[Venise 2025] “The Testament of Ann Lee” de Mona Fastvold

Par Boustoune

[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

De la vie d’Ann Lee (Amanda Seyfried), la leader des Shakers. Non, ce n’est pas un groupe de rock des années 1960…
Ann naît en 1736 dans à Manchester, dans une famille pauvre de Quakers, une fratrie de huit enfants. La jeune fille ne reçoit aucune éducation scolaire, mais est très pieuse et vertueuse. Elle trouve auprès de Jane Wardley (Stacy Martin) et son mari James, une nouvelle voie pour explorer sa foi. Ceux-ci sont les fondateurs d’une secte dissidente du mouvement Quaker, appelée les “Shaker-Quakers”. Les bases religieuses sont les mêmes, mais les membres du groupe pensent qu’il est possible de se purifier du péché en tremblant, dansant et chantant.
Après un mariage un peu forcé et quatre fausses couches, Ann reçoit l’illumination. Le message de Dieu est clair : il ne peut y avoir de salut sans renoncer totalement au péché de la chair. Elle décide donc de se refuser totalement à son mari et incite les personnes autour d’elle à partager cette croyance. Plusieurs membres de la secte, dont son frère William (Lewis Pullman) voient en elle un nouveau guide spirituel et décident de suivre ses préceptes radicaux. Evidemment, les communautés Quakers ne voient pas d’un très bon oeil cet appel au rejet du devoir conjugal, pas plus que la remise en question de la société patriarcale.
Lassée de tous ces empêcheurs de shaker en rond, Mother Ann décide finalement d’emmener ses ouailles en Amérique, dans le Nouveau Monde, pour y fonder une communauté, dont l’emplacement sera guidé par les visions divines des membres du groupe.

Pourquoi on est remués ?

Pour être honnête, de tous les films présentés à la 82e Mostra de Venise, The Testament of Ann Lee n’est pas celui dont le sujet nous attirait le plus. Un film de 2h15 sur une communauté de Quakers du XVIIIe siècle, qui plus est adeptes de transes mystiques où ils tremblaient et se secouaient comme des danseurs de twist parkinsoniens, ce n’est pas très sexy. Notre réaction face à ce synopsis était à peu près la même que celle de Jean-Pierre Bacri quand Agnès Jaoui évoque le sujet de sa thèse (les Chevaliers paysans de l’an Mil au Lac de Paladru) dans On connaît la chanson : ça intéresse quelqu’un, ce truc ?
Autre sujet d’interrogation : la présence de la belle Amanda Seyfried dans le rôle-titre. Au vu du portrait de la véritable Ann Lee, cela avait tout de l’erreur de casting.
En même temps, on était impatients de découvrir la nouvelle collaboration du couple Mona Fastvold/Brady Corbet. L’an passé, le duo avait cosigné le scénario de l’excellent The Brutalist, réalisé par Monsieur. Cette année, ils réitèrent donc ce travail de duettistes, mais c’est Madame qui est derrière la caméra. Et comme son précédent film, The world to come, en compétition ici en 2020, nous avait laissé une bonne impression, on était prêts à tenter l’aventure.

On entre le film d’abord grâce à son ambiance visuelle. Les plans composés par Mona Fastvold et William Rexler, jouent sur les clairs-obscurs, les couleurs, pour évoquer des tableaux rococo de l’époque. Ceci permet à la cinéaste de venir contrebalancer par une certaine douceur la noirceur crasseuse de son décor. L’endroit le plus lumineux et chaleureux, comme un cocon, est la maison des Wardley, où une petite communauté de fidèles peut prier et se recueillir. C’est là qu’Ann Lee découvre les cérémonies de “shaking”. Un membre doit se confesser de ses péchés et les laisser sortir de son corps en se remuant, pendant que les autres membres de la secte poussent des râles et se mettent eux aussi à gesticuler.
Cela pourrait vite devenir assez grotesque et insupportable, si la curieuse sarabande ne devenait subitement plus harmonieuse. Le rituel se transforme en effet en un vrai numéro, comme dans une comédie musicale de Broadway.
C’est un choix délibéré, assumé : The Testament of Ann Lee est bien une comédie musicale. Singulière, certes, et moins grand public que “Le Roi Lion” ou “Cats”. Mais cela fonctionne. L’idée audacieuse, c’est d’avoir utilisé les chants traditionnels religieux comme une base pour les chansons. Daniel Blumberg a utilisé des hymnes quakers qu’il a remixé avec une multitude de sons, de choeurs discordants, qui viennent finalement se fondre en une masse plus harmonieuse par la grâce du chant principal. On remercie Dieu d’avoir créé Amanda Seyfried, dont la voix d’ange porte ces mélopées. Et on comprend mieux l’idée du casting – tant pis pour la vérité historique. Si Noomi Rapace a incarné Mère Teresa, tout est possible.
Les chorégraphies sont elles aussi calquées sur les gesticulations des Quakers et là encore, c’est souvent l’élément central de l’image – Ann Lee – qui permet d’ordonner ce chaos et en faire quelque chose de beau et lumineux.
On se laisse envoûter par ce flux d’images et de sons, ces numéros musicaux qui viennent ponctuer le récit et permettre à Mona Fastvold de dresser le portrait de cette femme inspirante. Ann Lee était peut-être un peu “secouée” – dans le sens perturbée psychologiquement, si vous nous permettez l’expression – mais elle était aussi un leader charismatique, qui fédérait sa communauté et la guidait au milieu des épreuves. A cette époque, dans un contexte traditionaliste et patriarcal, c’était assez extraordinaire. Ses vues sur l’égalité entre hommes et femmes, l’imminence d’une deuxième venue du Christ – cette fois-ci sous la forme d’une femme – et le sexe de Dieu, mi-homme mi-femme ou non-genré, étaient également assez révolutionnaires pour l’époque.

Malheureusement, le miracle ne dure qu’un temps. 2h15 sur ce modèle-là, c’est un peu long, surtout avec un style musical n’autorisant que peu de variantes rythmiques et des danses peu variées. Au bout du troisième numéro, on commence à se lasser. Bien sûr, il faut un minimum de temps pour raconter une vie – même si Ann Lee n’a pas vécu très âgée – les trois grands chapitres qui la composent (la fille, la femme, la mère) et les quelques péripéties marquantes de son parcours. Mais quelques coupes ça et là, notamment dans des passages musicaux redondants, aurait probablement amélioré la fluidité de l’ensemble et permis au film d’émouvoir davantage.
On sort du film un peu remués, plus par l’expérience en elle-même, éreintante, avec ses hauts et ses bas, ses expérimentations sonores, que par le sort des personnages ou la pureté de la foi d’Ann Lee. On avait eu un peu la même frustration devant The world to come, pétri de qualités, mais un peu trop sec émotionnellement. Mais il convient toutefois de saluer l’audace de Mona Fastvold, qui ne signe jamais d’oeuvres “faciles” et formatées. The Testament of Ann Lee n’est pas forcément conçu pour toucher le grand public, mais est de ces oeuvres qui divisent, provoquent des débats, animent les files d’attentes des festivals de cinéma.

Crédits photos : Image fournie par La Biennale Cinema