Les Braises (2025) de Thomas Kruithof

Troisième long métrage de Thomas Kruithof après "La Mécanique de l'Ombre" (2016) et "Les Promesses" (2021), et retrouve après ce dernier son co-scénariste Jean-Baptiste Delafon qui a signé entre temps les scénarios des films "Visions" (2023) de Yann Gozlan et "Rien ni Personne" (2024) de Gallien Guibert. Les deux auteurs ont choisi comme thématique le mouvement des Gilets Jaunes (2018-2019) en se focalisant sur les conséquences au sein d'un couple et leur famille : "Quand on est un simple citoyen qui s'engage sans y avoir été préparé tout en menant une vie déjà bien remplie, les enjeux ne sont pas les mêmes que pour celui ou celle dont c'est le métier. L'irruption soudaine de la politique dans la vi personnelle et familiale est d'une grande violence. C'était aussi le moyen de mêler la grande et la petite histoire, l'intime et le collectif..." Les deux cinéastes ont rencontré plusieurs figures du mouvement social, et plusieurs figurants sont issus de véritables sympathisants ayant manifestés à l'époque... 

Karine et Jimmy forment un couple uni, toujours très amoureux après 20 ans de vie commune et deux enfants. Elle travaille en usine, tandis que lui est chauffeur-routier et s'acharne à faire évoluer sa société. Quand surgit le mouvement des Gilets Jaunes Karine se laisse emportée par la force du collectif et s'investit de plus en plus mais à mesure que le mouvement gagne en ampleur, l'équilibre du couple vacille, notamment parce que ça parasite les efforts professionnels de Jimmy... Le couple est incarné par un duo qui se retrouve après "Rien à Perdre" (2023) de Delphine Deloget, Virignie Efira vue depuis dans "L'Amour et les Forêts" (2023) de Valérie Donzelli et "Vie Privée" (2025) de Rebecca Zlotowski, et Arieh Worthalter vu dans "Le Procès Goldman" (2023) de Cédric Khan et "Comme le Feu" (2024) de Philippe Lesage. Citons en suite Mama Prassinos aperçue dans "Nos Années Folles" (2017) et "Les Âmes Soeurs" (2023) tous deux de André Téchiné, Justine Lacroix apparue dans "C'est ça l'Amour" (2018) de Claire Burger et "Normal" (2023) de Olivier Babinet, Loup Pinard aperçu dans "La Guerre des Lulus" (2023) de Yann Samuel et "La Plus Belle pour Aller Danser" (2023) de Victoria Bedos, puis Pascal Oumaklouf dans son premier long métrage après quelques courts métrages et de la figuration à la télévision... Un couple de niveau social modeste, un exemple parmi tant d'autres de "ceux qui paient pour les autres", de "ceux qui vivent bien mais comptent leurs sous à la fin du mois", et qui vont traverser une crise car madame se voit soudainement en "Jeanne d'Arc" de la révolutionnaire sociale au moment ou monsieur tente de sauver sa petite société de transport. La crise conjugale s'éveillent parce qu'il y a d'abord crise politico-sociale au sein du couple entre un petit patron en galère et une employée qui croit sauver le monde en donneuse de leçon. Le premier constat est que les enjeux sont clairs au sein de ce couple très crédible et tout à fait plausible dans ses galères, ses discussions, ses décisions, ses disputes, ses réconciliations... un couple d'ailleurs merveilleusement incarné par le duo Efira-Worthalter. Worthalter est un patron de PME au pied du mur parfait, qui gère comme il peut, et qui ne peut soutenir le mouvement des Gilets Jaunes d'abord parce que son entreprise connaît la crise, mauvais timing en quelque sorte. Efira est une femme qui s'éveille à une conscience politique, on peut sans doute deviner une solitude qui la pousse aussi à faire des rencontres, à se sentir moins seule avec un conjoint qui part la semaine, mais au fil du temps elle semble omettre que son époux a ses soucis, des soucis qui peuvent pourtant avoir des conséquences fatales pour la famille et donc pour elle, avec une actrice parfaite dans la partie intime et familiale mais moins à l'aise dans la partie gilets jaunes, notamment quand elle prend la parole, on sent le par coeur, le manque de naturelle comme si elle était paumée et qu'elle se concentrait ; ça passe au début pour ses premiers pas en gilet jaune, mais c'est plus gênant quand elle est une militante depuis plusieurs mois.

Les différences d'opinions intra-conjugales sont passionnantes, plein d'acuité, mais en parallèle il y a encore les écueils démagos et le manichéïsme inhérents au genre, le réflexe anti-flics primaires surtout, mais aussi le fantasme des gros qui appuient sur la tête des petits systématiquement... ATTENTION SPOILERS !... Lors de la manif où Karine/Efira est blessée au début, comme si la police chargeait aussi vite et aussi brutalement sur un rond-point avec aussi peu de militants aussi calmes, répéter que et rappeler les violences policières mais occulter les casseurs et l'effet black bloc, puis cette "relégation professionnelle" de Karine sans qu'on comprenne pourquoi (sauf elle a priori) alors que son militantisme ne touche aucunement son boulot et/ou son entreprise... FIN SPOILERS !... Sur certains points on pourrait croire à une production LFI mais heureusement le lien conjugal crée un fil conducteur intéressant, solide et constructif dans un scénario qui reste intelligent dans son propos, dans les réflexions sociales qu'il impose. On apprécie particulièrement les séquences conjugales et familiales, un peu moins la partie gilets jaunes qui manquent d'ampleur (le manque de moyen se fait sentir), dans une direction unilatérale facile ce qui donne un militantisme un peu cliché, aux braises un peu tièdes (!) surtout avec cette fin faussement ouverte, voire même légèrement hypocrite. Mais, dans l'ensemble, le film est maîtrisé, lucide sur le fond, avec deux acteurs au diapason pour une crise socialo-conjugale vraiment immersive. Un bon moment.

Note :                 

Braises (2025) Thomas KruithofBraises (2025) Thomas Kruithof

14/20