Réalisateur du magnifique "Cinema Paradiso" (1988), Giuseppe Tornatore revient après l'échec immérité de son drame intimiste "La Légende du Pianiste sur l'Océan" (1998) avec un autre drame, plus complexe, plus sensuel, plus tragique, qui réveille aussi les plaies italiennes de la période 39-45. Le réalisateur-scénariste co-écrit son scénario avec le vétéran Luciano Vincenzoni qui signe là son dernier film après son premier scénario pour "Hanno Rubato un Tram" (1954) de Aldo Fabrizi en passant "La Grande Guerre" (1959) de Mario Monicelli ou "Orca" (1977) de Michael Anderson et plusieurs Sergio Leone. Le film remporte le Grand Prix 2001 des Journées Romantiques de Cabourg mais le succès reste mitigé notamment pas aidé par une censure puritaine des Etats-Unis ; en effet, d'une durée de 106mn le film est amputé de 10mn pour la version américaine coupant des scènes jugées "trop érotiques" pour le marché américain (?!), ce qui n'a pas empêché la MPAA de classer le film R, soit interdit au moins de 17 ans non accompagné. Une censure américaine scandaleuse, il serait aisé de trouver des films bien plus érotiques et moins censurés. Précisons que le film est grand public en France... 1940, la ville sicilienne de Castelcuto est en liesse alors que Mussolini a rejoint officiellement l'Allemagne nazie dans la guerre mondiale. Jeune adolescent, Renato est heureux pour d'autres raisons et ce n'est pas sa nouvelle bicyclette mais son coup de foudre pour Malèna, une femme magnifique qui fait chavirer tous les hommes sur son passage. L'épouse de cette dernière est parti au front, seule elle est devenue le fantasme de tous les hommes de la ville mais elle est aussi jalousée de toutes les autres femmes. Trop jeune pour lui avouer son amour, Renato se met à épier Malèna et fantasme sur elle et finit par connaître ses petits secrets. Mais quand Malèna apprend la mort de son mari sa vie quotidienne évolue, elle est en proie à des difficultés financières et les hommes de la ville commence à en profiter, les femmes deviennent de plus en plus haineuse envers elle. Renato est témoin de tout mais est frustré de ne pouvoir lui venir en aide. La guerre s'ouvres aux convoitises les plus honteuses et Malèna se voit contrainte de changer de vie...
Malèna est incarnée par Monica Bellucci, remarquée une première fois furtivement dans "Dracula" (1992) de Francis Ford Coppola, progresse en France avec entre autre "L'Appartement" (1996) de Gilles Mimouni et "Dobermann" (1997) de Jan Kounen mais va vraiment prender son envol et connaître une reconnaissance internationale avec ce rôle icônique en parallèle la même année du remake "Suspicion" (2000) de Stephen Hopkins. Le jeune Renato est joué par le jeune Giuseppe Sulfaro pour son premier rôle, et qui ne fera pas réellement carrière malgré quelques autres films comme "Un Héros... à Rome" (2006) de Panos Angelopoulos ou "Soleil Noir" (2007) de Krzysztof Zanussi. Ses parents sont interprétés par Luciano Federico apparu dans "Ambrogio" (1992) de Wilma Abata ou "Naja" (1997) de Angelo Longoni, puis Matilde Piana aperçue dans les "Kaos - Contes Italiens" (1984-2015) des frères Taviani. L'époux de Malèna est joué par Gaetano Aronica qui retrouvera son réalisateur pour "Baaria" (2009) et vu plus récemment dans "Primadonna" (2022) de Marta Savina, le père de Malèna est joué par Pietro Notarianni qui fait l'acteur rarement comme dans "Intervista" (1987) de Federico Fellini mais qui est avant tout Producteur notamment de plusieurs films de Luchino Visconti, tandis que l'avocat est joué par Gilberto Idonea qui n'avait alors pas joué au cinéma depuis son premier film "Turi e i Paladini" (1979) de Angelo d'Allesandro car surtout acteur renommé du théâtre mais vu encore plus tard dans des films comme "La Seconda Notte di Nozze" (2005) et "La Cena per Farli Conoscere" (2007) tous deux de Pupi Avati, puis n'oublions pas Angelo Pellegrino apparu dans "1900" (1976) de Bernardo Bertolucci ou "Le Fantôme, ma Femme et Moi" (1982) de Bruno Corbucci... Loin d'être anodin le casting est d'une importance capitale, pas de débat pour Malèna/Bellucci incarnation parfaite et idéale de la bomba sicilienne, naturellement pulpeuse et sensuelle sans artifice, et le jeune adolescent a aussi son importance en trouvant exactement ce que l'assistant-réalisateur Alberto Manglante a explicité : "Nous avons commencé par regarder 2000 photos de garçons de toute la Sicile, mais la plupart des gamins étaient en vacances d'été. Nous devions aller sur les plages, et dans tous les endroits où les jeunes adolescents se donnent rendez-vous. Nous étions à la recherche de quelqu'un de crédible, d'authentique, quelqu'un qui aurait un air intelligent, vivant, un observateur né avec des yeux qui savent reconnaître la différence entre voir et regarder." Le jeune Giuseppe Sulfaro est alors un jeune homme parfait, sans jamais en faire trop, ses yeux comme des billes qui découvrent la beauté à la fois palpable et hors sol de Malèna/Bellucci, quasi bouche bée au départ puis qui devient ensuite juste aussi touchant que désemparé. Le réalisateur s'amuse au départ à montrer les jeunes ados de la ville comme de petits puceaux qui s'imaginent comme des étalons face à une Malèna/Bellucci éblouissante évidemment magnifier par la caméra de Tornatore qui la suit comme une des merveilles du monde. Si la ligne directrice reste l'éveil du jeune Renato/Sulfaro non pas vraiment à la sexualité mais à la sensualité qui lui permet les plus beaux fantasmes (à ses yeux !).
La bonne idée du réalisateur est d'éviter l'écueil habituel des films du genre (liaison entre un-e ado et un-e adulte) en optant ici pour une liaison unilatérale et fantasmée et donc platonique qui ouvre la voie à un onirisme érotico-soft touchant et émouvant. C'est aussi là qu'on savoure la B.O. du maestro Ennio Morricone, qui souligne merveilleusement cet état d'idylle estival sans réelle consommation, puis qui appuie pourtant toute la tragédie qui se dessine avec ce contexte adulte de la guerre, des jalousies et des haines primaires et faciles. Derrière les émois émerveillés de l'adolescent il y a les vices adultes bien plus dangereux et intéressés. Malèna qui n'a rien à se reprocher va devenir la proie des rapaces, d'abord les hommes qui imposent leur patriarcat, puis les femmes simples harpies jalouses et encore plus hypocrites et brutales que leurs maris veules et lâches. Le récit évolue au fil de la situation matérielle de Malèna, d'épouse belle et discrète, elle devient une prédatrice malgré elle, une veuve prête à tout, jusqu'à une scène d'une violence inouïe de lynchage qui nous renvoie aussi à celle tout aussi abjecte de "la Fille de Ryan" (1970) de David Lean. Sur le jeu, les acteurs sont dans une performance sobre et subtile qui est pourtant accentuée par la mise en scène du réalisateur qui appuie les réactions béates et surréalistes des hommes comme quand tous se retournent comme un seul homme aveuglé et obnubilé par le corps parfait et chaloupé de Malèna, ou quand elle attend qu'on lui allume une cigarette. Giuseppe Tornatore signe un drame plus subtil qu'il n'y paraît au premier abord, ceux qui y voient une simple histoire d'ado pubère aux fantasmes primaires n'ont rien compris et sont sûrement plus gênés par leurs propres désirs, tout le contexte autour de la position sociale d'une femme esseulée jusqu'au conséquences épouvantables de l'épuration apporte une richesse narrative bien plus passionnante. Un grand film largement sous-estimée.
Avis de Llowenn ICI
Note :