[Venise 2025] “Mother” de Teona Strugar Mitevska

Mother affpro[Orizzonti]

De quoi/de qui ça parle ?

De Mère Teresa (Noomi Rapace), juste avant qu’elle ne quitte l’ordre des Soeurs de Lorette pour fonder sa propre congrégation et dédier le reste de sa vie à servir les plus démunis.
En août 1948, la religieuse dirige l’école catholique Sainte-Marie à Calcutta. Les soeurs donnent des cours aux enfants aisés de la ville, alors qu’à quelques pas, les miséreux souffrent de la faim et de maladies, allongés dans les rues de la cité indienne. Mère Teresa est horrifiée par le sort de ces malheureux et dépitée par le refus de l’Eglise de les accueillir et les aider davantage. Elle a demandé à plusieurs reprises à quitter la direction de l’école et à obtenir l’autorisation de fonder son propre ordre, entièrement dévoué aux plus pauvres, en Inde ou dans d’autres pays.
Sa demande est finalement acceptée à force de persévérance et d’insistance auprès de ses supérieurs. Elle prépare donc son départ en se choisissant une remplaçante, en la personne de Soeur Agnieszka (Sylvia Hoeks), qui semble partager ses vues sur le rôle de l’Eglise et l’assistance à apporter aux plus nécessiteux.
Ensemble, elles définissent les règles de l’ordre que veut fonder Mère Teresa : dépouillement de tout bien matériel, d’attaches familiales, pour vivre au plus près des pauvres et leur porter assistance spirituelle.

Le hic, c’est qu’Agnieszka porte en elle un secret difficile à porter pour une nonne, qui vient perturber les derniers jours de la charge de Mère Teresa à Sainte-Marie.
La religieuse est confrontée à un dilemme. Agnieska ne peut pas raisonnablement pas rester dans la communauté dans cet état, qui contrevient à toutes les règles religieuses et morales. Mais l’expulser la mettrait dans une situation délicate. Le retour au pays n’est pas envisageable puisque toute la famille de la jeune polonaise a été décimée durant la Seconde Guerre Mondiale. Rester en Inde est tout aussi compliqué, puisqu’il faudrait trouver un endroit susceptible de l’accueillir. Reste la solution proposée par Agnieszka : un avortement qui lui permettrait, à condition que Mère Teresa garde le secret sur la grossesse et l’intervention, de retrouver sa place dans l’ordre.

Pourquoi le film nous semble si pauvre ?

Déjà, il faut pouvoir oublier que Noomi Rapace a incarné Lisbeth Salander, l’héroïne punk des films de la saga Millenium avant de revêtir le sari blanc de la célèbre religieuse. D’accord, c’est le propre des grands acteurs de pouvoir incarner tous types de personnages, mais là, c’est quand même un sacré grand écart! Surtout que l’actrice interprète les deux personnages de façon assez similaire, entre mutisme énigmatique et éclats de violence pour l’une ou d’excès d’autorité pour l’autre.
Ce parti-pris est assumé par la cinéaste, Teona Strugar Mitevska, qui a souhaité montrer d’autres facettes de Mère Teresa, éloignées de son image de Sainte (2). On découvre une religieuse aux principes moraux souvent rigides, qui peut faire preuve d’une certaine cruauté, d’intolérance ou d’un autoritarisme déstabilisant, et sait tracer sa voie dans une structure dominée par les dogmes et le patriarcat. Pas sûr que les fidèles adorateurs de la Sainte apprécient de voir son image ainsi écornée, même si le film montre que cette femme à la forte personnalité a eu le courage de mener par la suite une existence ascétique, dévouée aux plus pauvres.

Pas sûr non plus que les cinéphiles apprécient la forme et le fond du film…
La cinéaste a choisi de ne raconter qu’un très bref chapitre de la vie de Mère Teresa, une semaine charnière de l’année 1958, entre le moment où elle reçoit l’autorisation de quitter Sainte-Marie et le jour où elle part fonder sa propre congrégation. Elle laisse presque complètement de côté la misère des rues de Calcutta pour se focaliser sur la maternité contrariée de Mère Teresa et Soeur Agnieszka et les petits soucis de cette dernière. Cela donne l’impression d’un film à thèse sur le thème “pour ou contre l’avortement ?”. Certes, c’est un thème qui est tout à fait d’actualité, au vu des tentatives d’interdire le droit à l’avortement dans différents pays du globe. Mais était-ce vraiment le bon angle, la bonne histoire, la bonne personnalité pour cela ? N’y avait-il pas autre chose à construire, sans faire l’hagiographie de la personne? N’y avait-il pas d’autres aspects à développer ?

Faute d’idées, le scénario sonne creux aussi creux. Le film est inutilement étiré alors qu’il ne se passe rien à l’écran. La cinéaste essaie bien de maintenir notre attention en imposant un chapitrage en grosses lettres, J7, J4 … J3,2,1,0 (partez!), comme un compte-à-rebours dans un film d’horreur angoissant ou un thriller haletant. Mais autant vous le dire, il n’y a aucun suspense : Mère Teresa fonde bien son ordre des Missionnaires de la Charité à la fin du film. Le sort d’Agnieszka est le seul véritable enjeu, mais on peine à s’y intéresser puisque le focus est fait essentiellement sur Noomi Rapace, alors que sa partenaire Sylvia Hoeks livre une performance plus intéressante. Les relations entre les deux personnages principaux ne sont pas vraiment travaillées et leurs rares interactions sont soit des effusions mélodramatiques sirupeuses, soit des moments d’hystérie surjoués.

Bref, on ne trouve pas vraiment d’intérêt à ce biopic (en est-ce vraiment un ?) bancal, et hormis sa nationalité commune avec la célèbre religieuse, on ne comprend pas vraiment ce qui a poussé la réalisatrice brillante de Je suis de Titov Veles ou L’homme le plus heureux du monde, à se lancer dans cette aventure.
Ou alors, c’est pour faire corps avec les préceptes des Missionnaires de la Charité, en signant un film indigent…

(1) : Née Anjezë Gonxhe Bojaxhiu, Mère Teresa est née en Macédoine en1910 et décédée à Calcutta en 1997
(2) : Mère Teresa a été canonisée en 2016 par le Pape François.

Contrepoints critiques :

Mother’s storytelling feels overheated and superficially sensational”
(Tim Grierson – Screen Daily)

”Incarnée avec une ferveur quasi mystique par Noomi Rapace, Teresa s’impose comme une figure tout en complexité, mue par une volonté farouche et une mission plus terrestre que divine, en lutte contre ses failles, une héroïne certes sacrificielle (elle renonce notamment à la maternité), mais pour laquelle le sacrifice n’est pas une fatalité mais bien un choix posé en conscience.”
(Aurore Engelen – Cineuropa)

Crédits photos : images fournies par la Biennale Cinema – copyright Entre Chien et loup