[Venise 2025] « Father Mother Sister Brother » de Jim Jarmusch

[Venise 2025] Father Mother Sister Brother Jarmusch


[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ?
Des relations familiales, parfois heurtées, parfois marquées par une communication difficile, mais aussi, le plus souvent, par beaucoup d’affection, à travers trois sketchs tournant autour de réunions de famille.
Le premier suit la visite de Jeff (Adam Driver) et Emily ( Mayim Bialik) chez leur père (Tom Waits). Dans le trajet qui les mène jusqu’à la bicoque du vieil homme, ils partagent quelques inquiétudes quant à la situation de celui-ci, qui ne s’est jamais remis de la mort de leur mère et vit dans une certaine précarité.
Dans le second, c’est l’inverse, c’est une mère (Charlotte Rampling), septuagénaire en pleine forme, qui s’inquiète pour ses filles, très différentes l’une de l’autre. L’aînée, Timothea (Cate Blanchett) a tout de la vieille fille coincée, à la vie bien trop banale, tandis que la cadette, Lilith (Vicky Krieps), est très extravertie, mais ment sur sa situation personnelle, bien loin des conventions bourgeoise de sa famille.  
Enfin, le troisième récit montre une réunion familiale plus restreinte. Skye (Indya Moore) et Billy (Luka Sabbat) se retrouvent à Paris dans l’appartement familial. Mais ils sont juste tous les deux, désormais. Leurs parents viennent de décéder. Le frère et la soeur viennent passer un dernier moment dans ces lieux désormais vides, pour se recueillir et se remémorer les bons moments passés tous ensemble.
Pourquoi on veut être invité à la réunion de famille ?
A première vue, il s’agit d’un banal exercice de style. Jim Jarmusch semble s’être amusé à créer trois récits différents, de durée égale, autour du thème de la réunion de famille, avec le challenge de glisser des éléments récurrents : des skaters qui passent au ralenti, la phrase “Bob’s your uncle”, des objets en panne, des trajets en voiture, une montre ou des questionnements sur la validité de trinquer à l’eau/au café/au thé. Mais la structure du film s’avère assez intelligente, la somme de ces petits sketchs anodins formant un ensemble cohérent.
Les trois histoires se déroulent dans des pays différents – Etats-Unis, Angleterre, France – comme pour montrer que les réunions de famille sont les mêmes un peu partout sur la planète. La plupart du temps, les membres d’une famille sont très différents. Il y a souvent un fossé générationnel entre les parents et les enfants, des différences de caractère marquées entre frères et soeurs. Adulte, chaque individu se forge sa propre vie. Chacun a ses propres habitudes, son mode de vie, ses problèmes. Mais même dans les familles où les différences sont très marquées – comme dans les deux premiers sketchs où les curseurs sont poussés un peu plus loin – il y a quand même la nécessité de se retrouver de temps en temps, même si on n’a rien à se dire. Juste pour s’assurer que tout va bien, que ceux avec qui on partage ces liens de sang sont toujours là. C’est un besoin universel, essentiel.
Ces réunions de famille sont un jalon qui sert mesurer le temps qui passe, qui aide à se rappeler aussi, d’où l’on vient, ce qui nous rassemble et nous divise.
Le troisième sketch, dont le ton tranche avec celui des deux précédents, rappelle que les moments passés avec ses proches sont précieux. Tant que les membres de la tribu peuvent se réunir, c’est qu’ils sont encore vivants. Sinon, leur absence laisse un vide, une blessure, l’impression d’avoir été amputé d’une partie de son histoire. Mais ils laissent aussi une trace, des objets, des photos, qui permettent de raviver des souvenirs de moments passés ensemble.
Peut-être Jeff et Emily se souviendront-ils avec tendresse de leur roublard de père en retrouvant sa vieille vraie/fausse Rollex ou son rocking-chair design quand celui-ci sera décédé. Et sans doute Timothea et Lilith verseront-elles quelques larmes, bien après que leur mère aura disparu, lorsqu’elle dégusteront un thé et des pâtisseries, madeleine proustienne de leur rituel annuel. Skye et Billy, eux, sont émus de retrouver de vieilles photos, des dessins, des trésors oubliés, témoins de leur enfance, de leur passé et des personnes qui les ont aidé à grandir.
Father Mother Sister Brother est une oeuvre très simple en apparence, mais qui creusera probablement son sillon longtemps après la projection. Bien sûr, en fonction de son histoire personnelle, de son vécu et de son âge, chaque spectateur réagira différemment à ce long-métrage et les thèmes qu’il aborde. En revanche, tout le monde s’accordera probablement pour saluer la tribu d’acteurs que le cinéaste a réunie. Tous jouent parfaitement leur partition, souvent à contre-emploi, à l’instar de Cate Blanchett, irrésistible en vieille fille coincée.
Crédits photos : Images fournies par la Biennale Cinema
Carole Bethuel – Vague Notion
Yorick Le Saux – Vague Notion