[Venise 2025] “No other choice” de Park Chan-wook

No other choice affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

D’un homme qui, après avoir perdu son emploi, prend une décision radicale pour ne pas perdre tout ce qu’il a patiemment construit.
Au début du film, Man-su (Lee Byung Hun) a tout ce dont il a toujours rêvé. Une femme charmante et attentionnée, Miri (Son Yejin), deux enfants adorables, deux chiens pleins de vie. Ils habitent une belle maison bourgeoise, avec un grand jardin et une serre où Man-su peut s’adonner à sa passion, l’entretien du bonsaï. Pour se payer tout cela, il a travaillé dur et monté les échelons, pendant vingt-cinq ans, dans une entreprise fabriquant du papier. Seulement voilà, sa compagnie vient juste d’être rachetée par une entreprise américaine, qui décide illico d’un plan social pour faire plus de marge. Man-su fait partie de la vague de licenciements et se donne trois mois pour retrouver un emploi du même niveau. Hélas, un an après, ses recherches sont au point mort. Miri a trouvé un emploi qui permet d’assurer l’essentiel, mais la famille doit réduire drastiquement son train de vie, jusqu’à envisager de vendre la maison. Man-su ne peut supporter de perdre sa maison, ni de décevoir tous ses proches. Alors, il décide de provoquer la chance en créant l’opportunité d’embauche. Il décide d’assassiner le cadre d’une grande entreprise de son secteur et tous candidats rivaux susceptibles de lui faire de l’ombre.

Pourquoi on retient le CV ?

L’intrigue vous rappelle quelque chose?
Normal, c’est presque exactement la trame du film Le Couperet, de Costa-Gavras – à qui le film est d’ailleurs dédié –, qui était lui-même adapté d’un bouquin de Donald Westlake (1).
Park Chan-wook n’a quasiment rien modifié de l’intrigue ou du contexte, puisque le film se déroule toujours dans le monde de l’industrie du papier, comme dans le roman original ou le film de Costa-Gavras. La confection du papier est tout un symbole, puisque le papier de qualité a cédé sa place à un papier plus neutre, puis l’industrie s’est adaptée au recyclage, aux délocalisations pour diminuer les marges… Le cinéaste sud-coréen ajoute à ces problématiques une globalisation encore plus poussée,l’essor du numérique qui impacte la production de papier et la menace de l’intelligence artificielle, que d’aucuns imaginent prendre la place de l’humain à plus ou moins brève échéance. Mais le fond du récit est le même. Il parle de la difficulté à maintenir l’emploi, à l’heure de l’économie de marché ultralibérale mondialisée, quand les sociétés ne jurent que par les mots “rentabilité”, “profit” et “rationalisation”. Un peu partout sur la planète, les dirigeants des entreprises cherchent à améliorer leurs marges en supprimant des postes. S’ils peuvent remplacer les ouvriers par des machines, ils n’hésitent pas. S’il n’y a plus d’ouvriers, plus besoins de cadres pour les superviser. Et ainsi de suite, permettant d’économiser le versement de salaires. Mais pour les malheureux qui perdent leur unique source de revenus, la pilule est amère. Et le marché de l’emploi se retrouve saturé de candidats, qui ne pourront pas tous retrouver un poste.

D’aucuns pourraient penser que cette nouvelle adaptation n’a pas grand intérêt puisqu’elle reprend la même structure, le même principe. Mais déjà, elle permet de montrer que le sujet est assez universel. Que l’on soit aux Etats-Unis, en France, en Europe, en Asie, aucune économie n’est épargnée par le fléau du chômage ou les ravages de l’ultra-libéralisme. Par ailleurs, cette version se distingue de celle de Costa-Gavras de différentes façons, toutes très intéressantes.
On note déjà une variante concernant la psychologie du personnage principal. Dans le film français, le personnage incarné par José Garcia était beaucoup plus froid et implacable. Quelque chose s’était cassé en lui, le faisant basculer irrémédiablement dans la folie meurtrière. Man-su, lui, est beaucoup plus hésitant et fébrile. S’il commet ces crimes, c’est plus par instinct de survie, parce qu’il n’a pas d’autre choix, comme le précise le titre. Il sait que s’il ne retrouve pas un emploi rapidement, il va tout perdre. Sa maison, son épouse, le respect de ses enfants, et, in fine, son honneur. La situation le ronge, lui fait perdre petit à petit sa confiance en lui, ses aptitudes. Il doit réagir pour ne pas s’effacer totalement. Alors, il se lance dans cette entreprise criminelle avec réticence.

Il y a aussi un peu plus d’humour dans le film de Park Chan-wook. Ou un humour différent. Il y en avait aussi un peu dans Le Couperet, mais plus pince sans-rire, plus acide. Ici, en raison de la maladresse du personnage, l’humour vire souvent au burlesque, au grotesque, permettant au spectateur d’encaisser plus facilement la violence des situations.
En termes de mise en scène, No other choice porte bien la patte de Park Chan-wook. Sa réalisation est un modèle de fluidité et d’élégance, offrant une multitude de plans savamment travaillés. Et comme dans son film précédent, Decision to leave, il s’autorise quelques expérimentations visuelles audacieuses : surimpressions, montage par association d’idées, brusques emballements du rythme… Désolé du parallèle un peu facile, mais si No other choice était une feuille de papier, ce ne serait pas un papier recyclé, mâché ou remâché, mais assurément un papier glacé et velouté, à fort grammage, parfaitement découpé et emballé. Du travail d’artisan sincère, qui sait s’appuyer sur ses ressources humaines pour créer la qualité.
Les images de Kim Woo-hyung sont sublimes, la bande-originale de Cho Young-wuk, son collaborateur habituel, toujours aussi enveloppante. La direction d’acteur est une fois de plus exceptionnelle et permet à Lee Byung Hun de signer l’une de ses performances les plus remarquables depuis J’ai rencontré le diable.

Oui, c’est un ouvrage de qualité, ce qui permet, même en connaissant déjà l’intrigue et son dénouement, de passer un excellent moment. No other choice est un film fascinant et passionnant. Comme le film de Valérie Donzelli, A pied d’oeuvre, présenté le même jour à la 82e Mostra de Venise, il alerte sur les dérives de l’économie de marché ultra-libérale, ses conséquences sur le monde du travail et les mécanismes qui mènent à des sociétés froides et déshumanisées.

(1) : “Le Couperet” de Donald E. Westlake – éd. Flammarion


Crédits photos : Images fournies par La Biennale Cinema