[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
Des retrouvailles d’un homme et d’une femme qui se sont aimés, plusieurs années auparavant, avant de se séparer dans des conditions particulières.
A l’époque, Meiyun (Xin Zhilei) avait provoqué un accident de la route mortel. Baoshu (Zhang Songwen), par amour, avait endossé la responsabilité de l’accident. Pas reconnaissante pour un sou, la jeune femme l’a quitté pour partir construire sa vie ailleurs, tandis qu’il végétait en prison à sa place. Les années ont passé sans qu’aucun des deux ne cherche à retrouver l’autre. Mais un jour, alors que Meiyun vient de passer un examen médical – elle est enceinte d’un homme marié et la grossesse semble compliquée – elle tombe sur Baoshu, hospitalisé pour un cancer de l’estomac à un stade avancé. Leurs retrouvailles réactivent la culpabilité enfouie de Meiyun et la rancoeur de Baoshu.
Ce dernier profite de la mauvaise conscience de Meiyun et de sa volonté de se racheter. Il lui impose de l’héberger chez elle et abuse de son hospitalité. Il est constamment odieux et n’a de cesse de lui rappeler la dette qu’elle a envers lui.
Sa présence perturbe totalement le quotidien de la jeune femme.
Pourquoi on a besoin d’un peu de soleil en sortant de la salle ?
Disons-le tout de suite, si vous avez envie d’une petite comédie légère et lumineuse, vous pouvez passer votre chemin. The sun rises on us all est un mélodrame assez sordide. Ses personnages sont prisonniers de leur passé commun et glissent progressivement sur un chemin sans espoir.
Baoshu est un homme fatigué, usé par la maladie et les années de détention, blessé par la trahison de la femme qu’il aimait. Il n’est plus que rancoeur et abattement. Il erre, toujours la tête basse, en attendant la fin de son calvaire.
Meiyun est tout aussi déprimée que lui. Certes, contrairement à lui, on la voit sourire dans le film, mais uniquement sur les vidéos d’influenceuse qu’elle tourne pour essayer d’attirer de nouvelles consommatrices. Un sourire factice, toujours crispé. Lorsqu’elle a décidé d’abandonner Baoshu, elle rêvait probablement d’une existence meilleure, faite d’aventures, de fortune et de gloire, ou d’une vie de famille heureuse. Aujourd’hui le constat d’échec lui fait mal. Son commerce connaît des difficultés. Les vêtements qu’elle vend, issus des ateliers textiles locaux, ont tous des problèmes de qualité et sont retournés par ses clientes. Sa relation avec son amant se délite car il ne veut pas qu’elle garde l’enfant qu’elle porte. Or, à trente-six ans, c’est probablement la dernière fois qu’elle a l’opportunité de donner la vie. Et sa grossesse risque bien d’être compliquée, puisqu’un précédent avortement a fragilisé son utérus. A l’hôpital, au début du film, on lui a annoncé sèchement que le coeur du foetus ne battait pas, en tout cas, pas encore. Lorsqu’elle tombe sur Baoshu, l’instant d’après, elle y voit un signe. Elle se dit qu’il s’agit d’une punition divine pour ses fautes passées, et cherche à obtenir le pardon de Baoshu, mais celui-ci refuse de lui accorder.
Leur relation est compliquée. Elle est empreinte d’hostilité, voire de haine. Baoshu déteste Meiyun pour l’avoir quitté alors qu’il était littéralement et métaphoriquement au fond du trou et qu’il s’était sacrifié pour elle. Meiyun lui en veut de revenir lui pourrir la vie, alors qu’elle entrevoyait, avec sa grossesse, un nouveau départ. Dans le même temps, on devine qu’ils ont été unis par un amour sincère, et probablement reste-t-il encore quelques braises des feux de leur passion. Peu à peu, leur relation s’apaise, même s’ils ne parviennent pas totalement à laisser le passé derrière eux. Le scénario flirte avec l’idée d’une nouvelle chance pour ce couple brisé, mais cela ne dure pas très longtemps car le cinéaste, Cai Shangjun, n’est pas vraiment porté sur la comédie romantique. Son film le plus connu, People Mountain People Sea, pour lequel il avait reçu le Lion d’Argent de la meilleure réalisation en 2011, n’était pas une partie de rigolade. Celui-ci n’est guère mieux. Il chemine vers un dénouement assez abrupt, tragique, même si, d’une certaine façon, apaisé, puisque les personnages obtiennent chacun ce qu’ils attendaient.
Certains jugeront probablement le film trop mélodramatique. Mais s’il est vrai que le scénario a tendance à empiler les situations pesantes, il faut reconnaître au cinéaste et à ses acteurs la volonté de contrebalancer ces excès par une mise en scène sobre, très élégante, et un jeu tout en retenue. Pour Zhang Songwen, ce minimalisme tourne hélas un peu à la caricature. En revanche Xin Zhilei est remarquable dans la peau de Meiyun, femme à la fois forte et fragile, submergée par le sentiment de culpabilité et cherchant désespérément la rédemption. L’actrice, inconnue du public européen est la belle révélation du film.
Par ailleurs, ce côté dramatique assumé sert également de message politique. Il est plutôt audacieux pour un film chinois, car en rupture avec l’image que les autorités cherchent à donner de leur pays sur la scène internationale. Le film se déroule à Guangzhou, où se trouvent la plupart des ateliers textiles du pays, les principaux pourvoyeurs de “fast-fashion”. Cette industrie florissante, dont l’étendard est la marque Shein, est une fierté nationale. Ici, le cinéaste la montre sous un jour plus sombre : qualité déplorable des articles, difficultés financières des fabricants et des commerçants, soumis à rude concurrence. Mais les conditions de vie ne sont probablement guère meilleures dans le reste de la Chine pour les ouvriers ou les petits commerçants. Comme le dit Meiyun à Baoshu, “la vie est difficile partout”. Pour trouver la libération, elle n’a guère d’autre option qu’un acte radical, désespéré.
Austère, parfois éprouvant, The sun rises on us all ne plaira pas à tout le monde. Et même ceux qui l’apprécieront auront besoin de reprendre un peu d’oxygène et de soleil en sortant de la projection. Non, il n’est pas d’un abord facile mais derrière sa noirceur, il impose une forme de beauté grave, tenue par une mise en scène élégante et une interprétation toute en justesse, et un subtil message politique.
Crédits photos : Images fournies par La Biennale Cinema