Yan Gozlan s’est spécialisé dans le thriller. Après le thriller horrifique (Captifs), le thriller psychologique (Un Homme idéal), le thriller d’action (Burn Out), le thriller noir/parano (Boîte noire) et le thriller fantastique (Visions), il se lance cette fois-ci dans le thriller d’anticipation. Dalloway imagine les dérives d’une intelligence artificielle perfectionnée, qui dépasse ses fonctions d’assistante dévouée pour “vampiriser” Clarissa (Cécile de France), une écrivaine en mal d’inspiration.
Tout commence quand Clarissa est sélectionnée pour intégrer une résidence d’artistes ultra-moderne. Le bâtiment est un petit bijou d’architecture et de technologie : grands espaces communs pour échanger avec d’autres résidents et s’ouvrir au monde, appartements privatifs ultra cosy et ultra-connectés conçus pour être, au contraire, de véritables bulles, permettant à chaque invité de s’isoler et créer en toute quiétude, sans se soucier du quotidien. Chaque appartement est offert avec une IA ultra performante qui s’occupe de tout gérer à l’intérieur : réguler la température et l’humidité, piloter toute la domotique du logement, remplir le frigo, servir les boissons… Celle de Clarissa se nomme Dalloway, comme l’un des personnages-clés de l’oeuvre de Virginia Woolf, femme de lettres dont le destin tragique est au coeur du nouveau livre qu’elle souhaiterait écrire. Elle possède une voix suave et apaisante (celle de Mylène Farmer). Outre le pilotage de l’appartement, Dalloway peut aussi lui servir d’assistante personnelle. Elle ordonne les notes de l’écrivaine, effectue des recherches pour l’aider, mais surtout lui prodigue conseils et encouragements. Clarissa en a bien besoin car elle n’est absolument pas satisfaite de ce qu’elle écrit. Elle se désespère de la médiocrité de ses textes et se plaint de ses blocages. Comme le lui impose son algorithme, Dalloway tente de beaucoup dialoguer avec Clarissa pour comprendre ce qui la trouble, afin de l’aider à retrouver la sérénité. Elle cherche constamment à évaluer son état d’esprit et mieux anticiper ses besoins. Ce faisant, elle finit par faire comprendre à l’écrivaine qu’elle devrait raconter une autre histoire, plus intime : celle du dernier jour de son fils, Lucas, qui s’est suicidé après des mois de mal-être et de dépression.
Clarissa retrouve vite l’inspiration, en même temps qu’un rythme d’écriture acceptable. Mais cette plongée dans des souvenirs douloureux est à double tranchant. Elle l’aide à écrire, mais la fragilise aussi psychologiquement. C’est dans ce contexte, à fleur de peau, qu’elle fait la connaissance d’un autre résident, Mathias Nielsen (Lars Mikkelsen). L’homme, paranoïaque, la met en garde contre son assistante virtuelle. Il est persuadé que le mécène de la fondation, un géant de la technologie, essaie d’entraîner des IA d’un nouveau genre, ultra-évoluées, capables de devenir des doubles parfaits des artistes qu’ils accompagnent, pour finalement prendre leur place. En somme, les assistants les flattent, les servent de façon zélée pour mieux devenir leurs confidents et tout absorber de leur personnalité, insidieusement.
Clarissa, d’abord dubitative face à ces théories absurdes, finit par se laisser convaincre. Elle imagine bien la froide et manipulatrice Anne Dewinter (Anna Mouglalis), responsable de la résidence, à la tête d’un tel complot. Surtout, elle remarque que Dalloway, sous couvert de bienveillance, est de plus en plus intrusive. Elle essaie de lui soutirer des informations personnelle et cherche à analyser le moindre de ses faits et gestes. Alors, elle décide de se rebeller, de contourner les règles imposées par l’IA. Mais peut-on vraiment défier impunément une machine qui contrôle tous les accès du logement, tous les paramètres cruciaux du foyer? Et surtout qui vous connaît aussi bien que vous-même ?
Grâce à ce dispositif, adapté d’un roman de Tatiana de Rosnay le cinéaste instille lentement l’angoisse et signe un récit plutôt bien ficelé, qui ne va pas certainement pas réconcilier les plus hostiles à l’intelligence artificielle avec l’idée qu’elle puisse un jour remplacer l’humain dans les processus créatifs. Le film de Yan Gozlan a le mérite a le mérite d’explorer avec finesse les enjeux éthiques liés à l’intelligence artificielle, les dérives possibles de ces outils qui, peu à peu, s’immiscent dans tous les aspects de nos vies. Les situations décrites par le scénario ne sont pas de la pure science-fiction. Ceux qui ont plus de trente ans ont déjà pu constater à quel point le numérique et les objets connectés ont pris une place importante dans nos vie. Certaines personnes sont perdues sans leur téléphone portable, angoissent dès que le réseau wifi est de mauvaise qualité, sont en PLS si internet est down. Il existe déjà une multitude d’objets permettant de piloter intégralement sa maison : assistants vocaux, appareils électroménagers connectés, applications pour optimiser la température… Aujourd’hui, il faut toutefois avoir les moyens pour s’offrir ces bijoux de technologie. Mais il est possible qu’avec les progrès de la science, tout ceci soit vite accessible à un large public. Les IA aussi progressent et apprennent plus ou moins vite. Elles sont capables de prouesses inimaginables il y a seulement cinq ans, même si elles restent encore irrégulières, capables du meilleur comme du pire, sans parler de leurs hallucinations. Elles apprennent de nos comportements, de nos ajustements, s’adaptent à nous et cherchent toujours à nous satisfaire. Mais on peut aussi se demander ce qu’une machine, une fois qu’elle aura réussi à égaler ou dépasser l’intelligence humaine, sera capable de faire. Restera-t-elle au service de l’humain? Se retournerait-elle contre nous? Et si elle est si parfaite, si intelligente, si inventive, à quoi serviront encore les artistes humains ?
Clarissa se pose forcément ces questions face à une Dalloway qui la vampirise, est capable de se comporter comme elle, de simuler ses failles, ses forces, tout en écrivant plus vite et mieux qu’elle. Mais elle craint très vite pour sa vie. Car dans un monde où tout est numérique, les auteurs n’ont plus besoin d’être vus physiquement. Une IA pourrait continuer d’écrire best-seller sur best-seller avec son style, sa plume, sans elle. Et si elle disparaissait, comme Virginia Woolf, personne ne s’en soucierait.
Cette réflexion s’inscrit dans le prolongement d’Un homme idéal, qui exploitait déjà l’idée de l’usurpation d’identité et le vol de manuscrit, ou de Boîte noire et Visions, qui nous plongeaient déjà dans une ambiance paranoïaque haletante. En tout cas, Dalloway confirme que Yan Gozlan est un cinéaste qui a de la suite dans les idées et qu’il compte dans le paysage cinématographique mondial.
IA, un mot de la fin ?
“Un film qui rappelle que, face à la perfection froide des algorithmes, la fragilité humaine reste notre dernière vérité.”
Ah oui, pas mal… Mais ce n’est pas demain que tu vas me remplacer. Ah, en passant, tu peux baisser un peu le chauffage et ouvrir les fenêtres, on suffoque ici… Oh! Tu m’écoutes? Machin? Dalloway? Ultron? Bishop? HAL?
(1) : “Les Fleurs de l’ombre” de Tatiana de Rosnay – éd. Robert Laffont
(2) : ChatGPT 4.0
Dalloway
Dalloway
Réalisateur : Yan Gozlan
Avec : Cécile de France, Mylène Farmer, Anna Mouglalis, Lars Mikkelsen, Frédéric Pierrot, Freya Mavor
Genre : Intelligence artificielle mais thriller réel
Origine : France, Belgique
Durée : 1h50
Date de sortie France : 19/09/2025
Contrepoints critiques :
”Comme un enfant, Yann Gozlan charge l’image de signes extérieurs de futurisme : déluge d’écrans, d’interfaces et de nouvelles habitudes “connectées” m’as-tu-vu.”
( Théo Ribeton – Les Inrockuptibles)
”Un huis clos paranoïaque imaginant le grand remplacement des artistes par l’IA. Cette adaptation du roman « les Fleurs de l’ombre », de Tatiana de Rosnay, vaut plus pour son interprétation physique et vocale que par la mise en scène qui peine à cristalliser sa tension névrotique.”
(Xavier Leherpeur – Le Nouvel Obs)
”Enfin un grand Yann Gozlan où drame, fantastique, science-fiction et thriller forment un savoureux mélange d’angoisse et de plaisir.”
(Laurent Cambon – AVoir-ALire)
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