De quoi ça parle ?
De la difficulté d’être un acteur-star. Ou plutôt, de la difficulté d’être soi-même quand on est un acteur-star. Et de faire ce constat à un moment-clé de sa carrière, vers sa fin, quand on sent que le meilleur est probablement derrière soi.
On suit, comme le titre l’indique, Jay Kelly (George Clooney), acteur sexagénaire encore sexy, qui continue à enchaîner les rôles. Sa cote de popularité reste au sommet : le public l’adule, les producteurs et les réalisateurs l’adorent. Partout où il passe, il est accompagné de toute une clique d’assistants, conseillers et gardes du corps, à commencer par son agent et manager, Ron (Adam Sandler) et sa publiciste, Liz (Laura Dern). Dans chaque hôtel, sur chaque plateau, les mêmes petites attentions : quelques fleurs, un expresso, une part de cheesecake, parce qu’il a eu le malheur de dire une fois en interview qu’il aimait cela…
Mais cet entourage à son service ne l’empêche pas, depuis quelque temps, de se sentir un peu seul. En apprenant le décès du réalisateur qui lui a le premier donné sa chance au cinéma (Jim Broadbent), il prend subitement conscience qu’il a, lui aussi, pris de l’âge et que sa carrière approche inéluctablement de la fin. Bientôt, il n’y aura plus cette effervescence autour de lui. Il n’y aura plus d’autre rôle à jouer. Il sera seul face à lui-même, et cette sensation lui donne le vertige.
Il y a bien ses deux filles, dont il pourrait se rapprocher. Mais, constamment en tournage, parcourant la planète de festivals en évènements publicitaires, il ne s’est jamais vraiment occupé d’elles quand elles étaient enfants et cela a créé une certaine distance. L’aînée, Jessica (Riley Keough) lui reproche clairement de l’avoir abandonnée. La cadette Daisy (Grace Edwards) vit encore auprès de lui, mais plus pour très longtemps, puisqu’elle s’apprête à finir ses études et prendre son indépendance.
Sinon, il n’a plus vraiment d’amis, hormis ses proches collaborateurs. Quand Timothy (Billy Crudup), une vieille connaissance de l’école dramatique, l’aborde à la sortie d’une projection, Jay lui propose d’aller boire un verre, en souvenir du bon vieux temps, pensant renouer quelques liens, mais l’homme lui annonce qu’il le déteste et le jalouse, estimant qu’il lui a volé sa vie.
Jay prend conscience que son image auprès de ses proches n’est pas aussi glorieuse qu’auprès du public. Il a toujours privilégié sa carrière et son objectif assumé de devenir une star, égoïstement, au risque de heurter les personnes qui l’entourent et de passer à côté de l’essentiel. Il se rend également compte que ses seuls souvenirs sont des films. Il a peu de souvenirs de famille, de moments à chérir. Alors, il décide de s’en faire tant qu’il est encore temps. Il décide d’un petit break dans son emploi du temps pour quelques jours avec Daisy, avant qu’elle ne quitte le nid. Hélas, la jeune femme n’avait certainement pas prévu de passer l’été avec son père. Elle a déjà planifié un voyage en Europe avec ses amis – festival de jazz en France, puis promenade en Italie.
Qu’à cela ne tienne, Jay décide de la suivre à son insu. Il finit par accepter l’hommage que veut lui rendre un festival de cinéma en Toscane pour servir de prétexte à sa présence en Europe et d’occasion pour réunir toute la famille – y compris son propre père.
Pour son équipe, c’est un vrai casse-tête, d’autant que les péripéties s’enchaînent au cours du voyage.
Pourquoi on applaudit ?
Pour l’entrée en matière, Noah Baumbach nous offre un joli plan-séquence, faisant se croiser sur un plateau de tournage tous les personnages importants de l’entourage de Jay Kelly avant de se rapprocher de plus en plus de ce dernier, en train de jouer la scène finale de son nouveau film, une mort solitaire. Le mouvement de caméra n’est pas du tout gratuit. Il permet de bien poser les thématiques et de donner au film l’impulsion d’un mouvement.
Car la suite du récit est autant un road-movie plaisant et mené à vive allure, qui nous entraîne jusqu’en Toscane, qu’un voyage introspectif émouvant, dans lequel le personnage se confronte à ses failles, ses manquements et ses regrets.
Jay Kelly arrive à un âge où l’on commence à faire le bilan de sa vie, constater le résultat de ses choix et décider de ce que l’on veut pour la dernière partie de son existence. Lui ne veut pas y penser. Il veut continuer à enchaîner les projets et aller tout le temps de l’avant, sans trop penser au passé. C’est pourquoi il refuse systématiquement les hommages qui lui sont rendus, qu’il voit comme des enterrements prématurés. Il est terrifié à l’idée de se dire que toute son existence a été vaine, qu’il sera oublié par les milliers d’inconnus qui l’adoraient et détesté par les rares personnes qui comptaient vraiment.
Le film explore parfaitement les contraintes du métier d’acteur, qui nécessite de s’effacer au service de personnages fictifs et laisse peu de place pour exister en tant qu’individu, par ailleurs. C’est encore plus vrai pour une star qui doit porter un masque en permanence, pour des soucis d’image, de statut. Les assistants sont là pour s’assurer que tout est sous contrôle.
Eux aussi doivent se sacrifier pour se mettre au service de leur poulain. Les personnages de Ron et Liz sont passionnants. Ils sont toujours auprès de Jay, se plient à ses caprices, ses volontés, au risque de passer eux-mêmes à côté de leur vie. On comprend que le couple de Ron bat de l’aile, parce qu’il passe plus de temps à s’occuper de Jay que de sa femme et ses enfants. Cela occasionne aussi des problèmes avec ses autres clients. Liz semble elle aussi fatiguée de devoir toujours garder le contrôle à la place de son client inconséquent. Ils n’ont pas d’autre vie, eux aussi, que celle dédiée à leurs clients. Le plus simple serait de nouer une relation sentimentale entre eux, les assistants principaux, mais même cela est impossible, puisqu’il y a toujours une urgence, une crise à régler, un besoin à satisfaire, un casse-tête à résoudre.
La force du long-métrage de Noah Baumbach, c’est de parvenir à faire exister tout ce microcosme, de rendre attachants tous les personnages et de les faire évoluer dans un ensemble harmonieux de scènes drôles, tendres ou émouvantes, parsemées de détails irrésistibles.
Si la mise en scène se montre souvent un peu trop sage, malgré la belle démonstration de virtuosité technique du début, le film reste constamment séduisant, porté par la beauté des images de Linus Sandgren, la robustesse du scénario, écrit par Noah Baumbach et Emily Mortimer, et, bien sûr, par des numéros d’acteurs brillants.
Le casting est assez exceptionnel : Adam Sandler, Laura Dern, Billy Crudup, Riley Keough, Grace Edwards, mais aussi Stacy Keach en patriarche acariâtre, Greta Gerwig, Patrick Wilson, Alba Rohrwacher…
Pour incarner cet acteur vieillissant mais encore séduisant et charismatique, il fallait évidemment un comédien suffisamment chevronné pour être crédible. Noah Baumbach a donc fait appel à George Clooney. L’acteur a eu le courage de se plonger dans des questionnements existentiels auxquels il est probablement lui-même confronté. Et le talent de s’autoparodier et se moquer de lui-même, pour rendre le personnage profondément attachant malgré ses défauts.
Tout cet assemblage de talent et de professionnalisme permet à Noah Baumbach de signer l’un de ses meilleurs long-métrages. Il n’a peut-être pas tout à fait l’énergie de Frances Ha ou l’intensité de Marriage story, mais il compense avec une certaine maturité et une réelle maîtrise des fondamentaux du cinéma. Dans l’une des très belles scènes du film, Jay Kelly observe les spectateurs de la salle où des extraits de ses films sont projetés et peut constater avec fierté le plaisir qu’il leur a donné, les émotions qu’il leur a procurées et les souvenirs qui demeureront un moment dans leurs coeurs. Noah Baumbach et son équipe peuvent éprouver la même fierté. Ils ont offert aux salles de la Mostra de belles émotions sur grand écran.
Crédits photos : Netflix 2025 – images fournies par la Biennale Cinema