[Venise 2025] “A House of dynamite” de Katheryn Bigelow

Par Boustoune

[Compétition Officielle]

De quoi ça parle?

De l’agitation qui gagne subitement différents services de défense et de sécurité nationale des Etats-Unis, après qu’un radar a identifié un missile de provenance indéterminée, potentiellement tiré depuis la Corée du Nord, la Russie ou la Chine – donc possiblement nucléaire – et se dirigeant vers le sol américain.
Les analystes se demandent s’il s’agit d’un exercice, comme il s’en produit parfois, mais il est rapidement établi que la menace est réelle. Le niveau de sécurité Defcon-2 est déclenché. Le président est envoyé en lieu sûr, et doit se préparer à des choix cruciaux, impliquant le recours à la frappe nucléaire. Des cellules de crise sont créées. Certains activent les réseaux diplomatiques pour démêler la situation, d’autres planchent sur la stratégie de défense ou sur l’alerte des autorités dans les régions du point d’impact, pour préparer l’évacuation des civils et organiser les services de secours. Tous les ingénieurs essaient d’affiner leurs prévisions sur la cible du missile. Pourrait-il tomber dans une zone peu habitée ? Pourrait-il au contraire rayer de la carte une grande métropole ? Saint-Louis ? Boston? Chicago? Conscients du danger, les services de défense décident d’intercepter le missile avec leurs armes anti-missiles, mais à une telle vitesse de tir, les chances d’interception sont très limitées. Il faut aussi se préparer au pire. Au-delà du sort des habitants de la ville ciblée, c’est la survie de l’humanité qui est en jeu. Une attaque de ce type sur le sol américain, c’est une déclaration de guerre. Et cela signifie probablement une guerre nucléaire globale. Avec toutes les armes nucléaires à disposition des potentiels belligérants, il y a de quoi faire sauter plusieurs fois la planète. Pas sûr qu’il y ait un “gagnant”, dans ces conditions, et celui qui frappera le premier aura un avantage certain sur les autres.

Pourquoi on hésite entre la bombe et le pétard mouillé ?

Ah, merci bien, Katheryn Bigelow ! Merci de chercher à nous faire flipper en nous rappelant que nous sommes assis sur une poudrière, qu’il suffirait que n’importe quel illuminé doté de missiles à longue portée appuie sur le bouton pour déclencher, par une réaction en chaîne, une apocalypse nucléaire. Avec tout l’arsenal stocké à droite à gauche, l’humanité serait balayée en une dizaine de minutes. A une époque, comme le précise l’intertitre inaugural, les nations avaient eu l’intelligence de signer un accord de non-prolifération, de façon à réduire les risques de dérapage. Hélas, vu le climat de tension qui règne sur la planète, les va-t-en-guerre au pouvoir dans de nombreux pays et les efforts de certaines puissances pour se doter elles-aussi d’armes nucléaires, ceci est de l’histoire ancienne. Heureusement, pour le moment, la dissuasion fonctionne, personne n’ayant osé franchir la ligne rouge. Mais voilà que la cinéaste imagine le scénario catastrophe : un missile lancé vers les Etats-Unis, potentiellement dévastateur et annonciateur de la fin du monde.

Comme un missile progresse à une vitesse très rapide, c’est imminent. Impact programmé dans une vingtaine de minutes.
Alors, le temps de réaction des différents organismes doit être immédiat. Les personnages courent partout, s’agitent, multiplient les appels téléphoniques. La caméra à l’épaule, qui suit les protagonistes, et le montage serré ajoutent à cette effervescence et cette impression d’urgence.
Ils communiquent avec des acronymes militaro-politiques (PEOC, ICBM, SSNB, STRATCOM, DEFCON et le fameux POTUS), qu’il vaut mieux comprendre tout de suite s’ils veulent avoir une chance d’éviter l’apocalypse.
Evidemment, vingt minutes, cela fait un peu court pour un long-métrage. Alors, Katheryn Bigelow a eu la bonne idée de découper le récit en trois chapitres qui abordent la même crise, avec les mêmes jalons, mais sous des angles différents. Cela lui permet de montrer que, dans tous les services concernés par la gestion de crise, c’est la même angoisse et la même sidération. Bien que préparés à l’idée de cette guerre totale, on a l’impression qu’aucun des hauts-gradés, qu’aucun des analystes et pas même le président, n’avait vu venir la catastrophe. Mais cela veut dire, également, que le spectateur est plongé trois fois dans le même chaos. Autant le dire tout de suite, l’expérience n’est pas plaisante.

Consciente de cela, la cinéaste essaie malgré tout d’aérer son récit avec de petites pauses, durant lesquelles elle tente de donner un peu d’âme à ses personnages. Tous ces protagonistes sont des humains avant d’être des experts en armement nucléaire ou en géopolitique. Alors, ils réagissent en humains, c’est à dire assez bêtement. Appeler ses proches pour leur dire de rouler sans s’arrêter vers l’ouest, c’est complètement à l’ouest. En vingt minutes, avec les feux rouges et les bouchons, tu ne vas pas bien loin. Un petit coup de fil à un proche pour lui dire qu’on l’aime, entre un appel au chef des armées russes et une conférence avec le président américain, ça se tente? Un petit break pour contempler un jouet en plastique alors que vous devez coordonner toute une batterie de missiles anti-missiles, il faut bien ça…
L’ensemble du film est construit comme cela, alternant chaos et séquences mièvres. On a le droit de trouver tout cela insupportable, d’autant que la cinéaste enfonce un peu des portes ouvertes. On sait très bien que les armes nucléaires font peser une menace sur l’humanité, et qu’une troisième guerre mondiale risquerait bien d’être la “der des der”. Avec tout ce qu’il se passe sur la planète, les enjeux nous sont rappelés fréquemment. Les dangers de voir des tyrans utiliser la puissance nucléaire, également. Mais la dissuasion nucléaire est aussi ce qui empêche les peuples de se taper dessus à la moindre occasion, puisque les leçons des précédentes guerres n’ont pas été retenues… Alors le message de la cinéaste sur la non-prolifération est discutable.

Ce qui est plus intéressant, c’est l’audace avec laquelle elle démonte le mythe de la toute-puissance américaine. Certes, le pays possède une force de frappe impressionnante, un réservoir de soldats important, des outils de surveillance de pointe. Il peut compter sur des alliés un peu partout dans le monde, du moins il le pouvait, avant que l’occupant de la Maison Blanche ne multiplie les déclarations et les actes hostiles. Et il semble inconcevable qu’une autre nation ose attaquer la première puissance mondiale.
Mais est-ce si inconcevable que cela ? Des pirates de tous pays tentent de prendre le contrôle d’infrastructures militaires. Des pays comme la Corée du Nord tentent d’améliorer la portée de leurs missiles et font régulièrement des tests pour cela. Des pays comme l’Iran ou certains pays du Golfe tentent potentiellement de se doter à leur tour de l’arme nucléaire. Autant de menaces potentielles, qu’il convient de ne pas prendre à la légère. Et que se passerait-il si une attaque avait lieu sur le sol américain ? Les moyens de défense, très coûteux seraient-ils suffisants ? Le temps de mobilisation et de réaction serait-il suffisant ? Un simple missile est capable de provoquer la panique, alors des centaines ?
Les trois chapitres montrent toutes les difficultés que générerait une telle situation, même avec une organisation solide et des décisions stratégiques rapides. Le film met en garde sur le fait que les Etats-Unis ne sont pas prêts à une crise de ce type, et que le pire danger vient probablement du coeur même du pouvoir. Le président serait tenu de réagir immédiatement, riposter pour que le pays ait une chance de survivre en cas de conflit nucléaire global. Mais il devrait choisir la bonne cible à l’aveugle, au risque de déclencher lui-même la fin du monde.

Même si on peut émettre quelques réserves sur la forme de A House full of dynamite, il faut reconnaître que le message qu’il véhicule est passé et bien passé. Et il est terrifiant. Oui, nous vivons sur une “poudrière”, une maison “pleine de dynamite”. Il est à craindre qu’un jour, tout explose, à cause de la folie des hommes. Et personne ne pourra empêcher cela. Espérons que ce jour ne viendra pas trop tôt…

Crédits photos : Netflix 2025 – images fournies par La Biennale Cinema