit des images. La voix off pour être encore plus dans la tête de Meursault aurait-elle apportée un plus tout en se rapprochant du roman ?
Un magnifique film français autour d’un personnage monolithique et fascinant : Meursault.
Sorti en 2025
Ma note: 16/20