Adieu ma concubine

Un grand merci à Carlotta Films ainsi qu’à Arcadès pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray 4K UHD du film « Adieu ma concubine » de Chen Kaige.

Adieu_ma_concubine

« Tu seras bientôt initié dans la troupe. Essaye de te convaincre que tu es une fille. Surtout, ne te trompe pas. »

Pékin, 1924. Douzi entre à l’académie de maître Guan pour apprendre l’art de l’opéra chinois. Très vite, il se lie d’amitié avec le jeune Shitou. Devenus adolescents, les deux garçons obtiennent les rôles principaux de l’opéra, « Adieu ma concubine », ceux du roi Chu et de sa maîtresse Yu. Ce grand classique de la culture chinoise les mènera vers la gloire. Dix ans plus tard, désormais connus sous les noms de Dieyi et Xiaolou, les inséparables Douzi et Shitou jouent inlassablement ce même opéra. Mais un chamboulement va bientôt advenir. Amoureux de son partenaire depuis toujours, Dieyi apprend les fiançailles de Xiaolou avec Juxian, une ancienne prostituée…

« Vous avez beau être muni de tous les talents, jamais vous n’échapperez à votre propre destin »

Adieu_ma_concubine_Zhang_Fengyi

Figure tutélaire (avec Zhang Yimou) de la cinquième génération du cinéma chinois, Chen Kaige porte en lui les stigmates de la Révolution culturelle qui marqua irrémédiablement au fer rouge la société chinoise des années 60 et 70. Adolescent solitaire, il intègre ainsi les gardes rouges – ces mouvements de jeunesse sur lesquels Mao s’appuie pour asseoir son pouvoir – et finit par se retrouver devant une situation de conflit moral : loyal au Parti, il assistera impuissant à l’humiliation publique de sa mère avant d’accepter de dénoncer son père, ancien adhérent du Kuomintang. Une expérience traumatisante dont il portera toujours la culpabilité et qui se traduira par une filmographie marquée par la quête identitaire et la critique des systèmes oppressifs, y compris celui de la Chine Populaire. Ce qui donnera lieu à des films au ton presque subversif, tels que « La terre jaune » (1984) ou « Le roi des enfants » (1987). Mais sa consécration internationale aura lieu en 1993 avec sa fresque « Adieu ma concubine », lauréate de la Palme d’or du Festival de Cannes, ex-aequo avec « La leçon de piano » de Jane Campion.

« La concubine, peu importe la manière dont elle chante, ne doit-elle pas toujours mourir? »

Adieu_ma_concubine_Leslie_Cheung

Adaptation du roman éponyme de Lilian Lee, « Adieu ma concubine » s’impose comme une fastueuse fresque historique, couvrant un demi-siècle de bouleversements politiques et sociétaux en Chine, des années 1920 jusqu’à la fin des années 1970. On y suit le destin de deux acteurs de l’Opéra de Pékin, Douzei et Shitou, depuis leur enfance difficile et orpheline dans une académie d’art aux méthodes particulièrement brutales jusqu’à leur triomphe artistique. La construction du film repose ainsi judicieusement sur l’imbrication constante de la petite et de la grande Histoire, articulant trajectoires intimes et contextes politiques : au cours du demi-siècle sur lequel s’étend le récit, le statut des héros évoluera ainsi au gré des aléas de l’Histoire, de l’occupation japonaise de la Chine jusqu’aux bouleversements de la Révolution culturelle, les faisant passer de résistants à collaborateurs et d’artistes admirés à parias. Se joue alors une tragédie sur deux niveaux : celle qui touche les deux protagonistes résonnant de fait avec celle(s) qui frappe(nt) le pays. À travers le destin de ces deux artistes, Chen Kaige s’interroge sur la place de l’art dans la société chinoise, tiraillée entre tradition séculaire et instrumentalisation idéologique. L’opéra apparaissant tour à tour comme le refuge et la prison des deux héros, les contraignants pour survivre à de nombreux sacrifices et d’avilissantes compromissions avec les pouvoirs politiques successifs. Mais le film puise aussi sa puissance dramatique et sa complexité dans un habile jeu de mise en abyme par lequel les personnages sont confrontés dans leur propre vie au même drame que celui qu’ils jouent dans leur pièce. L’irruption d’une ancienne prostituée venant mettre à mal l’amitié entre les deux héros tout en faisant apparaitre l’ambivalence de leur relation (entre admiration et rivalité) et l’ambigüité de leurs sentiments (la question de l’homosexualité est clairement suggérée). Chen Kaige signe ici une fresque magistrale d’une rare densité, évoquant à la fois les affres de la vie d’artiste autant que les tourments d’un pays victime de nombreux bouleversements politiques et sociaux, et d’une incroyable beauté formelle. A se demander même comment un film aussi critique – pour ne pas dire subversif – a pu seulement être produit par un régime aussi autoritaire, se contentant d'en interdire sa diffusion sur son territoire.

Adieu_ma_concubine_Chen_Kaige

****

Le blu-ray 4k UHD: Le film est présenté dans une nouvelle restauration 4K et proposé en version originale chinoise (mandarin, 20. et 5.1) ainsi qu'en version française (2.0 et 5.1). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné de « La Cinquième génération » : Entretien avec Hubert Niogret, historien du cinéma (2024, HD, 24 min.), Making of avec le réalisateur et les trois comédiens principaux (2003, 24 min.), Bande-annonce teaser et Bande-annonce 2023 (HD).

Édité par Carlotta Films, « Adieu ma concubine » est disponible en blu-ray 4K UHD ainsi qu’en édition blu-ray depuis le 21 mai 2024.

Le site Internet de Carlotta Films est ici. Sa page Facebook est ici.

Le site Internet d’Arcadès est ici. Sa page Facebook est ici.