L'Etranger (2025) de François Ozon

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Comme à son habitude depuis "Sitcom" (1998), le réalisateur François Ozon sort son film annuel et comme à son habitude il alterne encore les genres et les styles comme avec ses derniers films avec la comédie vaudevillesque "Mon Crime" (2023) suivi du drame "Quand vient l'Automne" (2024), et il en profite pour revenir au Noir et Blanc qu'il avait déjà utilisé avec "Frantz" (2016). Au départ le cinéaste travaillait sur une idée d'une trilogie autour d'un homme désabusé qui ne voyait aucun sens à la vie, mais l'écriture semblait laborieuse et finalement c'est en relisant "L'Etranger" (1942) de Albert Camus que le réalisateur-scénariste a décidé de l'adapter ce qui lui permettait de reprendre la plupart des thèmes qu'il avait envie de traiter. Une gageure puisque ce roman, l'oeuvre française la plus lue dans le monde après "Le Petit Prince" (1943) de St Exupéry et "20000 Lieues sous les Mers" (1869-1870) de Jules Verne, est considéré comme impossible à adapter au cinéma malgré et depuis la version éponyme (1967) de Luchino Visconti, jugée généralement médiocre le maestro italien ayant dû respecter les contraintes de la veuve de Camus dont respecter à la lettre le roman ce qui est souvent incompatible avec les conditions de la narration cinématographique. Pour ce nouveau projet, Ozon a pu effectuer les changements qu'il lui a semblé utile... Alger, 1938, Meursault, modeste employé d'une trentaine d'années enterre sa mère sans manifester la moindre émotion. Le lendemain il entame une liaison avec Marie, une collègue de bureau. Puis il s elaisse entraîner dans des histoires louches par son voisin Raymond, jusqu'à un drame, sur la plage et sous un soleil de plomb... 

Meursault est incarné par Benjamin Voisin qui retrouve Ozon après "Eté 85" (2020) et vu depuis dans "Illusions Perdues" (2021) de Xavier Giannoli, "Les Âmes Soeurs" (2023) de André Téchiné ou "Jouer avec le Feu" (2024) des soeurs Couin. Il est entourée de Rebecca Marder qui retrouve également Ozon après "Mon Crime" (2023), puis elle retrouve après "La Rafle" (2010) de Rose Bosch son partenaire Swann Arlaud qui retrouve également Ozon après "Grâce à Dieu" (2018) à l'instar de Pierre Lottin qui était aussi dans "Quand vient l'Automne" (2024), puis il retrouve après "Présidents" (2021) de Anne Fontaine et "Vivants" (2023) de Alix Delaporte l'acteur Jean-Charles Clichet qui retrouve encore après "Un Peuple et son Roi" (2018) de Pierre Schoeller l'acteur Denis Lavant qui retrouve également Swann Arlaud après "Michael Kohlhaas" (2013) de Arnaud des Pallières, puis respectivement après "Mauvais Sang" (1986) de Leos Carax et "L'Empereur de Paris" (2018) de Jean-François Richet il retrouve Mireille Perrier aperçue plus récemment dans "Les Enfants des Autres" (2022) de Rebecca Zlotowski, et Jérôme Pouly qui retrouve Ozon après "5 x 2" (2004). Citons encore Christophe Malavoy acteur majeur des années 80-90 qu'on n'avait plus vu sur grand écran depuis "16 ans... ou Presque" (2013) de Tristan Séguéla, Nicolas Vaude vu dernièrement dans "Une Affaire de Principe" (2024) de Antoine Raimbault et "Le Choix du Pianiste" (2024) de Jacques Otmezguine, Jean-Claude Bolle-Reddat qui retrouve Ozon pour la 5ème fois après "Ricky" (2009), "Une Nouvelle Amie" (2014), "Frantz" (2016) et "Mon Crime" (2023), Christophe Vandevelde apparu entre autre dans "Plonger" (2017) de Mélanie Laurent ou "Bâtiment 5" (2023) de Ladj Ly, puis enfin Jean-Benoît Ugeux aperçu dans "I Feel Good" (2018) du dio grolandais Delépine-Kervern ou "Rien à Foutre" (2021) de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre... Si Ozon reste très fidèle au roman on note deux grands changements, à savoir les rôles féminins plus développés, Marie/Marder et Djemila/Bouzaouit, et surtout cette dernière qui a ici un prénom qu'elle n'a pas dans le roman, d'ailleurs paradoxalement on peut rappeler que Camus ne nomme aucun arabe dans son roman qui sont impersonnels, n'existant qu'en filigrane en arrière-plan ce que Ozon retranscrit également, exception faite de Djemila. C'est d'ailleurs un paramètre qui a servi pour critiquer le roman, rappelant ainsi une sorte de relent colonialiste (arabes invisibles ou sans identité), mais dans un sens aussi on peut rappeler que oui, l'Algérie est alors française dans un contexte géo-politique peffectivement colonialiste. Ainsi, le film suit le roman, Ozon assume et nous plonge dans une Alger vu du point de vue de Meursault/Voisin dans un Noir et Blanc stylisé qui crée une filiation avec les films d'époque avec surtout "Pépé le Moko" (1937) de Julien Duvivier. Le scénario reprend de façon fidèle la trame du roman, Ozon réussit plutôt bien à retranscrire l'atmosphère, les sensations et surtout l'âme et l'esprit de Meursault/Voisin, homme insensible, froid, sans émotion à un point où il est presque psychopathe mais heureusement il n'y a pas une once d'agressivité ou de violence avant ce meurtre "accidentel". Le film est donc scindé en deux parties, comme le roman, une première partie où Meursault visite sa défunte mère, son deuil mal assumé ou incompris, son idylle avec Marie, son amitié avec Sintès jusqu'à ce drame, pet une seconde partie très judiciaire avec le procès, et les états d'âmes (ou pas !) de Meursault.

Le livre original est l'un des plus lus et donc des connus au monde, on ne s'attardera pas sur les éléments philosophiques et/ou psychologiques archi connu (dénonciation des procès staliniens, référence à l'absurde vie Alfred Jarry et appuyé par Jean-Paul Sartre, métaphore de la condition humaine...), mais par contre on s'aperçoit plus frontalement des incohérences et/ou invraisemblances de l'histoire... ATTENTION SPOILERS !... en effet, 1937 avec tout le contexte géo-politique que l'on sait, un français blanc qui tue un arabe armé qui venait justement de blesser un autre français blanc, on a bien du mal à croire à sa condamnation surtout à une peine aussi sévère ! De surcroît, on pourrait s'étonner encore plus de l'enquête car pas de témoin a priori, zone déserte... etc... FIN SPOILERS !... Avec un peu de transposition historique et un peu de franchise ce n'est pas très crédible cette issue. Mais le personnage de Meursault est assez fascinant, magnifiquement incarné par Benjamin Voisin dans une performance quasi antinomique de l'acteur puisqu'il incarne justement un être sans émotion, et ça fonctionne à merveille. Finalement l'individu est une sorte de maître étalon du cynisme absolu. Le récit est légèrement parasité par des plans de nudité légèrement gratuits, magnifiquement filmés aussi ce qui, pour reprendre la réflexion d'un autre, sonne réellement comme des extraits de publicité pour du parfum masculin. Sensation bizarre sur des passages qui semblent hors sujet au vu du récit. Le rythme lancinant colle bien au récit, comme hors du temps, hors de la réalité qui correspond donc parfaitement à un Meursault qui ne semble pas comprendre pourquoi il vit cette vie sur cette terre. Même si le film est fidèle au roman la seconde partie s'avère très et trop longue, car moins intéressante surtout quand arrive le dernier quart d'heure, on drôle l'ennui fatal. En conclusion, on adore la performance de Benjamin Voisin, on savoure le visuel et la reconstitution "colonialiste", les thématiques sont passionnantes, mais le côté policier-judiciaire n'est pas toujours convaincant et le dernier acte est un peu trop long. Ozon signe une adaptation réussie, car les défauts du film sont aussi inhérents à certains questionnements vis à vis du roman. A conseiller malgré tout.

Note :                 

13/20