[Hors Compétition]
De quoi ça parle ?
De deux flics qui enquêtent sur l’assassinat d’un ingénieur informatique spécialisé dans l’IA, dans un Paris futuriste où les clivages sociaux n’ont jamais été aussi forts. Ils découvrent des liens potentiels avec d’autres affaires qui les entraînent autant dans les bas-fonds que dans les hautes sphères, et plus leurs investigations progressent, plus ils se mettent en danger.
Pourquoi c’est un bon chien, ça, ouh c’est un bon chien ?
Quand on parle de cinéma de science-fiction, on pense généralement à quelques films américains, pas vraiment à des films français. Les excursions de notre cinéma hexagonal dans le genre sont très rares ces dernières années, et souvent maladroites, en dehors de quelques exceptions(Renaissance de Christian Volckman ). Aussi, on était curieux de découvrir Chien 51, ambitieuse adaptation du roman de Laurent Gaudé (1). A plus forte raison parce qu’elle est signée par Cédric Jimenez, cinéaste surdoué, auteur de thrillers haletants (Bac Nord, Novembre) et cinéphile passionné, biberonné aux films de genre. S’il y avait un cinéaste capable de relever ce défi, c’était bien lui.
Dès les premières minutes, Jimenez nous plonge au coeur de l’action, retrouvant le terrain du polar urbain qu’il affectionne. Mais il peut ici travailler sur une dimension supplémentaire, procurée par l’univers imaginé par Laurent Gaudé, celle d’une dystopie sociale. L’intrigue du roman a cependant été remaniée, et relocalisée en France, dans un futur proche. Paris est toujours la capitale du pays. La Tour Eiffel est le symbole de son prestige passé. Mais désormais, peu de personnes peuvent profiter de sa beauté. La ville est divisée en trois zones, abritant chacune des classes sociales différentes.
La zone 1 est celle des élites et du pouvoir. Elle correspond au centre de Paris et aux beaux quartiers, abritant le Président de la République et les différents ministres, dont le très médiatique Ministre de l’Intérieur (Romain Duris). C’est une zone entièrement baignée dans le luxe et la haute technologie puisqu’elle bénéficie de la technologie ALMA, une IA de pointe qui irrigue toutes les inventions de pointe, dont le système qui aide la police à traquer les criminels. La zone 1 est survolée par des drones policiers et fermée hermétiquement par des checkpoints très surveillés, qui garantissent aux nantis une parfaite sécurité. Du moins, c’était le cas avant l’assassinat du créateur d’ALMA, qui est venu ébranler la sérénité de la population.
En zone 2, on trouve les classes moyennes. Le niveau de vie est correct, mais loin de celui de la zone 1, qui reste un rêve inaccessible pour la plupart des gens ; il y a même un jeu de téléréalité qui permet au gagnant de partir vivre dans les beaux quartiers. C’est là que l’on trouve les services publics, dont le commissariat central où travaille Salia (Adèle Exarchopoulos), une femme-flic ambitieuse et respectueuse de la hiérarchie.
La zone 3, enfin en périphérie de la ville et étendue à la banlieue, est celle des classes défavorisées, qui vivent dans des cités HLM délabrées ou des bidonvilles. C’est la zone des marginaux, des voyous, des dealers et des drogués, que Zem (Gilles Lellouche), un flic usé, est chargé de canaliser.
Cédric Jimenez n’a besoin que de quelques plans pour camper le décor, prenant visiblement plaisir à imaginer ce Paris futuriste, à la fois très proche et radicalement différent. Le cinéaste réussit aussi à nous donner immédiatement les grandes lignes de l’intrigue et ses enjeux.
On comprend que cette partition de la capitale, version ultime de la fracture sociale, ne plaît pas à tout le monde. Un groupe d’activistes mené par Jon Gafram (Louis Garrel) est soupçonné d’être derrière l’attentat. Mais l’urgence est d’abord de mettre la main sur le tireur qui a réussi à se faufiler en zone 3.
C’est pour cela que Zem se retrouve contraint à faire équipe avec Salia. Leurs relations sont d’abord marquées par une certaine hostilité, du fait de leurs caractères complètement différents. Zem, auquel Gilles Lellouche apporte un mélange crédible de cynisme et de désenchantement, est un type blasé, rétif à l’autorité et la hiérarchie. Il est toujours en retard, insolent et indolent. Salia, campée avec énergie par Adèle Exarchopoulos, est au contraire un bon petit soldat, qui s’attache à faire les choses bien pour pouvoir conserver sa place en zone 2 ou avoir une opportunité de passer en zone 1.
Evidemment, à mesure que l’enquête avance, le duo commence à nouer des relations plus cordiales car au fond, ils sont tous deux épris de vérité, de justice et de liberté. L’alchimie se fait entre les deux comédiens, qui se connaissent bien pour avoir partagé l’écran dans Bac Nord, déjà sous la houlette de Cédric Jimenez, puis collaboré sur l’Amour ouf. Cette complicité aide à suivre jusqu’au bout les péripéties des personnages, embarqués dans une intrigue qui les dépasse.
Certains s’agaceront peut-être, au contraire, de ne pas pouvoir s’accrocher au scénario, moins tortueux qu’on pouvait le penser, et dont on devine un peu vite, hélas, les principaux rebondissements. Le cinéaste et son coscénariste, Olivier Demangel, ont lissé les aspects les plus sombres du roman et ont recentré la trame sur une thématique plus “simple”, assumant de proposer un thriller spectaculaire, accessible au grand public. Pour autant, la réflexion développée par le film n’en est pas moins pertinente. Transposé dans ce contexte, Chien 51 montre de façon crédible ce que pourrait devenir la France dans un futur proche : un état totalitaire qui oppresse les individus; une société fracturée, où les plus riches sont enfermés dans leur tour d’ivoire et les plus pauvres contraints de se battre pour leurs miettes ; un univers où la technologie prend une place importante, avec des risques amplifiés de dérives (manipulation de l’information, perte de contrôle, déshumanisation de la société…). C’est une oeuvre qui, à sa façon, tire le signal d’alarme et invite le spectateur à réagir avant qu’il ne soit trop tard. Une oeuvre politique, derrière une apparence de divertissement bien mené. Il s’agit assurément d’un vrai film d’auteur, qui s’inscrit dans la logique de la filmographie de Cédric Jimenez. Son premier film de fiction, Aux yeux de tous, était déjà un thriller anxiogène s’appuyant sur la technologie, puisque toutes les scènes étaient captées par des caméras de surveillance. La French, HHhH, Bac Nord et Novembre dépeignaient tous des univers sous tension, soumis à des pressions politiques, militaires ou mafieuses. Ils ont tous pour protagonistes des anti-héros en lutte contre une puissance qui les dépasse. Chien 51 s’inscrit dans cette lignée, et vient apporter d’autres éléments de réflexion sur nos sociétés troublées.
Il serait donc malvenu de bouder son plaisir. Pour une fois qu’un film d’anticipation français réussit à proposer un univers aussi cohérent, avec des effets visuels crédibles, on ne peut que lui témoigner un certain respect, tout comme on peut saluer la mise en scène de Cédric Jimenez, aussi à l’aise dans les scènes d’action que dans les scènes plus intimistes. Mouvements de caméra élaborés, prises de vue audacieuses, plans-séquences fluides… Sa maîtrise technique, entrevue dans ses précédents films, semble encore franchir un cap. Que l’on adhère ou pas à l’intrigue, que l’on trouve l’adaptation ratée ou réussie, c’est avant tout du bon cinéma. Oui, Chien 51 est un bon chien. Un vrai chien de race.
(1) : « Chien 51 » de Laurent Gaudé – éd. Actes Sud
Crédits photos : Copyright 2025 – Chi-Fou-Mi Productions- Studiocanal – France 2 Cinéma – Jim Films