Blade Runner (1982) de Ridley Scott

Par Seleniecinema @SelenieCinema

A l'origine le projet est celui de Hampton Fancher, acteur peu connu apparu entre autre dans "La Soif de la Jeunesse" (1961) et "Amours à l'Italienne" (1962) tous deux de Delmer Daves, et qui envisage de passer à la réalisation et qui finira par le faire beaucoup plus tard avec "The Minus Man" (1999). Il acquiert pour une somme modeste les droits du roman "Do Androids Dream of Electric Sheep ?" (1966) de Philip K. Dick, et espérant le mettre en scène lui-même le propose à Michael Deeley, producteur alors tout juste auréolé du succès aux Oscars du chef d'oeuvre "Voyage au Bout de l'Enfer" (1978) de Michael Cimino. Le producteur est intéressé surtout que depuis peu la SF est à la mode avec les succès de "Star Wars" (1977-...) de George Lucas, puis de "Alien le Huitième Passager" (1979) de Ridley Scott, et ce dernier dont la noirceur de ses premiers films avec auparavant le remarqué "Les Duellistes" (1977) semble convenir à la noirceur du roman. Michael Deeley convainc alors Ridley Scott d'abandonner son projet sur un autre monument de la littérature, ce qui deviendra "Dune" (1984) de David Lynch, mais à la condition de réécrire totalement le script. Hampton Fancher écrit une douzaine de versions sans convaincre pleinement, il faut attendre l'arrivée de David Webb Peoples au scénario pour qu'enfin le projet prenne son envol. Ce scénariste reprend l'écriture et persuade Ridley Scott de s'éloigner un peu plus du matériau d'origine. Le titre du roman qui signifie en français "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" n'est pas retenue pour le film, la production lui préfère "Blade Runner" terme qui fut acheté à l'auteur William S. Burroughs qui, ironie du sort, avait écrit le roman "Blade Runner : le film" (1979), mais le roman "The Bladerunner" (1974) semble avoir également été une source d'inspiration. Le développement et la production reste laborieuse, surtout à la fin  quand les producteurs modifient la fin du film s'éloignant de la version voulue par le réalisateur. Le film est un échec commercial avec son budget tout de même conséquent de 28 millions de dollars soit 2,5 fois plus que celui de "Alien" ! Néanmoins, il reçoit plusieurs nominations à travers le monde et obtient même trois BAFTA et, surtout le film va devenir peu à peu un film culte aidé sans aucun doute par l'évolution du film à travers ses différentes versions. La première prévue pour la projection-test est devenue rare voir même perdue, la version cinéma originale reste logiquement controversée car montée sans l'aval du réalisateur, avec une variation européenne légèrement plus violente. Puis un cadre de la Warner découvre une autre version en 1989 qui est projetée avec succès dans divers festivals mais Ridley Scott affirmera qu'il ne s'agit pas de son montage originel. Mais l'engouement pousse la Warner à sortir un "Director's Cut" (1992) mais ce film s'avère une version commerciale toujours pas assumée par le réalisateur. Alors que les fans (dont votre serviteur !) attendait l'ultime version pour le 20ème anniversaire c'est finalement pour le 25ème que Ridley Scott offre la version définitive et officielle de son Director's Cut (2007) de 117mn qui reste la seule qui doit être considérée, le réalisateur ayant confirmé que c'est la seule version qu'il accepte comme telle. Le film entre dans la postérité comme un chef d'oeuvre absolu du genre qui obtient même une petite légitimité quand, peu de temps avant de mourir d'une crise cardiaque en 1982) Philip K. Dick a pu visionner 20mn du montage original et qu'il a déclaré avoir été impressionné par des images qui correspondaient à sa vision des choses. En 2004, le journal britannique The Guardian organise un sondage auprès de soixante scientifiques renommés auxquels il est demandé leur top 10 des meilleurs films de SF, "Blade Runner" (1982) est classé alors meilleur film de SF de tous les temps juste devant un certain "2001 l'Odyssée de l'Espace" (1968) de Stanley Kubrick. Ensuite, on sait que Ridley Scott est devenu un des plus grands réalisateurs de son temps, le scénariste David Webb Peoples retrouvera l'acteur culte du Nexus 6 pour "Ladyhawke, Femme de la Nuit" (1985) de Richard Donner puis écrira encore "Impitoyable" (1992) de et avec Clint Eastwood et "L'Armée des 12 Singes" (1995) de Terry Gilliam, tandis que Hampton Fancher qui ne sera pas devenu le réalisateur tant espéré va avoir le plaisir de participer à la suite officielle du film avec "Blade Runner 2049" (2017) de Denis Villeneuve qui est une des meilleures suites réalisées pour un film sorti si tard après le premier opus. Notons qu'à sa sortie le film est classé R aux Etats-Unis soit interdit au moins de 17 ans non accompagné, et interdit au moins de 12 ans en France...

Los Angeles 2019, des milliers d'individus partent à la conquête de l'espace pour fuir les mégalopoles surpeuplées et insalubres tandis qu'un nouveau type d'esclaves a vu le jour nommé Répliquant, des androïdes qu'on de peut distinguer à la simple vue. Mais après un massacre par des Répliquants, des specimens perfectionné dit de type Nexus 6, ils sont désormais déclarés hors-la-loi. Après des opérations d'élimination quatre Répliquants arrivent à fuir et se retrouvent cachés dans la foule de la mégalopole. Dick Deckard, un Blade Runner agent d'une unité spéciale, est chargé de les retrouver et de les éliminer... Au départ le rôle principal était enviség pour James Caan, puis devait être tenu par la star Dustin Hoffman mais ce dernier voulait tant changer son personnage que le cinéaste a cherché ailleurs pour se tourner vers Harrison Ford, star en plein "Star Wars" (1977-...) et surtout en plein boom avec le carton mondial de "L'Aventurier de l'Arche Perdue" (1981) de Steven Spielberg. Citons ensuite les quatre Répliquants menés par Roy Batty alias Rutger Hauer qui venait de tourner dans un film américain aux côtés de Sylvester Stallone avec "Les Faucons de la Nuit" (1981) de Bruce Malmuth, retrouvera David Webb Peoples pour "Ladyhawke" (1985) et surtout acteur fétiche de Paul Verhoeven sur cinq films de "Turkish Delices" (1973) et "La Chair et le Sang" (1985) dans lequel il retrouvera son partenaire Brion James dont la gueule singulière et patibulaire fera des merveilles notamment dans plusieurs films avec Walter Hill de "Le Bagarreur" (1975) à "48 Heures de Plus" (1990). N'oublions pas leurs amis William Sanderson remarqué auparavant dans "Tueurs de Flics" (1979) de Harold Becker ou "Chasse à Mort" (1981) de Peter Hunt, puis Darryl Hannah remarquée dans "Furie" (1978) de Brian De Palma et qui va devenir une star avec entre autre "Splash" (1984) de Ron Howard, "L'Affaire Chelsea Deardon" (1986) de Ivan Reitman ou "Wall Street" (1987) de Oliver Stone dans lequel elle retrouvera sa partenaire Sean Young remarquée dans la comédie "Les Bleus" (1981) de Ivan Reitman et qui va justement jouer dans "Dune" (1984). Citons ensuite Edward James Olmos vu dans plusieurs films dont "Virus" (1980) de Kinji Fukasaku, mais qui va surtout devenir connu avec la série TV "Deux Flics à Miami" (1984-1990) et qui recroisera Harrison Ford dans "Blade Runner 2049" (2017), Joanna Cassidy vu plus tard dans "Qui veut la Peau de Roger Rabbit ?" (1988) de Robert Zemeckis ou "Ghosts of Mars" (2001) de Brian De Palma, Emmet Walsh vu dans "Serpico" (1973) de Sidney Lumet ou "Brubaker" (1980) de Stuart Rosenberg, James Hong second couteau dans plus de 460 films sur sept décennies retrouvant ainsi après "La Canonnière du Yang-Tse" (1966) de Robert Wise l'acteur Joe Turkel qui a la particularité d'être l'unique acteur à avoir joué dans plusieurs films du génial Stanley Kubrick avec "L'Ultime Razzia" (1956), "Les Sentiers de la Gloire" (1957) et "Shining" (1980), Morgan Paul aperçu dans "Patton" (1970) de Franklin J. Schaffner ou "Norma Rae" (1979) de Martin Ritt, puis enfin Tony Cox dont la taille lui a été utile essentiellement remarquée dans "Le Retour du Jedi" (1983) de Richard Marquand ou "Willow" (1988) de Ron Howard... La musique est un premier élément immersif, mêlant électronique et classique pour un son futuriste, qui impose mystère et onirisme elle entre aussi dans la mythologie SF. Elle est signée de Vangelis tout juste auréolé de son Oscar pour "Les Chariots de Feu" (1981) de Hugh Hudson et retrouvera Ridley Scott pour une autre B.O. d'anthologie pour "1492 : Christophe Colomb" (1992).

Au départ il était prévu une métropole dans le froid et prisonnière de la glace et de la neige mais cela s'est avéré beaucoup trop onéreux et donc très vite la mégalopole est devenu une ville sombre, aux mégas gratte-ciel constamment dans la nuit sous les néons de tous genres, et en permanence sous une pluie battante qui accentue une atmosphère dépressive et anxiogène. Tout un univers qui s'inspire du dessinateur Jean Giraud alias Moebius avec qui d'ailleurs le réalisateur avait collaboré sur "Alien" (1979), mais on décèle aussi l'influence d'un autre monument du Septième Art, "Métropolis" (1927) de Fritz Lang. De grands techniciens sont engagés dont Douglas Trumbull spécialiste des Effets Spéciaux ayant fait ses preuves sur "2001 l'Odyssée de l'Espace" (1968) ou "Rencontre du Troisième Type" (1977) de Steven Spielberg mais aussi sur "Star Trek" (1979) de Robert Wise après lequel il collabore donc à nouveau avec Syd Mead, dessinateur- concepteur de génie spécialiste des engins de toute sorte et crédité comme Futuriste Visuel, qui travaille la même année sur "Tron" (1982) de Steven Lisberger et qui crée entre autre les fameux Spinners. D'ailleurs Ridley Scott en profite pour multiplier les clins d'oeil et autres références, avec par exemple la piste d'atterrissage des Spinners du building de la Police qui est en fait récupérer des décors de "Rencontre du Troisième Type" (1977), idem les images de fin du montage originale sont reprises du début de "Shining" (1980), tandis que sur la séquence où Gaff/Olmos emmène Deckard/Ford à bord de son Spinner on aperçoit un building qui n'est autre qu'un certain Faucon Millenium !

Malgré un écrin très futuriste l'intrigue et le climax est tiré du Film Noir, et sur ce point Ridley Scott déclara : "Deckard, c'est Philip Marlowe" référence évidemment au personnage créé par le romancier Raymond Chandler et immortalisé par Humphrey Bogart  dans "Le Grand Sommeil" (1946) de Howard Hawks. Ainsi le réalisateur reprend les codes inhérents au genre avec les bas fonds, le contexte nocturne, l'enquête, la voix Off et même l'imperméable du héros forcément cynique et désabusé. Plus discret reste l'importance des animaux, en effet car dans le roman la disparition est explicitement la conséquence des actes humains (pollution, nucléaire...) mais dans le film cette référence est plus subtil comme la hiboux qui représente le docteur Tyrell/Turkel ou le python de Zhora/Cassidy (qui était réellement le sien !). L'intrigue est prenante et gagne avec la vision de Ridley Scott où le personnage de Deckard/Ford est beaucoup plus ambigu et donne une dimension encore plus énigmatique (qu'est-il vraiment ?!). Malgré des décors dantesques, des détails riches et foisonnant les protagonistes restent passionnants, surtout les Répliquants dont leur "humanité" à de quoi perturber avec une mention mythique pour Roy Batty alias Rutger Hauer qui impose un charisme inouï et un regard hypnotique bleu acier avant de nous foudroyer avec un monologue entré au Panthéon du Septième Art, d'autant plus quand on apprend qu'il est une pure improvisation de l'acteur. Du pur génie, d'acteur mais aussi de poésie. Le film est un chef d'oeuvre du genre, oeuvre visionnaire et culte à voir et revoir tant tous les futurs films de SF s'en inspirent désormais...

Note :                      

20/20