[Venise 2025] “Le Mage du Kremlin” d’Olivier Assayas

Le Mage du Kremlin affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

De l’ascension au pouvoir de Vladimir Poutine, en Russie, à la fin des années 1990, de la politique autoritaire qu’il a menée jusqu’à aujourd’hui et des nombreux conflits qu’il a générés, en Tchétchénie, en Crimée, dans le Donbass…
Elle est racontée à un journaliste américain (Jeffrey Wright) par Vadim Baranov (Paul Dano), qui a été l’éminence grise (fictive) du Président Russe pendant plus de vingt ans.

Dans les années 1980, Baranov est un étudiant avide de liberté, comme presque tous les jeunes de sa génération. Il ne veut surtout pas suivre le même chemin que son père, fonctionnaire servile du régime soviétique. C’est avec grand intérêt qu’il découvre la politique de perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, assiste à la chute du Mur de Berlin, la fin de la Guerre Froide et l’émergence d’un groupe d’oligarques souhaitant profiter du chaos pour défendre leurs intérêt. Intelligent et ambitieux, le jeune homme comprend que l’époque est désormais à la communication et devient producteur de télévision, ce qui lui permet de se rapprocher des personnages-clés de la Russie post-soviétique. Ceux-ci ont placé un pantin au pouvoir, Boris Eltsine, pour pouvoir bénéficier de décisions favorables à leur business. Mais quand l’image et la santé d’Eltsine commencent à se dégrader, ils cherchent à trouver un nouvel homme de paille. Ils pensent l’avoir trouvé en la personne de Vladimir Poutine. Pour eux, cet homme discret, membre du KGB, saura  être un bon petit soldat sans histoires, facilement manipulable. Baranov est chargé de travailler à son image et sa communication, et Poutine comprend vite qu’il a des idées brillantes, en phase avec ses propres aspirations. Il est notamment séduit par ses théories sur le pouvoir, et l’idée que le peuple russe attend un leader fort, capable de redonner à l’Empire Russe sa grandeur passée et de maintenir l’ordre dans le pays. Beaucoup plus intelligent et fin que prévu, Poutine s’affranchit de la tutelle encombrante des oligarques dès sa prise de pouvoir et fait de Baranov son conseiller exclusif.
Celui-ci devient l’un des rouages centraux du pouvoir, au service du nouveau “Tsar” et de la mise en place d’une politique particulièrement autoritaire, aussi brutale que celle du régime soviétique stalinien, mais avec l’apparence d’une “démocratie souveraine”.
Un personnage résume bien la chose, “il y a autant de différence entre la  démocratie et la “démocratie souveraine” de Poutine qu’entre une chaise et une chaise électrique”…
On connaît la suite, dont les derniers chapitres continuent à agiter la planète…

Pourquoi on trouve le film utile ?

Justement parce qu’il permet de rappeler ce qu’est la vision du monde de Vladimir Poutine et toutes les actions qu’il a menées jusqu’alors pour arriver à ses fins. Certains dirigeants de la planète – notamment le président de la première puissance mondiale – semblent ignorer que Poutine, nostalgique de l’Union Soviétique et de la Guerre Froide, cherche à regagner le terrain cédé avec l’effondrement de l’URSS. Il est hostile à l’Union Européenne, à l’OTAN. C’est un dictateur qui s’accroche au pouvoir depuis plus de vingt-cinq ans, grâce à des parodies d’élections démocratiques, l’élimination systématique de tous les opposants politiques sérieux et la manipulation des médias. Dans un monde où la désinformation est reine, il est parfois bon de rétablir certaines vérités, même par le biais d’une fiction.

Le Mage
 du Kremlin est en effet adapté d’un roman, signé par Giuliano da Empoli (1). Et si de nombreux personnages cités dans le récit sont bien réels (Yevgeny Prigozhin, Dimitry Sidorov, Sergueï Lavrov…), Vadim Baranov n’existe pas. Il s’inspire cependant très fortement de Vladislav Sourkov, l’un des conseillers de Vladimir Poutine, et d’autres personnages influents, partout sur la planète, ayant compris l’importance des média pour permettre aux hommes politiques de prendre ou conserver le pouvoir. L’auteur du texte original sait de quoi il parle, puisqu’il a lui-même été conseiller politique, au service du Président du conseil italien, Matteo Renzi.
Au-delà du simple cas de Vladimir Poutine, le film d’Olivier Assayas invite donc à analyser le monde avec un peu de recul, pour identifier d’autres tentatives de manipulation de l’opinion, d’autres discours favorisant la montée des dictatures et des régimes autoritaires, sous couvert de démocratie. Il cite deux écrivains visionnaires, ayant compris avant l’heure les maux de notre époque : George Orwell, côté occidental, avec son roman “1984”, et Evgueni Zamiatine, côté russe, avec “Nous autres”. Leurs prophéties sont en train de se réaliser : montées de totalitarisme et de nationalisme, contrôle des médias, surveillance des individus, uniformisation de la pensée, multiplication des conflits pour faire monter la peur et justifier le besoin d’un état fort. Le constat est aussi terrifiant que le dénouement du récit.

Paul Dano est parfait dans la peau de ce jeune homme brillant, intelligent, qui se laisse happer par un système qui le dépasse et l’ambition vorace d’un homme redoutable. Avec son jeu atone, il parvient à exprimer aussi bien la froide intelligence d’un homme qui a tout compris de la manipulation et des jeux de pouvoirs, que la triste résignation d’être devenu, comme son père, un larbin au service d’une dictature, loin de ses rêves de liberté. Ksenia, son ancienne petite amie de jeunesse, symbolise au contraire cette liberté. Elle passe son temps à aller d’un coin à l’autre de la planète, des bras d’un homme à un autre, selon ses envies. Alicia Vikander lui prête ses traits doux et mutins. Elle est également remarquable dans ce rôle.
Mais on retiendra surtout la performance de Jude Law, qui campe un Vladimir Poutine plus vrai que nature, empruntant ses gestes, sa démarche, sa posture et même son regard glaçant.

Lors de son précédent passage en compétition à la Mostra de Venise (avec Cuban Network), Olivier Assayas n’avait pas fait forte impression. Le Mage du Kremlin nous fait meilleure impression. Tout n’est pas parfait, loin de là. La mise en scène se montre peut-être un peu trop sage. On note ça et là quelques longueurs et des baisses de régime qui s’expliquent par la structure du récit, reposant presque exclusivement sur des discussions. Mais c’est une belle adaptation et une oeuvre subtilement politique, utile sur le fond, qui restitue la chronologie exacte des faits historiques et explique bien les enjeux.

(1) : « Le Mage du Kremlin » de Giuliano da Empoli – coll Blanche – éd. Gallimard

Crédits photos : Carole Bethuel – images fournies par La Biennale Cinema