[Venise 2025] “Bugonia” de Yorgos Lanthimos

bugonia affpro[Compétition Officielle]

De quoi ça parle ?

Des théories complotistes, de la montée de la violence, de la lutte des classes, de la crise écologique et notamment du “syndrome d’effondrement des colonies” chez les abeilles (CCD). Bref, de notre époque actuelle, revue et corrigée dans un scénario bien déjanté.
On suit le projet criminel de deux types d’apparence ordinaire, Teddy (Jesse Plemons) et Don (Aidan Delbis), qui cherchent à kidnapper et séquestrer Michelle (Emma Stone), la présidente d’une grande compagnie chimique, Auxolith. Apiculteur, Teddy a constaté que ses abeilles désertaient les colonies, abandonnant leurs reines. Après avoir suspecté un temps les effets néfastes des néonicotinoïdes produits par la société de Michelle, il est aujourd’hui persuadé que le complot est plus grave que cela. Pour lui, la dirigeante est en fait une extra-terrestre envoyée sur Terre pour exterminer l’humanité. Son cousin Don, visiblement un peu benêt et incapable de réfléchir par lui-même, le suit dans ses délires.
Ils parviennent difficilement à la maîtriser, l’attacher et l’enfermer dans le sous-sol de leur maison, où elle doit être torturée pour avouer ses crimes, révéler les détails du complot et aider à mettre Teddy en contact avec les leaders extra-terrestres pour sauver la planète. Le tout avant la prochaine éclipse lunaire.

Pourquoi on croit aimer ?

Le titre, Bugonia, fait référence à un rituel grec antique qui consistait à sacrifier un boeuf pour permettre la naissance ou la résurrection des abeilles. Une croyance complètement folle, irrationnelle, comme tant d’autres.
Le scénario, lui, lorgne plutôt du côté de la Corée du Sud, s’inspirant fortement de la trame de Save the green planet !, un petit film qui avait fait sensation dans plusieurs festivals de cinéma au début des années 2000, grâce à ses brusques virages narratifs, son côté nihiliste et furieux. Yorgos Lanthimos a su revisiter le récit en l’ancrant dans un contexte contemporain inquiétant. Les sociétés sont de plus en plus fracturées. Les clivages politiques sont profonds, les différences de classes n’ont jamais été aussi marquées, les différentes visions du monde deviennent totalement incompatibles. Les individus ne peuvent plus s’appuyer sur les informations pour pouvoir comprendre ce monde en pleine ébullition puisque la manipulation, les fake news, les théories farfelues sont légion, amplifiées par les réseaux sociaux. Dès lors, ils ont vite fait de tomber dans la paranoïa et de privilégier la croyance absurde à l’analyse rationnelle.

Le spectateur est placé dans le même inconfort ou doit essayer de se raccrocher à ce qu’il ressent, potentiellement trompeur. Au début, il est probable qu’il va prendre le parti de Michelle plutôt que de ses deux ravisseurs, complètement siphonnés. Mais on découvre peu à peu que la mère de Teddy (Alicia Silverstone) est atteinte d’un cancer invasif, probablement dû au même pesticide que celui qui perturbe les abeilles, produit par Auxolith, et que la société a financé son traitement expérimental.
Plus tard, le spectateur va penser que Michelle essaie de manipuler les deux pieds-nickelés, en jouant leur jeu et confortant leur délire, tout en tentant de faire naître le doute dans l’esprit de Don, le plus facilement atteignable. Mais rien ne dit qu’elle ment quand elle admet être une impératrice extra-terrestre, envoyée sur terre pour mener des expériences. En tout cas, le cinéaste réussit à faire naître le doute ou à faire voler en éclats les certitudes.

Tout le récit est conçu pour que le spectateur soit de plus en plus perdu à mesure que la tension monte. Car évidemment, le dialogue étant difficile entre les ravisseurs et leur victime, chacun campant sur ses positions, les frustrations vont crescendo et, inéluctablement, la violence finit par faire son irruption. Par rapport au film original, Lanthimos a mis la pédale douce sur les scènes de tortures insoutenables et les effets gore, mais il en reste suffisamment pour satisfaire les fans de film d’horreur et faire son petit effet sur les âmes sensibles. Il capitalise plutôt sur ses propres armes, notamment les joutes entre ses acteurs, les fidèles Emma Stone et Jesse Plemons. Le duo était déjà omniprésent et brillantissime dans Kinds of kindness, dont ce film semble être l’une des ramifications supplémentaires, et ils sont de nouveau excellents dans ce nouveau long-métrage, qui leur permet encore de dévoiler d’autres facettes de leur jeu.

Ceux qui connaissaient Save the green planet ! n’auront sans doute plus l’effet de surprise, mais retrouveront quand même l’esprit du film de Jang Joon-hwan.Les autres devraient être enthousiasmés par ce film intense, qui fait passer en force son message écologiste et humaniste. Pas besoin de théories du complot pour constater que la planète est menacée par nos activités, et pas besoin d’extra-terrestres belliqueux pour que l’humanité soit en voie d’extinction. Les humains creusent leur tombe tous seuls et ne montrent aucune envie d’être sauvés. Si les dinosaures ont fini par s’éteindre, il en sera de même pour nous un jour. Et si on ne veut pas que cela arrive très vite, il faudra peut-être véhiculer plus efficacement cette croyance-là…

Crédits photos : Images fournies par La Biennale Cinema – Focus Features 2025