[Venise 2025] “The Voice of Hind Rajab” de Kaouther Ben Hania

The voice of Hind Rajab affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

D’une unité du Croissant-Rouge basée à Ramallah, confrontée à toute l’horreur du conflit israélo-palestinien et au manque de coopération des autorités israéliennes pour permettre l’assistance aux civils.

The Voice of Hind Rajab tourne entièrement autour d’une situation particulière, survenue le 29 janvier 2024 dans la bande de Gaza.
Le standard du Croissant-Rouge de Ramallah reçoit l’appel d’un homme inquiet pour ses proches, qui habitent au nord de la ville de Gaza. En réaction aux attaques du 7 octobre 2023, perpétrées par le Hamas en Israël, Tsahal a lancé une opération massive dans la bande de Gaza, afin de libérer les otages et de traquer les commanditaires de ces actes barbares. Mais ces manoeuvres militaires ont des conséquences dramatiques pour les civils habitant la région. Chacune occasionne des déplacements de population,  des destructions de bâtiments, des blessés et des morts.
L’interlocuteur est angoissé. Il sait que ce jour-là, l’armée israélienne avait demandé aux civils d’évacuer le quartier et se demande si ses proches ont pu se mettre à l’abri ailleurs.

Omar (Motaz Malhees) se charge d’appeler le numéro de mobile que son interlocuteur lui a donné. Une voix d’enfant lui répond. Elle s’appelle Hind Rajab. Elle a six ans. Elle est seule, et dans une situation périlleuse.
Omar et sa collègue Rana (Saja Kilani) tentent de la rassurer et d’essayer d’entamer le dialogue. Ils comprennent que la fillette se trouve dans une voiture qui a été attaquée par un tank israélien et qui essuie encore des tirs. Autour d’elle, tous les occupants de la voiture « dorment ». La fillette est la seule à être encore en vie, traumatisée et de plus en plus apeurée.
Illico, les standardistes demandent une intervention de leurs collègues à Gaza. Une ambulance est présente à seulement huit minutes de la fillette. Mais pour leur supérieur, Mahdi (Amer Hlehel), il est hors de question de l’envoyer sans avoir sécurisé le parcours au préalable, ni obtenu toutes les autorisations officielles. Il s’agit de la dernière ambulance du Croissant-Rouge encore en service à Gaza. Les autres secouristes ont tous été tués durant des interventions et il est hors de question de mettre en danger d’autres hommes et femmes de valeur.
Avant de pouvoir faire quoi que ce soit, il doit analyser la situation, demander un itinéraire sécurisé pour que l’ambulance puisse progresser dans cette zone de guerre, puis, une fois l’itinéraire validé, négocier avec les autorités israéliennes pour que l’évacuation des victimes se déroule sans problème. Tout cela prend du temps, beaucoup de temps, pendant lequel les standardistes, impuissants, tentent tant bien que mal de rassurer la petite fille. Mais plus le temps passe, plus les chances de la sauver s’amenuisent.

Pourquoi on reste sans voix?

Comme pour son précédent film, Les Filles d’Olfa, Kaouther Ben Hania entrelace réalité et fiction.
Ici, la part de la fiction est importante. Ce qui se déroule dans les locaux du Croissant-Rouge est en grande partie inventé, et les personnages sont tous joués par des acteurs professionnels. Les situations ont été scénarisées et simplifiées pour se focaliser sur l’essentiel – difficile de croire que l’organisme ne se focalise que sur un seul sauvetage, alors que la bande de Gaza est sous le feu des soldats israéliens, ou que les membres du groupe s’opposent de manière aussi frontale.
Mais s’il s’agit d’une fiction, ce qui sert de coeur au récit, les discussions entre les standardistes et Hind Rajab, sont des éléments réels, issus des enregistrements du Croissant Rouge. Et l’histoire tragique de cette petite palestinienne est, hélas, bien réelle.

L’idée de la cinéaste, c’est de ne surtout pas reconstituer le drame, juste de laisser la voix de Hind Rajab le raconter. Les acteurs réagissent à sa détresse, à la description qu’elle fait du chaos qui l’entoure et de sa famille décimée. Ils sont évidemment horrifiés par la situation, complètement désemparés par leur impuissance à accélérer les choses, alors que l’ambulance n’est qu’à huit minutes de là. Ils tressaillent à la moindre rafale de mitrailleuse. Leur réaction sert de miroir au spectateur. Comment ne pas être bouleversé par cette histoire ? Comment ne pas être révolté par la barbarie des soldats et par la haine froide des dirigeants qui commanditent ces opérations ? Comment ne pas désespérer de voir ce conflit absurde finir un jour ?

Evidemment, la question est politiquement sensible. Certains spectateurs trouveront peut-être que le film est manipulateur, qu’il n’utilise ce drame que pour les gagner à la cause palestinienne, en occultant tout le contexte. Mais dans cette 82e Mostra de Venise, il est beaucoup question de vérités et de mensonges, de versions alternatives d’une même histoire, de propagande et de rétablissement de certaines vérités. C’est le cas notamment dans Le Mage du Kremlin, dans lequel Olivier Assayas met à mal la communication de Vladimir Poutine. Ici, la voix de Hind Rajab vient contrebalancer celle de Benyamin Netanyahou qui, dans ses conférences de presse ou ses allocutions, a une fâcheuse tendance à réinterpréter la réalité. Ses discours minimisent systématiquement l’impact des opérations militaires sur les civils gazaouis et les justifient par la traque des terroristes du Hamas.
Là, il lui sera difficile de nous faire croire que cette fillette de six ans avait un quelconque lien avec le Hamas. Sa famille essayait juste d’évacuer la zone, comme demandé par les soldats. Pour bien enfoncer le clou, la cinéaste finit par montrer une vraie photo de famille, fournie par des proches des victimes. On y voit des gens ordinaires, souriants et paisibles. Pas des terroristes. En tout cas pas plus que les journalistes, les pompiers, les secouristes ciblés par les soldats de Tsahal…  Kaouther Ben Hania nous donne aussi à voir ce qu’il reste de la voiture. Son état est éloquent. Là, le réel s’impose, dans toute sa brutalité. Pas besoin de manipulation pour voir de quel côté sont la haine et la violence.
Rappelons juste que Monsieur Netanyahou est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, sous le coup d’un mandat d’arrêt international.

Allons plus loin en affirmant que le travail de Kaouther Ben Hania est ici inattaquable d’un point de vue éthique. L’utilisation d’un document réel comme fil rouge du récit l’ancre dans une réalité indéniable. Il permet de laisser l’horreur hors champ, donc d’éviter toute complaisance. Le contexte est celui du conflit israélo-palestinien, bien sûr, mais le drame aurait pu arriver partout ailleurs où des civils meurent à cause de la folie des hommes. La réaction des protagonistes face à une situation aussi terrible est juste celle que chacun d’entre nous devrait avoir. Choc, rejet, colère et une infinie tristesse.

Crédits photos : Images fournies par La Biennale Cinema