[Venise 2025] “Orphan” de Laszlo Nemes

Orphan affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

De la quête identitaire douloureuse de Andor (Bojtorján Barabas), un jeune garçon juif hongrois, juste après la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Né durant le conflit, l’enfant a été très vite séparé de ses parents et placé dans un orphelinat à la campagne, à l’abri des rafles nazies de 1944, durant l’opération Margarethe. Après l’arrêt des combats, sa mère, Klára (Andrea Waskovics) vient le chercher pour essayer de retrouver une vie normale. Le gamin semble un peu perdu. Il ne reconnaît pas sa mère – qu’il a évidemment très peu connu – et est surtout frustré de ne pas retrouver son père, Hirsch, qui, d’après sa mère, n’a plus donné de nouvelles depuis qu’il a été envoyé en camp de concentration. En attendant son très hypothétique retour, l’enfant s’imagine que son père est personnifié par la grande chaudière dans le sous-sol de son immeuble et lui confie tous ses états d’âme.
Quelques années plus tard, en 1957, Andor est devenu un jeune adolescent, mais a conservé cette curieuse habitude. Son père n’est toujours pas revenu et le garçon continuent de croire à son retour, malgré toutes les voix qui lui suggèrent de renoncer à ce rêve absurde. Il traîne beaucoup avec les personnes ayant connu son père, pour essayer de glaner des détails sur sa personnalité, ses passions, sa profession, tout ce qui peut nourrir son imagination. Mais les habitants de son quartier ont bien d’autres préoccupations. L’année d’avant, plusieurs hongrois ont tenté de se rebeller contre l’occupation soviétique, en place depuis la fin de la guerre, et cette révolution a été brutalement réprimée par les troupes soviétiques. Tous les révolutionnaires encore en vie sont traqués par les autorités, dans un contexte d’oppression renforcée. C’est le cas du frère de Sári (Elíz Szabó), la meilleure amie du jeune garçon, qui se cache dans une maison désaffectée en attendant l’opportunité de passer à l’Ouest. Mais tous les citoyens peuvent être arrêtés de façon arbitraire ou dénoncés par des voisins malveillants, sympathisants du régime.
Un jour, il croise sa mère avec un homme inconnu, Berend (Grégory Gadebois). Celui-ci est un apparatchik assez puissant, capable d’offrir une certaine sécurité à Klára. Elle a décidé de refaire sa vie avec lui. Andor, lui, rejette catégoriquement l’idée. Il ne veut pas d’un père de substitution puisqu’il est certain que son vrai père va revenir. Mais il réalise peu à peu que l’histoire de sa naissance n’est pas forcément celle qu’on lui a annoncée jusque-là.

Pourquoi on adopte le film ?

Laszlo Nemes est décidément habitué à filmer le chaos. Celui de la Seconde Guerre Mondiale et l’horreur des camps de concentration (Le Fils de Saul), celui qui sert de prélude au déclenchement de la Guerre 1914-1918 (Sunset) et, ici, celui qui a touché la plupart des pays du bloc de l’Est durant la Guerre froide. Mais ses films sont souvent centrés autour du chaos intérieur, psychologique, de ses personnages, plongés malgré eux dans des situations complexes et des évènements historiques trop grand pour eux. Andor ne déroge pas à la règle. Né dans des conditions mystérieuses, au moment où l’Allemagne a décidé d’envahir la Hongrie, son ancienne alliée, puis élevé sous le joug soviétique, le gamin a tout pour être tourmenté. Autour de lui, on trouve des êtres brisés ou fatigués, des familles dévastées, des âmes mutiques et des corps paralysés, sans oublier des enfants ayant trop vite perdu leur innocence. Pourtant, on fait tout pour le protéger, le préserver de la brutalité environnante. Lui-même s’est créé un monde à part, où il peut discuter avec ce père qu’il ne connaît pas. Il a besoin de se retrouver dans un cocon protecteur, dans lequel il est isolé.

Dès le premier plan – qui ressemble aux vieilles gravures des livres de contes – on le voit caché dans un terrier, craintif, observant le retour de sa mère venue le chercher à l’orphelinat. Et son premier réflexe, une fois arrivé en ville, est d’essayer de trouver une cachette où il pourra s’isoler – la chaufferie où il peut retrouver son père, qu’il s’imagine hanter l’imposant fourneau des lieux. La référence aux contes n’est sans doute pas fortuite. Il y a souvent, dans ces récits, l’idée d’un passage de l’innocence enfantine à la dureté du monde adulte. Agé de douze ou treize ans, Andor est assurément en train d’effectuer cette transition. Il doit s’aventurer dans des zones inconnues – à l’instar de ce voyage qu’il effectue dans la ville où sa mère a vécu durant la guerre – comme les personnages de contes qui s’enfoncent dans les forêts obscures. Et il se confronte même à un ogre, personnifié par Berend, à qui Gregory Gadebois prête son imposante carrure. Ce boucher bien en chair, éructant et grimaçant, capable de tonitruants accès de colère, a effectivement de quoi impressionner le jeune garçon, même s’il peut aussi montrer des côtés positifs, pour peu que l’on décale un peu le regard. Berend a les moyens de protéger Klára et Andor, de leur offrir une vie moins rude. Il éprouve une affection sincère pour le garçon. Evidemment, il est proche du pouvoir en place, de l’oppresseur. Mais, comme le montre le plan final, les individus sont tout petits par rapport à un système, un régime. Ils n’ont pas d’autre choix que l’exil, si tant est que cela soit possible, ou l’acceptation de leur condition.
Pas très réjouissant… Pour autant, la fin peut être vue à la fois comme un constat implacable – l’étoile rouge écrasant toute tentative de révolte, toute idée de départ – ou comme une note un peu plus positive, celle d’une famille enfin réunie, même dans des conditions difficiles. Le cinéaste a d’ailleurs souhaité réaliser ce film pour rendre hommage à son père, qui a su traverser cette période trouble, l’élever et lui permettre aujourd’hui de briller sur la scène cinématographique internationale.

Le film séduit par ses partis-pris formels, la beauté des images composées par Mátyás Erdély, la mise en scène élégante de Laszlo Nemes et l’énergie des jeunes acteurs. Cependant, il lui manque  la puissance qui irriguait Le Fils de Saul et le bouillonnement de Sunset, deux longs-métrages plus ambitieux. Mais après sept ans d’absence, on est quand même heureux de voir le cinéaste hongrois retrouver le chemin des plateaux de tournages et poursuivre sa carrière.

Crédits photos : Images fournies par La Biennale Cinema