Manon (1948) de Henri-Georges Clouzot

Remarqué dès se débuts avec ses chefs d'oeuvre "L'Assassin habite au 21" (1942) et "Le Corbeau" (1943), et après un retour difficile mais mérité après-guerre avec l'excellent "Quai des Orfèvres" (1947), notre Hitchcock français Henri-Georges Clouzot revient avec une adaptation très libre, ou plutôt une transposition à aujourd'hui (donc en 1945-1948 et son contexte d'après-Guerre) du fameux roman "Histoire du Chevalier des Grieux et de Manon Lescaut" (1731-1753) de l'Abbé Prévost. Le scénario est signé par le réalisateur-scénariste avec Jean Ferry, un des auteurs de "Les Enfants du Paradis" (1944) de Marcel Carné et qui retrouve Clouzot après "Quai des Orfèvres" (1947), mais aussi après le segment "Retour à la vie" du film collectif "Le Retour de Jean" (1949) et juste avant une ultime collaboration pour "Miquette et sa Mère" (1949). Le film confirme le statut prestigieux du cinéaste dont le film est un succès critique et public, d'abord avec le Lion d'Or à la Mostra de Venise 1949, puis avec pas moins de 3,4 millions d'entrées France le faisant entrée le le top 10 des succès de l'année 1949... Un jeune couple est découvert comme clandestins sur un navire qui est en partance pour la nouvelle terre d'Israël. Quand le capitaine découvre que le jeune homme est recherché pour meurtre, il accepte d'écouter l'histoire du couple avant de prendre une décision qui semble pourtant définitive. 1945, en pleine épuration, la jolie Manon Lescaut est sauvée d'un lynchage populaire par des soldats du LFI dont fait partie Robert Desgrieux. Un peu malgré lui, Robert sauve Manon et finit par fuir avec elle après un coup de foudre. Alors que Robert tente de créer un avenir simple et heureux, Manon rêve de luxe et d'une vie aisée qui la pousse à tromper Robert. Par amour Robert pardonne plusieurs fois, Manon revient aussi mais un dernier drame pousse le couple à fuir une fois de plus... 

Manon est incarnée par Cécile Aubry remarquée dans "Une Nuit à Tabarin" (1947) de Karel Lamac, elle va connaître la gloire et la reconnaissance internationale grâce à son rôle au point où elle est aussitôt appelée à Hollywood où elle joue dans "La Rose Noire" (1950) de Henry Hathaway, elle joue ensuite dans "Barbe-Bleue" (1951) de Christian-Jaque, mais après quelques autres films elle délaisse le cinéma, commence à écrire et va adapter ses oeuvres pour la télévision ainsi elle va devenir l'autrice célèbre de romans pour enfant et créatrice des séries TV adaptées "Poly" (1961-1973) et "Belle et Sébastien" (1965-1970) interprétés par son propre fils Mehdi El Glaoui. Son amoureux transi Robert est joué par Michel Auclair remarqué dans "La Belle et la Bête" (1946) de Jean Cocteau ou "Les Maudits" (1947) de René Clément avant de devenir un des plus fameux seconds rôles du cinéma français. Citons ensuite Serge Reggiani qui retrouvera Clouzot pour "L'Enfer" (1946)à qui restera malheureusement inachevé, puis retrouve après "Les Portes de la Nuit" (1946) de Marcel Carné l'actrice Gabrielle Fontan qui a croisé sa partenaire Dora Doll dans "Entrée des Artistes" (1938) de Marc Allégret et elle retrouve aussi Andrex après "Hôtel du Nord" (1938) de Marcel Carné puis après "Quai des Orfèvres" (1947)  elle retrouve Clouzot à l'instar des acteurs Jean Hébey, François Joux vu dans "La Bataille du Rail" (1946) de René Clément, puis Robert Dalban qui retrouvera encore le réalisateur pour "Les Diaboliques" (1954) et "Les Espions" (1957) comme Jean Temerson pour le premier où Gabrielle Dorzat pour le second, cette dernière retrouve également après "La Chaleur du Sein" (1938) de Jean Boyer l'acteur Henri Vilbert qui retrouve avec Jean Despeaux leur réalisateur après "L"Assassin habite au 21" (1942). Citons encore François Joux et Charles Camus qui se retrouvent après "Antoine et Antoinette" (1947) de Jacques Becker, n'oublions pas une certaine Rosy Varte qui sera surtout connue plus tard avec la série TV populaire "Maguy" (1985-1992), Hubert De Lapparent qui retrouvera Clouzot pour "La Vérité" (11961) et "L'Enfer" (1964), puis citons pêle-mêle des seconds et troisièmes rôles bien connus avec Raymont Souplex, André Valmy, Daniel Ivernel, Héléna Manson, Simone Valère, Michel Bouquet, Jacques Dynam, Edmond Ardisson, Max Elloy ou encore Frédéric Mariotti... 

La transposition de "Manon Lescaut" dans l'après-guerre est plutôt intéressant, la tragédie inhérente notamment à l'épuration impose à la fois une empathie pour la jeune Manon mais aussi le soupçon d'un passé indigne. Pourtant ce début s'avère un peu trop expédié avec entre autre un coup de foudre express totalement improbable symptomatique du film et de maladresses très rares chez Clouzot habituellement. Ainsi on aime sa mise en scène, ses fulgurances, sa dualité ange/enfer magnifiquement incarnée par une Manon/Aubry en femme-enfant pouvant être aussi angélique que vénéneuse puis une symbolique religieuse superbement filmée comme les statues témoins des premiers ébats ou moins subtiles avec cette fin exotique et en filigrane le chemin de croix vers la Terre Promise, dont d'ailleurs un plan final qui n'est pas sans rappeler le plan final tragique du magnifique "Notre-Dame de Paris" (1954) de Jean Delannoy. Quelques séquences déçoivent aussi, la plus étonnante reste quand Manon/Aubry apprend la mort de son frère, elle réagit si froidement que ça en est étonnant, voir perturbant car cela brise complètement le côté ange de Manon, serait-elle donc simplement un poison de femme ?! Le film est ainsi constamment en alternance entre la grâce tragique et le charme inconstant d'une femme-enfant, puis le manque parfois de finesse, les sabots assomment de maladresses d'autres passages. Clouzot n'est donc pas à son meilleur, mais ça reste un mélo intéressant, bancal assurément mais les qualités indéniables compensent suffisamment pour passer un bon moment.

Note :                 

Manon (1948) Henri-Georges ClouzotManon (1948) Henri-Georges Clouzot

14/20