[Hors Compétition]
De quoi ça parle ?
De la quête vengeresse de la Princesse Scarlet, perdue dans une sorte de purgatoire, entre la vie et la mort, entre différentes époques.
Tout commence quand le père de Scarlet, souverain du pays, est destitué suite aux manigances de son propre frère, Claudius, et condamné à mort. La jeune femme décide de le venger et de faire chuter son oncle usurpateur. Mais elle est prise de vitesse par celui-ci, qui lui administre un poison létal. Scarlet se réveille dans un monde étrange, un désert terrifiant et plein de dangers, où présent, passé et futur s’entrelacent. Un chemin peut l’emmener jusqu’à Claudius, protégé dans une tour bien gardée. Scarlet décide donc de reprendre sa quête vengeresse. Pour cela, elle doit affronter les hordes de tueurs envoyés par son oncle pour l’envoyer définitivement aux enfers. Elle est aidée dans sa quête par Hijiri, un infirmier venu de notre monde contemporain, lui aussi entre la vie et la mort. Au fur et à mesure qu’elle progresse vers son but, elle se demande si la vengeance est vraiment le meilleur moyen de faire son deuil et d’honorer la mémoire de son père.
Aimer ou ne pas aimer, telle est la question
Le nouveau film de Mamoru Hosoda, Scarlet s’inspire ouvertement de “Hamlet”, la fameuse pièce de William Shakespeare. Il s’agit là aussi d’une histoire de vengeance obsessionnelle, de complots et de manipulations, de mort et d’au-delà. Plusieurs personnages ont des noms similaires à la pièce de Shakespeare (Claudius, Polonius, Gertrude, Rosencrantz et Guildenstern…), assumant la filiation du film avec cette dernière. Mais il y a aussi un dragon, pour bien rappeler que l’intrigue est déplacée dans un contexte plus asiatique. Et on notera également que le personnage central du texte shakespearien, Hamlet, est ici remplacé par Scarlet, un personnage féminin, pour bien marquer un changement de genre et de morale. La pièce allait au bout de la logique vengeresse et nihiliste, menant au trépas de tous les personnages principaux. Hosoda propose une voie différente, plus empreinte de philosophie orientale, en faisant du spectre paternel non pas une figure incitant au meurtre mais une figure plus positive, plus douce. Les rencontres que Scarlet fait tout au long de son périple la poussent à réfléchir, à se poser des questions sur ses motivations, sur la pertinence de sa quête. Plutôt que de se demander si elle doit “être ou ne pas être ?”, elle s’interroge plutôt sur “se venger ou pardonner ?”. Car cet univers à la croisée des mondes et des époques semble bien indiquer que la vengeance induit un cycle de violence, de haine et de mort sans fin, qui ne permet jamais d’établir un monde meilleur. Enfin, dans Shakespeare, il n’y a pas de dragon… Scarlet comprend peu à peu qu’une autre voie que la vengeance aveugle est possible, et qu’en abandonnant sa quête individuelle, elle pourrait faire le bien de son peuple.
Le problème, c’est que le récit, même modifié par rapport à la pièce d’origine, est un peu trop linéaire et prévisible. Les péripéties deviennent vite répétitive et on comprend bien trop vite où le cinéaste veut nous emmener. Alors, le film perd un peu de son intérêt à mi-parcours. Il se traîne en longueur et baisse en intensité dramatique. Seul le final, grandiloquent, vient lui redonner un coup de fouet salutaire et boucler l’oeuvre sur une note plus positive. Mais beaucoup des admirateurs du cinéaste seront sans doute un peu déçus de ne pas éprouver les mêmes émotions que face à des films comme Les Enfants loups, Ame et Yuki, Le Garçon et la Bête ou Miraï, ma petite soeur, les chefs d’oeuvre de Mamoru Hosoda. Le cinéaste japonais évolue ici sur un registre moins intimiste et plus métaphysique, ce qui le rend un peu plus sec.
Néanmoins, si Scarlet déçoit un peu au niveau du fond, il ravit au niveau de la forme. Hosoda ne se contente pas des canons habituels de l’animation japonaise en 2D. Dans les “Otherlands”, il expérimente en mélangeant dessin animé traditionnel, prises de vue réelles et peut-être des images 3D. Les personnages évoluent dans des décors aux textures réalistes (l’eau, le sable, le ciel, les braises…) qui donnent une ambiance unique, assez envoûtante et plutôt raccord avec la singularité de ces limbes qui entrelacent différentes réalités, différentes époques, différentes voies possibles. On n’a pas souvenir d’avoir vu un tel procédé dans un film d’animation japonaise et visuellement, c’est absolument sublime.
L’autre force du film, c’est la mise en scène et ses audaces. Là encore, pour de l’animation, c’est d’une ambition folle. Il y a des illusions de plans-séquences, de travellings circulaires, des plongées vertigineuses. Autant de plans qui ont nécessité un travail impressionnant au niveau du dessin, image par image, pour que tout cela soit aussi fluide, aussi immersif. On ne peut que saluer cette virtuosité artistique.
Au final, l’enthousiasme que l’on éprouve face aux images est assurément supérieur à la relative déception que fait naître le scénario. On retiendra de Scarlet cet environnement visuel remarquable et cette volonté de faire passer l’animation japonaise à un autre niveau, grâce à une mise en scène sophistiquée.
Aimer ou ne pas aimer ? Telle est la question. Malgré quelques motifs de frustration, on aime assez.
Crédits photos : Photos officielles du film – Images fournies par La Biennale Cinema – copyright 2025 Sony Pictures – Studio Chizu