[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
Comme le titre l’indique, de la célèbre histoire de Victor Frankenstein, chirurgien génial mais tourmenté, et de sa créature, telle que Mary Shelley l’a contée dans son roman en 1818 (1).
Pourquoi on n’a pas le coup de foudre ?
Quand on pense à Frankenstein, on pense forcément au film de James Whale, avec Boris Karloff dans le rôle de la créature. Daté de 1934, ce long-métrage est considéré comme un classique du genre, un classique du cinéma tout court. Mais cette version centrée autour de la créature et la panique qu’elle crée au sein de la population d’un petit village est une adaptation très libre du roman initial de Mary Shelley.
Kenneth Branagh avait signé une version plus fidèle à l’oeuvre littéraire, en 1994, mais n’avait pas reçu un accueil très chaleureux, ni marqué les esprits. Guillermo Del Toro s’y essaie à son tour, optant lui aussi pour une adaptation fidèle à l’oeuvre littéraire. La structure démarre par un prologue, où l’équipage d’un bateau en route pour le pôle nord, pris dans les glaces, découvre sur la banquise le corps de Victor Frankenstein (Oscar Isaac) grièvement blessé. Il est poursuivi par une créature monstrueuse (Jacob Elordi), d’une force impressionnante. L’équipage réussit à la tenir à l’écart et Victor est emmené dans la cabine du capitaine, où il peut raconter son histoire, qui constitue le premier chapitre du film, le plus développé.
Il y raconte son enfance, les brutalités infligées par un père élitiste et autoritaire, lui enseignant la médecine à la dure. En réaction à la mort de sa mère, Frankenstein décide de devenir le meilleur des chirurgiens, capable de défier la mort en réanimant la chair des défunts. Avec l’aide d’un mécène intrigué par ses travaux (Christoph Waltz), il réussit à donner vie à une créature humanoïde imposante, fabriquée avec des morceaux de cadavres. Mais il est frustré par le résultat. La créature n’apprend pas vite. Son vocabulaire reste limité. Sans en avoir conscience, Victor adopte le même comportement que son père, martyrisant sa création. Jusqu’à avoir envie de réduire à néant le fruit de ses recherches.
La seconde partie est centrée, comme dans le roman, sur le point de vue de la créature. Avant de déboucher sur la conclusion, ultime face-à-face entre Frankenstein et son “fils”.
Cette fidélité au roman est une démarche louable, mais elle induit une oeuvre assez corsetée, différente des nombreux films dérivés du classique de 1934, et probablement différentes des attentes des spectateurs. Passé le prologue spectaculaire, où la créature, impressionnante, emmitouflée comme une momie, décime une bonne vingtaine de matelots et menace de faire chavirer le bateau pourtant piégé dans les glaces, le film ne procurera aucun frisson d’épouvante. Ni de plaisir, hélas…
Il se mue en un mélodrame romantique un brin longuet, autour de l’enfance de Victor et la mort traumatisante de sa mère, puis des liens troubles que le chirurgien entretient avec Elizabeth (Mia Goth), la fiancée de son frère, et évidemment, la relation tumultueuse de Frankenstein et de la créature, son “fils” monstrueux. Seule la scène de la naissance de ce dernier, une nuit de tempête et d’orages, vient redonner un peu de jus à tout cela – pardonnez-nous l’expression…
Le principal reproche que l’on peut faire au film de Guillermo Del Toro, c’est qu’il manque un peu d’âme et d’intensité dramatique. On ne s’ennuie pas vraiment, mais on ne peut pas dire non plus que le récit nous emporte. La faute à des péripéties convenues et des comédiens pas forcément très à l’aise. Oscar Isaac livre une performance correcte, mais loin d’être inoubliable dans le rôle-titre. Christoph Waltz joue les utilités, son personnage n’étant pas vraiment important. Mia Goth, qui nous avait enthousiasmés dans Pearl, il y a quelques années à la Mostra, ne semble pas à sa place dans la peau d’Elizabeth. Les seules scènes où elle parvient à s’exprimer sont celles où Elizabeth essaie d’apprivoiser le “monstre”, nouant une relation entre désir et curiosité. Mais elles sont rares, hélas, trop diluées dans ce récit-fleuve, et elles n’ont pas la magie des scènes entre la Sally Hawkins et la créature amphibie de La Forme de l’eau, Lion d’Or 2017. Jacob Elordi est le seul qui tire à peu près son épingle du jeu, réussissant à la fois à faire de la créature une entité inquiétante, menaçante, et un être plus sensible qu’il n’y paraît.
Le film est sauvé par sa forme, sublime. Comme toujours chez Guillermo Del Toro, un soin particulier a été apporté aux costumes et aux décors, dont cette bâtisse gothique majestueuse qui abrite les expériences de Frankenstein, perdue dans la lande écossaise. Ceci permet des mouvements de caméra sensuels et des compositions de plans qui flattent la rétine, d’autant que le cinéaste et son chef opérateur Dan Laustsen s’amusent à jouer avec les ombres et les lumières, les touches de couleurs, tout un arsenal technique qui confère au film une indéniable beauté plastique. Ce n’est pas une surprise, certes, puisque le cinéaste mexicain a toujours su créer des environnements visuels somptueux, mais il convient de saluer sa constance dans l’excellence artistique, de film en film, quel que soit l’univers visité. Associé à la belle partition composée par Alexandre Desplats, cet environnement visuel permet de créer l’ambiance adéquate, dans l’esprit du courant littéraire romantique.
Il est donc frustrant que le film ne procure pas plus d’émotions que cela. L’emballage est sublime, mais le contenu est peu séduisant.
Pourtant, on sent que l’histoire de Frankenstein a été une inspiration majeure pour Guillermo Del Toro. L’ensemble de son oeuvre est peuplé de créatures monstrueuses, souvent plus belles et dignes d’intérêt que les humains qui les traquent. Ce long-métrage aurait pu – et aurait dû – constituer son chef d’oeuvre. Mais il a peut-être été intimidé par l’ampleur de la tâche, ou trop révérencieux envers l’oeuvre de Mary Shelley. Sans doute aurait-il fallu trahir davantage le texte original, afin de trouver le bon équilibre entre épouvante, romantisme et drame, donner plus de place à certains personnages.
On aurait aimé que cette version de Frankenstein réussisse à détrôner le film de James Whale dans nos mémoires de cinéphiles. Ce ne sera pas le cas, hélas. Le coup de foudre n’est pas là…
(1) : “Frankenstein ou le Prométhée moderne” de Mary W. Shelley – éd. Le Livre de Poche
Crédits photos : Netflix 2025 – images fournies par la Biennale Cinema